Catherine Zeimett
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Catherine Zeimett

Féminité et caractère.

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Portrait de Catherine Zeimett
Pleinement légitime aux commandes de la SIF, Catherine Zeimett privilégie toujours l’intérêt de l’entreprise. (Crédit : J. Rivière)

« Je n’avais pas prévu de reprendre l’entreprise fondée par mon grand-père puis dirigée par mon père… » Originaire de Saint-Quentin, Catherine Zeimett était expert-comptable à Reims lorsque son père, Jean-Jacques Staub, gravement malade, décède en 2005 sans avoir préparé sa succession à la tête de la Société Industrielle des Fontes (SIF). « Mon père s’est battu jusqu’au bout pour l’entreprise, qui était sa raison d’être. Je ne connaissais rien à la fonderie mais si je ne bougeais pas, la SIF risquait de disparaître. Comment ne pas penser à tous les salariés et leurs familles ? Comment, ensuite, se regarder dans une glace ? » Alors Catherine Zeimett a fermé ses dossiers d’expert-comptable et ouvert ceux qui se trouvaient sur le bureau de son père, « un par un… ».

La confiance des clients

Aujourd’hui, Catherine Zeimett maîtrise les fondamentaux d’une entreprise industrielle de fonderie. Ce n’était évidemment pas le cas en 2005. « En l’occurrence, être la fille de son père n’était pas un atout. Je n’étais pas du métier, et en plus j’étais une femme ! » Bref, il était clair qu’elle allait saborder l’entreprise. Certains confrères n’ont pas manqué de prendre les devants et… contact avec les clients de la SIF. « Mais nos clients m’ont fait confiance, ont fait confiance à l’équipe. Ils sont restés. » Les salariés, eux, après une phase d’inquiétude durant laquelle il leur a d’ailleurs fallu s’approprier des rôles qu’ils n’avaient pas l’habitude de tenir sous la direction de Jean-Jacques Staub - mais c’étaient bien eux les techniciens, pas Catherine Zeimett -, ont compris qu’elle allait faire face, qu’elle était là pour la SIF, que la continuité serait assurée.

« Je n’ai pas d’ego mais j’ai du caractère. J’ai appris des autres, avec humilité. C’est peut-être plus facile lorsque l’on est une femme. C’est presque un atout dans l’environnement brut de fonderie : les hommes acceptent d’une femme qui les dirige ce qu’ils n’accepteraient pas - ou moins - d’un homme. Un homme a sans doute davantage tendance à évoluer dans le rapport de force. Mais, quand même, il faut apprendre vite ! Et si l’expert-comptable se trouve dans la position de conseiller du chef d’entreprise - ce que je faisais - le chef d’entreprise, lui, est seul pour décider, ce que j’ai dû faire. »

L’intérêt de l’entreprise

Le constat est vite posé : en tant que chef d’entreprise, à plus forte raison d’une entreprise de fonderie, pas question d’être une ‘‘faible femme’’. « Ce n’est pas parce que l’on est une femme que l’on doit céder sur tel ou tel aspect des choses. Cela vaut en interne comme avec les clients. J’ai parfois refusé des commandes qui n’offraient pas assez de garanties. Je considère que l’intérêt de l’entreprise est en jeu. » 17 ans plus tard, il semble que la méthode ait porté ses fruits. La fonderie s’est développée quand d’autres ont disparu. Il y a désormais longtemps que Catherine Zeimett est pleinement légitime aux commandes de la SIF (et de sa société sœur, Simenor, spécialisée dans l’usinage, également fondée par son grand-père).

Matières premières et énergie

Entreprise familiale indépendante, la SIF est spécialisée dans la fabrication de pièces moulées en fonte allant de quelques dizaines de grammes à 80 kg, pour de multiples domaines d’activité : industrie ferroviaire, matériel agricole, hydraulique, robinetterie industrielle, constructions navales, poids lourds, défense, manutention et appareils de levage, voirie…. Elle compte 80 salariés, exporte un tiers de sa production en Europe, pour un chiffre d’affaires 2021 de 9,2 M€.

« Je n’ai pas d’ego mais j’ai du caractère. J’ai appris des autres, avec humilité. »

Si l’entreprise a traversé la crise sanitaire sans trop d’encombre après que Catherine Zeimett eut convaincu le personnel que l’on risquait moins d’attraper le Covid en venant travailler qu’en faisant ses courses, la guerre en Ukraine la touche de plein fouet : « Nous connaissons une très forte inflation sur les prix de nos matières premières (acier, lingots de fonte, ferroalliages…) qui ont été multipliés par 2, 3 voire 4. Le prix de l’énergie est aussi un souci car nous disposons de 4 fours électriques. Cette énergie nous a coûté 500 000 euros en 2021 et si ce coût devait être multiplié par 5 ou 6, comme on le voit pour d’autres entreprises, nous connaîtrions évidemment de très gros problèmes. » Elle aimerait que le prix de l’électricité ne soit plus corrélé à celui du gaz comme c’est actuellement le cas. « Cela crée une distorsion de concurrence avec d’autres pays - comme les États-Unis, par exemple - dans le cadre d’un marché mondial qui applique des règles du jeu différentes. Il faut que le gouvernement fasse quelque chose, sans quoi l’industrie française va mourir… »

Recrutement et investissement

Le recrutement est un autre souci : « Notre seul critère est le savoir-être (arriver à l’heure, respecter les consignes…). La formation est prise en charge à 100 % par l’entreprise. Pourtant, même dans un bassin d’emploi comme celui du Saint-Quentinois, qui n’est pas florissant, nous avons beaucoup de mal à recruter. Cela freine notre croissance. » Alors même que 2022 s’annonce comme une année atypique - et en ce sens presque ‘‘anormale’’ - avec une activité en hausse de quelque 20 % par rapport à 2021 (ce qui est sans doute mieux également qu’en 2019). « Quand tout va bien, nous avons une visibilité de 2 mois. Là, nous en sommes à 6 mois. Nos délais s’allongent, et nous n’arrivons pas à recruter. » Ce qui l’amène finalement à considérer l’avenir comme… incertain.

Pour autant, Catherine Zeimett investira cette année, comme elle le fait tous les ans, entre 500 000 et 800 000 euros dans la productivité, la réduction de la pénibilité du travail des opérateurs, la démarche environnementale… « Cela représente un effort important sur un marché de la pièce mécanique dont la rentabilité est faible. » Dès lors, il faut jongler avec les chiffres, avec l’indispensable et le souhaitable, le raisonnable finalement. Si elle travaille à Saint-Quentin, Catherine Zeimett réside toujours à Reims, effectuant quotidiennement le trajet en voiture - environ 200 km aller-retour. Dans le colloque singulier de l’habitacle, l’expert-comptable conseille-t-elle la cheffe d’entreprise ? « C’est un sas de réflexion, bien sûr. Mais c’est surtout long, et surtout l’hiver... »