Christophe Possémé
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Christophe Possémé

Bâtir et viser les sommets.

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Photo de Christophe Possémé
Christophe Possémé est vice-président de la FFB depuis juin 2023, en charge de la formation et du développement des compétences. (Crédit : Pascal Montary)

On pourrait penser que Christophe Possémé avait un destin tout tracé. Fils de Pierre Possémé, figure emblématique régionale, un des quatre créateurs du Bâtiment Associé en 1979, président de l’Union nationale de la maçonnerie et délégué Champagne-Ardenne de la Fondation du Patrimoine, il aurait pu arriver en terrain conquis dans l’entreprise. Mais son éducation empreinte de méritocratie, tout autant que son appétit de découverte et son envie d’apprendre, ont fait qu’il a gravi un à un les échelons pour, aujourd’hui, être à la tête d’une entreprise de 180 salariés aux 36 millions d’euros de chiffre d’affaires.

« Je suis d’une famille de bâtisseurs, la quatrième génération de maçon. Dès mon plus jeune âge, j’ai vu mon père travailler sur les chantiers, et moi-même je l’ai aidé sur celui de notre maison. » Car du plus loin qu’il se souvienne, il a toujours voulu être maçon. Un choix qui, s’il était naturel pour sa famille, n’a en revanche pas toujours été bien compris par l’institution enseignante, celle-ci au regard de ses bons résultats, le voyant continuer de longues études.

Il entre ainsi en classe scientifique au lycée Roosevelt, mais rattrapé par l’envie d’être sur le terrain, à apprendre et construire, il entre chez les Compagnons du Devoir, en maçonnerie. Il y reste deux ans en apprentissage puis part faire son « Tour de France ».

« C’est une étape incontournable chez les Compagnons, un pilier central de la formation. On y acquiert une large gamme de savoir-faire tout autant qu’on y développe une capacité d’adaptation et une grande maturité. On travaille la semaine, et le samedi, on suit un parcours pédagogique et culturel. »

Le 1er septembre 1995, Christophe Possémé part ainsi pour Saint-Etienne. Puis les villes s’enchainent : Marseille, Angers, Le Mans, Nantes, Strasbourg mais aussi l’Angleterre. Au total, il reste 7 ans sur les routes de l’Hexagone et à l’étranger à accumuler les expériences dans divers domaines de la construction.

« À Marseille, j’ai eu la chance de faire les Olympiades des Métiers, où je suis arrivé premier de la Région PACA. Classé troisième au niveau national, j’ai pu ensuite suivre une préparation pour les Olympiades internationales. C’est une période où l’on travaille non-stop. Tous les week-end sont consacrés à la préparation du concours. »

De la taille de pierre à la pose de béton armé, il acquiert de nombreuses techniques au fil de ses expériences. Un atout quand il arrive en Angleterre pour travailler sur un château de l’un des fils de la Reine Elisabeth II en restauration du Patrimoine. « Au Royaume-Uni, il n’y a pas de transversalité comme en France dans les métiers du bâtiment. Nous, aux Compagnons, on apprend aussi bien à poser de la brique, qu’à couler du béton, poser des parpaings, de la ferraille qu’à tailler de la pierre. »

Une expérience considérable pour celui qui se destine, en revenant dans la Marne après avoir effectué « son chef d’œuvre » - un mur de pierres courbe chez un particulier - à entrer dans l’entreprise co-créée par son père, à Muizon. Après s’être essayé aux réalisations monumentales dans son Tour de France, (dont une taille de cube de béton de 2,40 mètres de côté), il passe son examen en janvier 2002 et revient au Bâtiment Associé en tant que conducteur de travaux en maçonnerie.

Une progression dans les responsabilités

Quand il entre dans l’entreprise, elle emploie 90 salariés et fait environ 9 millions d’euros de chiffre d’affaires. Au début, pas question de révolutionner quoi que ce soit, Christophe Possémé, avance « marche après marche ». « J’ai appris une devise de mon père qui était de ‘‘d’abord savoir faire, pour ensuite faire faire et enfin, contrôler.’’ Ce sont des étapes que je me suis toujours évertué à respecter. Et dans une entreprise, jamais rien n’est acquis. Il ne faut pas arriver avant d’avoir franchi les paliers nécessaires. »

Passant du chantier à l’encadrement, Christophe Possémé admet avoir eu besoin de plusieurs années pour maîtriser tous les aspects de son poste. « Après avoir mis beaucoup d’énergie et de travail dans la conduite de travaux, j’ai, en 2005, pris la direction du secteur Gros œuvre. » Là encore, il apprend. Et c’est auprès d’un des associés créateurs qui part à la retraite qu’il entame ce nouveau challenge. En parallèle, il suit un cycle à l’APROBA, dans la formation à la direction d’entreprise.

