Entreprises

Bâtiment : de l’importance du contrôle du risque

Construction. L’APMO, Association pour la Performance de la Maîtrise d’Ouvrage, tenait deux journées d’échanges avec des professionnels : maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvres, architectes, experts. Le thème de ces journées portait sur la gestion des risques dans les projets de construction.

Lecture 8 min
Photo de Cédric Garot
Cédric Garot, Directeur adjoint du CHU de Reims et président de l’APMO (Association pour la Performance de la Maîtrise d’Ouvrag) qui développe des actions et évènements déclinés autour de 3 objectifs : le développement des compétences, le partage d’expériences et le soutien aux évolutions de la maîtrise d’ouvrage. (Crédit : ND)

L’acte de construire induit forcément des risques, que cela soit pour des projets d’acteurs publics ou d’acteurs privés. Mais il y a des secteurs encore plus concernés que d’autres comme ceux portant des projets hospitaliers ou des grands programmes de logements sociaux. « Depuis plus de 30 ans, nous assistons à une complexification des enjeux économiques, sociaux, politiques, environnementaux, conduisant à une très forte pression sur les opérations », indique Cédric Garot, Président de l’APMO (Association pour la Performance de la Maîtrise d’Ouvrage). « La législation qui se renforce rend encore plus compliqué l’acte de construire. C’est une certaine manière de gérer les risques, alors qu’en parallèle, on appelle à plus de simplification. » Une contradiction que celui qui est également directeur du Patrimoine, des achats et de la logistique du CHU de Reims n’a pas hésité à souligner.

L’acte de construire répond ainsi à des défis toujours plus grands, notamment lorsqu’il s’agit de projets d’envergure, comme la construction d’un hôpital. Un exemple qu’est venu détailler François-René Pruvot, président du Conseil scientifique de l’Investissement en Santé. « Le SEGUR de la Santé, le plan de Relance, tout cela se fait, mais à un certain prix avec des efforts consentis et majeurs. Très peu de projets se font sans difficultés. »

Avec 19 milliards d’euros de budget, le Conseil scientifique avait pour mission de « rénover le système de pilotage de l’investissement des grands projets hospitaliers avec une large déconcentration auprès des ARS et grands établissements : deux impératifs a priori contradictoires », estime François-René Pruvot, précisant que le Conseil scientifique est saisi pour des projets allant au-delà de 150 millions d’euros.

2 millions de m² en projet pour 10 Mds€

Depuis sa constitution en 2020, le conseil scientifique a expertisé 27 établissements dont 7 CHU, 5 projets de territoires et 13 centres hospitaliers. « On gère la future construction de deux millions de mètres carrés de surface pour 10 milliards d’euros de coût de projets, avec une réelle diversité de typologie d’établissements concernés. La finalisation de ces projets se ferait vers 2025 », annonce le Président du Conseil scientifique. Des projets extrêmement complexes, qui impliquent un chemin de construction répondant à une instruction de plusieurs étapes très strictes : tout d’abord, le projet médical et le schéma directeur immobilier global sont définis, accompagnés de la faisabilité financière, « afin d’éliminer un maximum de risques ».

L’étape 2 établit un préprogramme avec une « expertise très pointue » et enfin, la main est passé au Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), pour le travail de validation du Programme technique détaillé. Pour mener à bien ces chantiers titanesques, le conseil scientifique a identifié « 10 facteurs clés du succès dans la maitrise des risques » tels que « la mise en place d’une équipe projet qualifiée », « s’assurer de l’implication de tous les acteurs », « définir et assurer la stabilité des besoins », « établir plusieurs scénarios de réalisation de projet » ; « identifier le montage de l’opération » ; « savoir établir le coût de l’opération en valeur final toutes dépenses confondues » ; « impliquer la maîtrise d’œuvre dans la maîtrise des coûts » ; « intégrer la maîtrise des coûts dans la matrice de la gestion des risques »…

C’est à l’aide d’exemples très concrets que François-René Pruvot est venu étayer ces 10 points incontournables. « Les coûts de projets de construction peuvent être forcés quand cela part d’une demande politique… Nous sommes là pour maîtriser ces coûts mais en écoutant les analyses de projection d’activités notamment », souligne-t-il. « Aujourd’hui, ce qui est important, c’est l’attractivité du lieu de soin, la démographie et la projection du projet sur le temps long », fait savoir celui qui a été pendant 20 ans chirurgien en chirurgie digestive et transplantation.

Partager en interne

Juliette Lefeu, Directrice de Reims Habitat, qui travaillait auparavant dans la maîtrise d’ouvrage évoque la gestion des risques dans la construction du logement social. « Nous construisons entre 100 et 200 logements par an en plus de la gestion de notre parc en essayant d’avoir une mixité d’offres, avec du logement social, intermédiaire et spécifique, à destination des étudiants et des seniors. » Pour l’organisme social, le risque commence dès l’obtention du prêt, puisqu’il est indexé sur le taux du Livret A... qui a fortement augmenté ces derniers mois.

« En plus du risque financier, nous avons de fortes contraintes réglementaires dans un milieu très concurrentiel », précise Juliette Lefeu. « Le premier des risques réside dans la définition du besoin. Il faut se mettre d’accord avec la collectivité entre ce qu’elle souhaite et ce qui est faisable. » Autre risque pour Reims Habitat, celui du manque de suivi budgétaire : « Si une entreprise fait faillite, il faut relancer des appels d’offres, cela prend du temps et cela peut mettre en péril un chantier tout entier. » La directrice estime ainsi pouvoir appréhender « 80 à 90% des risques, le reste étant de l’aléa. » Pour les contrer, il faut non seulement « mettre en place un plan d’action mais également partager en interne et actualiser régulièrement l’avancée du chantier ». Une évidence serait-on tenté de penser, qui, confrontée au quotidien, s’avère beaucoup plus difficile qu’on ne le pense à mettre en œuvre.

Un état des lieux corroboré par Marc Briaud, Expert conseil pour Maître d’ouvrage et Abdelaali Gaïdi, Directeur du Patrimoine au CHU de Toulouse, ayant auparavant travaillé pour le promoteur Icade, spécialisé dans l’immobilier de bureaux et promotion de logements et bâtiments tertiaires. « Il existe très peu de projets qui ne débouchent pas sur des litiges, expose ainsi Abdelaali Gaïdi, de telle sorte qu’il n’est plus possible d’engager des actions de construire sans conseils techniques et juridiques. » Contraintes humaines, financières, juridiques, techniques et calendaires, le rôle des experts à la maîtrise d’ouvrage est donc incontournable. Et si analyser précisément le besoin est très important, le suivi aussi : « Si on ne fait pas de maintenance les trois premières années d’un bâtiment, on le fait vieillir de cinq ans », assène Marc Briaud.

« D’où l’importance de faire l’analyse du chemin critique de l’opération. » Car dans un marché immobilier encore à la peine, les marchés publics deviennent un refuge avec « des prix un peu plus bas et maîtrisés ». La collaboration avec les services des collectivités et la mise en place d’un comité de pilotage venant, in fine, réduire les risques d’échec.