Europe

Inflation Reduction Act : quel impact sur l’économie française ?

Marché mondial. En été 2022, la loi votée au Congrès des Etats-Unis a lancé un nouveau plan d’aide sur 10 ans de 370 milliards de dollars dans le domaine du climat et dans celui de la santé pour réduire le coûts des soins pour les seniors. Qu’en est-il vraiment de ce plan et de l’impact de ces mesures pour l’économie française et européenne, voire avec quelles réponses ?

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Photo des drapeaux des États-Unis et de l'Europe
(Crédit : DR)
Photo de François Charles
François Charles, Économiste, expert défense, armement, relations européennes et internationales, président de l’Institut de recherche et de communication sur l’Europe (IRCE).

À l’été 2022, l’Inflation reduction Act ou IRA, voté au Congrès des États-Unis lançait un nouveau plan d’aide sur dix ans de 370 milliards de dollars dans le domaine du climat et dans celui de la santé pour réduire le coût des soins pour les seniors.

Tout cela sur fond d’inflation régulée par la banque centrale dans une logique désormais courante Outre-Atlantique, surtout en cas de crise, d’acheter et produire américain sous couvert de subventions, d’allègements fiscaux pour mieux se renforcer en interne et profiter des retours sur investissement avant de retourner sur le marché international.

Il s’agit d’un tournant remarqué pour l’environnement, d’une certaine façon pour rejoindre les mêmes objectifs européens de réduction d’émission en 2030 mais surtout pour ses implications industrielles liées en réaction aux initiatives européennes, et non uniquement chinoises, sur les véhicules électriques et les giga factories de batteries, créant un risque de déséquilibre et de dépendance.

Les principales mesures étasuniennes prévoient des avantages aux ménages et aux entreprises pour leur implications dans l’éolien, le solaire, la séquestration du carbone, l’hydrogène vert, les biocarburants, et surtout les batteries, avec notamment un crédit d’impôt de 7.500 dollars pour l’achat d’une voiture électrique sous condition d’une part qu’elle soit assemblée aux États-Unis et dont les batteries comportent au moins 40 % de composants extraits dans le pays ou provenant d’un pays disposant d’un accord commercial, aujourd’hui généralement sur le continent américain, et d’autre part que 50% des composants de la batterie soient fabriqués ou assemblés aux États-Unis, au Canada ou au Mexique.

L’Union européenne a néanmoins déjà obtenu quelques concessions notamment sur l’achat de véhicules européens dont la batterie soit composée par exemple de lithium chilien ou de métaux rares canadiens. Pour le volet social, un impôt minimum de 15% sur les entreprises devrait venir compenser un plafond de paiement des seniors.

À quand un « buy european act ? »

Ce nouveau « buy American Act », qui consiste à favoriser la construction sur le sol étasunien, est généralement plus courant dans l’armement qui sort facilement des règles de droit international en cas de besoin. Rappelons-nous que le système militaire français « Rita » de réseau maillé, qui donna naissance à internet, fut vendu avec une clause nationale de 75% de retour industriel dans le pays avec des hausses acceptables de prix de 5% pour les PME étasuniennes.

Par ailleurs le sujet des batteries ne concerne pas que la voiture mais aussi les aéronefs de toute taille en devenir. Souvenons-nous enfin qu’en matière de santé pour la crise du Covid, les États-Unis avaient également su fermer leurs frontières pour préserver leurs matières premières.

L’Europe n’est quant à elle pas encore passée à la vieille idée française d’un « Buy European Act », contrée immédiatement au niveau européen, notamment par les Allemands, liés par leur constitution aux États-Unis.

Cet acte pourrait pourtant permettre de se reposer les bonnes questions de façon « raisonnée », en continuant à travailler sur une certaine autonomie sur la base des constats communs et spécifiques actuels et d’une certaine solidarité avec des achats et une sous-traitance croisée accélérée, comme en reconnaissant le rôle des grands champions européens, s’ils acceptent de couver les écosystèmes industriels, voire financiers, comme semble désormais l’accepter la vice-présidente de la Commission européenne Margrethe Vestager.