Durant deux ans, deux jours par mois, il découvre l’administratif, la comptabilité, le juridique, la gestion… « C’est un cycle exceptionnel pour avoir les premières clés dans le management », confie Christophe Possémé, qui veut toujours, avec une grande précision, connaître les tenants et les aboutissants de la nouvelle fonction qu’il est destiné à prendre. « Je fonctionne par challenge. J’avais la main, la technique, il me manquait l’aspect analytique. » Il développe alors le secteur Gros œuvre avec l’objectif d’augmenter le CA de 10% par an, « et c’est ce que l’on arrive à faire ».

Pour atteindre ces objectifs, le Bâtiment Associé s’ouvre à de nouveaux chantiers, diversifie ses activités et embauche des ingénieurs, des techniciens en process industriel. L’entreprise décroche alors de gros marchés comme le collège Pontfaverger ou Université. En 2009, il prend la direction adjointe avec l’ambition de développer la partie construction bois, « aujourd’hui cela paraît normal, mais il y a 10 ans, nous avons dû créer un tout nouveau bâtiment (visible depuis la nationale) pour abriter les poutres et matériels. On changeait vraiment de dimension et nous avons aussi bâti une nouvelle équipe de cadres. »

Une équipe qui s’inscrit toujours dans les valeurs de l’entreprise, « avec le respect d’une image créée par les fondateurs et une réputation à tenir ». Les valeurs justement, elles sont au cœur du projet porté par Christophe Possémé, pour qui la RSE n’est pas un vain mot ou un habillage commercial.

« Chaque salarié a une capacité d’évolution. On ne regarde pas le diplôme, mais la volonté et le parcours. »

Je crois profondément en l’Homme, en sa capacité à évoluer, à se surpasser même, pour atteindre des objectifs.

« On valorise donc aussi bien celui qui sort d’école de commerce que celui qui commence en apprentissage. » Cette visualisation de l’objectif, du sommet, Christophe Possémé l’applique également hors de l’entreprise, lorsqu’il part en haute montagne gravir le Mont-Blanc par exemple, avec son épouse, avec laquelle il partage cette passion. Une ambition et une volonté qu’il met aussi au service de sa profession.

L’engagement syndical au sein d’organismes tels que la FFB ou la CCCA BTP, lui prend certes du temps, mais c’est avec un vrai programme qu’il bâtit, là encore, l’avenir de demain de la profession des artisans du BTP. « Les deux axes que j’applique au sein du Bâtiment Associé, l’Homme au cœur de l’entreprise avec l’épanouissement individuel et le bien-être collectif, dans l’objectif de ‘‘faire corps’’, je le porte aussi au sein des instances dont je fais partie. »

Dans l’entreprise, cela passe par la qualité des équipements, des vêtements aussi, les artisans travaillant souvent dans de rudes conditions climatiques. La protection à tous les niveaux a d’ailleurs permis au Bâtiment Associé d’obtenir la certification MASE qui valorise les entreprises dans leur système de management de la santé, de la sécurité et de l’environnement.

Avec la FFB, il a notamment voulu porter la défense de l’imprévision des prix, en limitant à deux niveaux celui de la sous-traitance. « La sous-traitance en cascade, ça peut entrainer l’esclavagisme moderne. Tous les matins, ma motivation est de faire avancer les choses dans la société et la profession. »

Son implication vient de voir une récompense concrète au sein de l’entreprise puisque le Bâtiment Associé a reçu la certification « Entreprise du Patrimoine Vivant » (EPV), marque de reconnaissance de l’État, mise en place pour les savoir-faire industriels et artisanaux d’excellence. Un savoir-faire qui s’exprime dans la conduite de chantiers d’exception, tels que la façade art déco de l’ancien cinéma Opéra de Reims.

Une évolution de la société qui s’accompagne d’un engagement dans la formation, notamment au sein de l’OPCO Construction. « Avec le CCA BTP, nous accompagnons tous les ans 75 M€ sur tout le territoire pour tout ce qui concerne les projets innovants des centres de formation. » Aujourd’hui, de par ses nombreuses responsabilités, Christophe Possémé met donc « en musique », aussi bien le développement du Bâtiment Associé que les grands sujets de demain de la profession. Une partition que ce joueur accompli de clarinette basse, maîtrise parfaitement.