Du balai le désordre !
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Du balai le désordre !

Stéphanie Rabourdin Delabrousse. Après une carrière prestigieuse pour un groupe d’enseignes de prêt-à-porter, elle propose des conseils en organisation aux particuliers et aux entreprises.

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« Mes parents tenaient une pharmacie en Saône-et-Loire, je les voyais très organisés au quotidien dans leur officine. Depuis toute petite, j’ai toujours pris plaisir à ranger, classer, ordonner mes affaires », se souvient Stéphanie Rabourdin Delabrousse.  DR

En mars dernier, le grand ménage de printemps s’est transformé en ménage de confinement. Nombreux sont ceux qui ont effectivement mis à profit l’isolement forcé pour lutter contre la propagation du coronavirus, pour trier, ranger et organiser leurs intérieurs. Si ces corvées sont souvent remises à plus tard, elles font désormais partie d’une tendance, le home organizing (traduisez organisation du logement par des techniques efficaces de tri et de rangement). Devenu un véritable business grâce aux best-sellers de la papesse du rangement, la japonaise Marie Kondo, le home organizing s’est également infiltré à la télévision et sur des plateformes mondiales de streaming comme Netflix grâce à des émissions et des séries spécialement dédiées. Récemment, la femme d’affaires très médiatisée, Kim Kardashian, a même créé l’émulation autour de son concept de rangement de réfrigérateur par couleurs des aliments baptisé home edit.

Face à l’ampleur du phénomène en partie alimenté par les influenceurs sur les réseaux sociaux, Stéphanie Rabourdin Delabrousse, qui a occupé différents postes à responsabilités pour des chaînes de prêt-à-porter (Promod, Okaïdi, MSMode...) pendant plus de 25 ans en région Rhône-Alpes, s’est reconvertie dans le domaine en 2019. « J’intervenais dans des magasins de vêtements pour femmes et enfants pour une meilleure gestion des plannings, j’aidais les vendeuses à prioriser leurs tâches. J’avais également pour mission d’organiser les espaces de stockage afin de permettre un gain de temps et d’efficacité. »

Installée près de Besançon, cette ancienne responsable de 27 boutiques et formatrice diplômée d’école de commerce (Institut de formation aux affaires et à la gestion de Lyon) a décidé de faire du coaching en rangement et organisation son nouveau gagne-pain. « J’avais envie de transmettre les compétences acquises au cours de ma carrière dans les commerces d’habillement dans un autre univers. Quand on réfléchit bien, savoir classer, prioriser, hiérarchiser est utile dans de nombreux domaines, des activités de bureau à la logistique », argumente-t-elle. Partie du constat que nous accumulons de plus en plus d’objets et que nous devenons « esclaves de nos possessions », elle propose des solutions de rangement sur-mesure. « Au fil de mon expérience, j’ai identifié quatre problèmes principaux : l’encombrement matériel et donc visuel sur lequel j’agis grâce au home organizing, l’accumulation de paperasse qui se résout grâce à l’office organizing et enfin, les problèmes d’organisation pour lesquels j’utilise des techniques de home management. »

Celle qui voit cette reconversion professionnelle comme un « nouveau départ » et l’occasion de sortir de sa zone de confort, n’est pas à court d’arguments pour vanter les bienfaits du rangement : « les confinements successifs ont permis une vraie prise de conscience sur la nécessité d’avoir un intérieur rangé. L’idée que prendre soin de son intérieur équivaut à prendre soin de soi s’est réellement développée à ce moment-là. Nous vivons une période anxiogène, synonyme de changement et d’adaptabilité permanente. Nos repères changent, notre façon de vivre et de travailler également, c’est la raison pour laquelle vivre mieux avec moins est primordial. En plus de faire réaliser des économies puisque l’on cesse d’acheter en double voire en triple, le rangement allège les tâches ménagères et permettent de gagner de la place et du temps ».

Présentant son activité comme un métier émergeant en France, la coach qui se déplace dans toute la région Bourgogne Franche-Comté insiste sur l’importance d’apprendre à ranger. «  Beaucoup de gens font du sport pour évacuer la pression du quotidien, mais ils oublient que le fait d’évoluer dans un environnement dégagé apaise. On a trop tendance à oublier que le désordre pollue nos esprits. Qui n’a jamais eu de mal à se concentrer en travaillant sur un bureau surencombré ? Une pièce surchargée et mal rangée peut aussi avoir un impact sur le sommeil, le désordre peut également être à l’origine de conflits familiaux, d’épuisement ou d’agacement. Cependant, malgré la connaissance des nombreux bienfaits liés aux espaces ordonnés, le fait de ranger, qui n’est pas inné et encore moins chez tout le monde, ne s’apprend pas. Alors qu’on apprend très tôt aux enfants le langage, on ne leur apprend pas comment bien ranger. Pourtant, la catégorisation est la base du développement intellectuel. »

