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Tensions sur les matériaux : la Champagne s’organise

Champagne. De plus en plus d’entreprises connexes sont confrontées à des délais d’approvisionnements et à des hausses de tarifs face auxquelles elles doivent faire preuve d’inventivité et d’organisation.

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Dans la robotique, les entreprises comme Duguit Technologies ont revu leur politique de sourcing pour continuer à sortir leurs machines. DR

Après 18 mois d’incertitudes, d’un arrêt total à d’inattendus soubresauts, la reprise est là pour le monde du champagne. Et après une année 2020 qui a vu le secteur expédier 244 millions de bouteilles (297,6 millions en 2019), l’année 2021 pourrait revenir à des niveaux d’avant-crise. Les prévisions des professionnels visent d’ores et déjà des expéditions 2021 à hauteur de 305 millions de cols. Une excellente nouvelle pour le business des entreprises connexes qui doivent néanmoins faire face à un accroc de taille : la reprise de l’économie mondiale et les tensions planétaires sur certains marchés de matériaux et de productions créent une pénurie de matières premières et de matières sèches.

Verre, coiffes, capsules, cartons, emballages… sont impactés. Résultat : les fournisseurs des producteurs de champagne doivent composer avec des délais et des hausses tarifaires sans précédent. « Il y a un vrai sujet sur le prix des matières premières et des composants. Et au-delà du prix, il est aussi question de rupture », souligne Timothée Duguit, Pdg de Duguit Technologies, entreprise spécialisée dans la robotique et les bacs de congélation.

Après une année 2020 en baisse, la société sparnacienne est repartie sur des niveaux d’activité semblables à ceux de 2019. « Mais aujourd’hui nous avons un manque de visibilité et d’informations sur nos délais d’approvisionnement ». Face à cette absence de perspectives fiables, le chef d’entreprise a dû s’adapter pour satisfaire ses clients champenois (30% de son activité) et à l’export. « Pour l’instant nous avons réussi à trouver des alternatives en matière de sourcing mais aussi en faisant appel à d’autres marques et à d’autres techniques ».

Augmentation des prix et raréfaction des produits

Pour Timothée Duguit, qui avait su anticiper en finançant du stock, l’innovation se fait aussi par le sourcing. « Par exemple, lorsque nous sommes confrontés à une pénurie de certains composants électroniques, nous essayons d’autres composants ou d’autres marques », souligne le dirigeant qui n’a pas eu à prendre de décisions radicales. « Nous avons un timing serré, nous changeons certains composants mais nous n’avons pas de blocage et nous n’avons pas eu besoin de décaler des livraisons », note le Pdg qui déplore néanmoins une forte augmentation des prix des matières premières, du gaz et de l’électricité.

« L’effet Amazon a renforcé la tension sur le marché mondial du carton »

Christophe Mendez, Directeur général de Sparflex, constate lui aussi des difficultés d’approvisionnement : « La situation actuelle est une source de vraie préoccupation. On subit une hausse tarifaire accompagnée d’une réduction de capacité ». L’entreprise basée à Dizy doit notamment faire face à une pénurie de polyéthylène, cette matière indispensable à la fabrication des coiffes de bouteilles de champagne. « Il y a une raréfaction de l’éthylène à l’échelle mondiale aujourd’hui. Or, sans lui, nous ne pouvons pas produire notre complexe qui est un assemblage de polyéthylène et d’aluminium ».

Des délais qui s’allongent

Si depuis le début de l’année l’entreprise a réussi à satisfaire ses clients champenois, la situation est relativement tendue au niveau des délais. « Nous avons réussi à nous en sortir mais nous accusons du retard dans nos livraisons, de l’ordre de deux à trois semaines ». Au niveau de l’aluminium, essentiel lui aussi dans la fabrication du complexe, la situation est également tendue. Il s’avère que la fabrication de l’aluminium qui est une spécialité chinoise, est une activité très énergivore. Or, la Chine étant elle-même confrontée à un problème d’approvisionnement en énergie, elle produit moins d’aluminium et est amenée à venir se fournir en Europe, ce qui accentue la demande et la tension sur ce marché.

Si les étiquettes ne sont pas impactées par la forte tension mondiale, le carton doit faire face à des délais d’approvisionnement de plusieurs mois. DR

« Heureusement, nous appartenons à un groupe important, avec des accords de groupe qui nous permettent de consolider nos approvisionnements auprès de nos fournisseurs », souligne Christophe Mendez, qui relativise au passage la reprise observée en Champagne : « Il s’agit davantage d’un rattrapage que d’une reprise. Le premier trimestre 2021 correspond à ce que nous avons fait au premier trimestre 2020. Et aujourd’hui nous sommes à peine à hauteur de nos chiffres de 2019. En revanche, il y a une très forte concentration des commandes, ce qui créé un goulot d’étranglement ».

Stockage et inventivité

Si l’entreprise peut compter sur l’arrivée de nouvelles machines pour tenter d’absorber en partie les retards pour réduire les délais de livraison, elle doit en revanche répercuter l’impact haussier des matières premières sur ses produits finis. « Aujourd’hui notre message à notre clientèle c’est qu’il y a des retards mais que nous faisons face et que nous répondons à tous les besoins de nos clients malgré la situation exceptionnelle. C’est une situation inconfortable pour tout le monde et tous les opérateurs y sont confrontés. Mais nous en profitons aussi pour être inventifs, proposer des solutions et accompagner au mieux notre clientèle ».

Les étiquettes et les étuis sont eux aussi des éléments indispensables en Champagne. Pdg de la société sparnacienne Imprim’Eclair, Julien Lévêque ne rencontre aucun problème d’approvisionnement pour ses étiquettes de bouteilles. En revanche, côté étuis, la situation est plus tendue sur le marché. « À l’heure actuelle, il est impossible d’être livré en carton pour étuis avant le mois de janvier 2022 », souligne-t-il. « Heureusement, nous avions anticipé cette situation et nous avions verrouillé nos approvisionnements à l’avance pour constituer des stocks ».

Un « effet Amazon »

La demande mondiale atteint des niveaux records à la faveur de la reprise dans tous les pays, avec des stocks au plus bas avec le développement spectaculaire du e-commerce, fortement consommateur en carton, lors de la crise sanitaire. Un « effet Amazon » qui tend encore davantage le marché. En Champagne aussi, tous les opérateurs cherchent à produire des étuis pour répondre à la prémiumisation des flacons. « La demande est énorme. Le mois de septembre 2021 est le mois record de l’histoire de notre entreprise et le mois d’octobre est parti sur les mêmes bases ».

Le chef d’entreprise, qui se fournit exclusivement chez des fabricants de cartons français, est aujourd’hui en mesure de répondre à la demande de sa clientèle sans trop de problèmes grâce à ses stocks qui vont lui permettre de tenir jusqu’à la fin de l’année. « Outre les trois voire quatre mois de délais de livraison du carton, nous observons aussi une hausse des tarifs de l’ordre de +35% aujourd’hui par rapport à janvier 2021 ». Une hausse qui se répercute de manière plus douce sur les produits finis, autour de 3 à 3,5%. « Nous parvenons à livrer nos clients en temps et en heure, en revanche le prix évolue ». Un moindre mal finalement, en comparaison avec d’autres fournitures champenoises.