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La transmission, préoccupation majeure en Champagne

Fiscalité. Les vignerons champenois défendent une réforme rapide et en profondeur de la transmission des exploitations viticoles, pour assurer la pérennité de la filière.

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La transmission, préoccupation majeure en Champagne
Les recommandations du député marnais Eric Girardin sur la transmission des exploitations viticoles vont intégrer la future loi d’orientation et d’avenir pour l’agriculture qui sera étudiée en 2023. (Crédit : DR)

En Champagne, le prix des vignes situées en AOC a été multiplié par 3,2 en 21 ans. Une bonne nouvelle en apparence pour les vendeurs et pour la valeur du modèle champenois en pleine réussite. Revers de la médaille : les transmissions familiales s’avèrent de plus en plus coûteuses. Pour le Syndicat Général des Vignerons, c’est tout le modèle champenois qui est menacé par cette situation. « La réussite de notre modèle explique en partie cette valeur élevée mais ce modèle repose aussi sur la maîtrise du foncier par le vignoble. Le maintien d’un équilibre entre le vignoble et le négoce permet une répartition équitable de la valeur ajoutée entre les deux familles », souligne Maxime Toubart, président du SGV. Depuis plusieurs années, le syndicat défend le maintien d’un tissu dense d’exploitations familiales, garant, selon lui, de l’équilibre champenois. Il s’agit pour le SGV d’éviter la concentration du foncier viticole au sein du Négoce, et donc des grandes maisons de champagne.

Un enjeu démographique et économique

Pour Alain Tourdjman, directeur Etudes et Prospective BPCE, la transmission est un enjeu majeur en agriculture, en viticulture et encore plus davantage en Champagne. « 21% des viticulteurs ne sont pas certains de rester sur leur exploitation dans les cinq prochaines années », explique l’économiste. Face à ces incertitudes quant à leur avenir, les viticulteurs placent donc la transmission de leur exploitation parmi leurs préoccupations majeures dans tous les vignobles de l’Hexagone, un enjeu qui ressort encore davantage en Champagne. « La cession-transmission est la préoccupation principale pour 16% des viticulteurs français et pour 26% des viticulteurs champenois », explique-t-il. Si au niveau national cette préoccupation devance de peu la retraite (13%) et la protection santé (11%), en Champagne, elle écrase largement la protection santé (11%) et la retraite (8%), signe de son importance dans l’esprit des viticulteurs locaux.

« Dans les enquêtes, il est rare d’avoir une première préoccupation qui déborde à ce point les autres », souligne le spécialiste, pour qui cette problématique couvre plusieurs enjeux : « Derrière la transmission, il y a un enjeu de compétitivité pour le pays car il en va de la préservation de l’outil de production. Un dirigeant qui sait qu’il ne transmettra pas investit beaucoup moins et enregistrera une baisse de la croissance de son entreprise au niveau de son chiffre d’affaires, voire une baisse de sa production ». Une perte de valeur et de substance de l’entreprise qui peut donc nuire à l’ensemble de l’économie nationale en l’absence de mesures d’ampleur. « Derrière l’enjeu de la transmission, il y a un enjeu majeur de transformation de la filière viticole et un sujet pour la valorisation du capital productif national », poursuit Alain Tourdjman.

« La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont des conséquences qui rappellent l’importance de l’indépendance stratégique de la filière agricole pour l’équilibre des échanges agroalimentaires de la France et la souveraineté alimentaire du pays »

Si le sujet s’avère particulièrement délicat en Champagne, c’est essentiellement en raison du prix du foncier, très élevé dans la Région et du morcèlement des exploitations, dont les surfaces moyennes sont de 2,1 hectares. C’est également le constat dressé par le SGV. « 63% des vignerons champenois sont âgés de 50 ans ou plus », précise Maxime Toubart, le président du syndicat. Au niveau national, la viticulture compte 59 000 exploitations avec une surface moyenne de 9 hectares. En Champagne, 16 176 vignerons exploitent 34 168 hectares, sachant que le vignoble champenois compte 281 800 parcelles de 12,15 ares en moyenne. Selon les calculs du SGV, le coût de transmission du foncier d’une exploitation représente 4% de sa valeur. « Acceptable a priori, souligne Maxime Toubart, mais cette somme représente 5,4 années du résultat courant avant impôt généré par ce même foncier. Cela illustre une certaine déconnexion entre la valeur retenue pour l’établissement de l’impôt de transmission et le revenu d’exploitation qu’il procure ».

Pour un bailleur (dont la rentabilité nette avant impôt s’élève à 0,32% pour un hectare de vignes loué), ce sont pas moins de 28 années de revenus qui seront nécessaires pour couvrir le montant des droits de succession. Face à cette lourde fiscalité patrimoniale, les transmissions familiales sont de plus en plus menacées, les héritiers de vignes étant plutôt enclins à les céder plutôt qu’à les conserver ou à les louer à des membres de leur famille. De quoi favoriser le démantèlement du vignoble et donc un risque de disparition des exploitations familiales, dont l’existence s’avère être un élément fondamental de l’équilibre du modèle champenois.

Une loi d’orientation et d’avenir pour l’agriculture en 2023

Auteur du rapport « Assurer la transmission familiale du foncier et des exploitations viticoles afin de garantir la pérennité et l’indépendance stratégique de la viticulture française » remis au Premier ministre Jean Castex en avril 2022, le député marnais Eric Girardin rappelle à quel point des réformes sont nécessaires : « La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont des conséquences qui rappellent l’importance de l’indépendance stratégique de la filière agricole pour l’équilibre des échanges agroalimentaires de la France et la souveraineté alimentaire du pays », insiste-t-il. Le rapport aborde la question du maintien du modèle familial de la viticulture, essentiel au maintien de territoires vivants et à leur attractivité. « Mais globalement, le renouvellement des générations n’est pas assuré. L’enjeu est donc bien de dépasser l’idée que les préoccupations abordées dans le rapport ne seraient qu’un problème de nantis et c’est aussi un choix d’aménagement du milieu rural. »


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« Le travail réalisé par le député Eric Girardin est à la fois pertinent et important, maintenant il nous faut des actes », insiste Maxime Toubart qui, s’il partage de nombreuses propositions du parlementaire, regrette que le gouvernement n’ait pas intégré de mesures concrètes dans le projet de Loi de Finances 2023 actuellement en discussion à l’Assemblée nationale. Eric Girardin a, de son côté, rencontré, début octobre, Marc Fesneau, Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire et Gabriel Attal, Ministre délégué chargé des Comptes publics pour leur présenter son rapport et les recommandations majeures qui en ressortent. Un entretien qui a confirmé que si ces mesures n’étaient pas intégrées au projet de Loi de Finances 2023, elles allaient faire l’objet d’un traitement particulier de la part du gouvernement.

« Ces recommandations vont intégrer la future loi d’orientation et d’avenir pour l’agriculture voulue par le Président de la République. Sa colonne vertébrale sera bâtie autour du renouvellement des générations et de la formation, du foncier et de la transmission et de l’innovation pour l’agriculture de demain », souligne le député qui ne proposera donc aucun amendement sur la transmission agricole dans le débat parlementaire du projet de Loi de Finances pour l’année 2023. La concertation sur ce projet de loi devrait commencer fin octobre et Eric Girardin intégrera, à la demande du Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, les groupes de travail bientôt créés. « L’objectif du gouvernement est que ce projet de loi soit présenté au Parlement à la fin du premier semestre 2023 », précise le député marnais.