« Le désordre ne se déplace pas, il s’élimine »

Pour inculquer ce savoir-faire à ses clients, la spécialiste de l’organisation d’intérieur a un mantra bien à elle : «  le désordre ne se déplace pas, il s’élimine  ». Sa méthode ? Procéder au tri par le vide. « Faire le vide est la première phase du processus. C’est la plus difficile car elle implique une prise de décision de la part des clients. À cette étape, je les fais sortir de leur zone de confort. Cette phase remet en question le rapport qu’ils ont avec les objets. Au fur et à mesure de mes interventions j’ai constaté que la majorité de ma clientèle avait du mal à se séparer des objets même ceux qui ne sont plus utilisés depuis un bon moment. Cela s’explique notamment car nous vivons dans une société de consommation où l’identité est notamment définie par l’objet. Mon rôle est donc de les mener à un matérialisme modéré. J’insiste toujours auprès de mes clients sur le fait que garder des objets inutiles, abîmés ou cassés bloque le fait d’entamer de nouveaux projets. Ce métier nécessite beaucoup d’écoute et de psychologie car parfois le fait d’accumuler ou de conserver des affaires qui ne servent plus peut être la traduction d’un trouble très profond », explique-t-elle. Pour permettre à ses clients de retrouver une paix intérieure et une harmonie dans leurs intérieurs, elle les aide donc à évacuer les objets qui «  pèsent lourd sur leurs épaules ».

« En entreprise, on me sollicite essentiellement pour des problèmes d’accumulation de documents et pour une meilleure gestion du temps. »

Convaincue que faire le vide permet à ses clients de reprendre confiance en eux, Stéphanie Rabourdin Delabrousse souhaiterait que le home organizing soit davantage considéré. « C’est plus qu’une activité de développement personnel. D’ailleurs, ce métier est régi par la Fédération francophone des professionnels de l’organisation (FFPO) créée en 2017, cela prouve le sérieux et les réglementations liées à cette activité. À terme, j’envisage de contacter les mutuelles qui remboursent des séances de sport à certains malades. Pourquoi ne pas envisager le remboursement de quelques heures de coaching en rangement par an quand ça peut véritablement transformer des vies ? J’ai rencontré des personnes qui étaient devenues esclaves du rangement, qui subissaient leurs vies et étaient dépressives… Certains de mes clients ont même pu se débarrasser de leurs problèmes de poids après être allés au bout du processus. C’est une reprise de contrôle sur leurs vies. Les personnes se sentent en effet plus fortes parce qu’elles ont réussi à prendre des décisions. Trier c’est choisir et donc renoncer et avancer. Le tri a un réel pouvoir libérateur. »

Psychologie et bienveillance

Si elle compte essentiellement des clientes débordées par l’accumulation du linge et des papiers, la pro du tri est de plus en plus sollicitée par les entreprises. « Pour les interventions sur la maison, c’est principalement des femmes, à l’inverse, au niveau des entreprises je suis essentiellement contactée par des hommes. Pour les professionnels, les deux problèmes récurrents sont les tas de papiers ainsi que la gestion du temps. En termes d’âges, c’est très large. Pour la partie domicile, c’est des gens de 30 à 65 ans, pour la partie entreprise, c’est surtout les 40-60 ans. Les entreprises étant de plus en plus intéressées par des formations à l’organisation et à l’optimisation, je souhaite développer cette prestation  », détaille-t-elle.
En moyenne, quatre à cinq séances sont nécessaires pour aller au bout de la démarche. « Cela dépend du volume d’encombrement et des problématiques rencontrées », développe celle qui propose également ses services pour soutenir les proches d’un défunt lorsqu’il s’agit de vider un lieu d’habitation. Dans ce métier, la psychologie est au cœur des missions : « j’ai déjà été appelée par des personnes retraitées qui souhaitaient faire du tri avant de mourir pour ne pas laisser cette tâche à leurs enfants. J’ai aussi été un soutien auprès de parents qui avaient perdu un enfant et dont il fallait rapidement vider le logement… Ce sont des moments très difficiles qui impliquent un deuil de la personne notamment en se séparant de ses effets. L’écoute et la bienveillance sont primordiales dans ce métier  », assure-t-elle.
Animée par le désir de transmettre son savoir, Stéphanie Rabourdin Delabrousse travaille sur l’écriture d’un livre contenant ses meilleures astuces ainsi que des photos et anecdotes.

contact : ranger.bien.etre@gmail.com