Elle n’est pas non plus encore passée à la pénalisation des entreprises qui risqueraient de déménager pour aller s’installer aux États-Unis, comme quand elles étaient sous pression pour ne plus commercer avec l’Iran.

Tout en continuant une attitude cordiale avec les États-Unis, notamment à travers le Conseil du Commerce et des Technologies, les Européens ont élaboré une nouvelle force motrice qui reste à être approuvée.

Sorte d’IRA européen dans le domaine du climat, elle propose un plan passant par des actes réglementaires visant à accélérer les mesures zéro carbone et de protection des matières premières, comme il l’a été pour le « Chips Act » sur les puces électroniques, par un nouveau fonds dit de souveraineté initié par la France dans une dynamique de résilience pour la recherche, l’innovation et les projets industriels stratégiques, le développement de compétences ainsi que faciliter un commerce équitable et vert.

Tout cela semble être complété par une réforme temporaire et adaptée des aides d’état en fonction de la zone concernée dans les panneaux solaires, les batteries, les éoliennes, l’électrolyse (pour produire de l’hydrogène), les turbines et les pompes à chaleur ainsi que des simplifications pour les procédures sur les Projets Importants d’Intérêt Européen Commun (PIIEC).

Au regard de l’IRA, le volet de la santé semble oublié, certes restant de la compétence des états, mais demandant apparemment de vrais plans d’harmonisation suite aux constats sur le Covid et la pénurie de médicaments.

Le risque affiché est que les fabricants de véhicules électriques et de batteries abandonnent tout ou partie de leur projets, pour se tourner vers les États-Unis en retard sur la fabrication de voitures et de batteries, vers la Chine ou d’autres marchés avec un impact sur des milliers d’emplois en Europe et dans nos régions impliquées dans l’automobile et qui ne peuvent subsister qu’avec le marché européen.

Une réaction naturelle, comme dans le cas des contreparties industrielles de défense, sera de profiter de cet état de fait pour s’infiltrer et accentuer les partenariats sur le continent américain en implicant les sous-traitants entre eux. Gardons en mémoire que les avions commerciaux Airbus sont fabriqués à 40% aux Etats-Unis.

Profitons-en une nouvelle fois pour faire le point en Europe des savoirs et savoir faire locaux existants, répartir les aides avec intelligence, offrir un bonus voire imposer des participations de PME locales dans les grands appels d’offres au-delà du Small Business Act européen, repris sous une certaine forme par certaines organisations patronales.

2% du PIB européen

Pour revenir sur le titre, notons qu’il s’agit encore de 360 milliard, soit 2% du PIB de l’Union européenne, qui s’ajoutent à la montagne de prêts, subventions et autres dons désormais aussi dans l’armement. Même s’il s’agit de reprendre une fois de plus les sommes non utilisées, on peut se demander encore une fois d’où viendra l’argent.

Bien entendu la Banque européenne d’investissement (BEI), nouvelle banque verte, sera sollicitée mais plus question d’aller se financer sur les marchés. Le fonds européen de souveraineté nouvellement créé viendra soutenir les programmes d’innovation et industriels de l’Union.

Nous sommes en équilibre, aux États-Unis comme en Europe, entre d’une part des politiques industrielles ambitieuses et d’autre part une nécessité, pour les banques centrales, de resserrer les conditions monétaires en remontant leurs taux, quand la Chine fait le pari de les baisser, pour ralentir l’inflation et donc l’activité économique au risque de provoquer une récession.

Les entreprises doivent aussi prendre des décisions sur de possibles baisses des salaires et des gains de productivité. Alors que nous vivons au même moment une ombrelle de prix des tarifs pétroliers, liée cette fois au développement du tout électrique et non plus à la guerre indirecte en Ukraine, il serait sans doute opportun de penser aussi à une salvatrice, même temporaire, baisse de taxes pour les utilisateurs finaux même si elles renflouent les caisses des états et de l’Europe.