Iemza
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L’envol artistique.

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Iemza dans son atelier, entouré de nombreuses de ses œuvres. (Crédit : N. Desanti)

C’est en surplomb de la place du Forum, à Reims, que l’artiste rémois Iemza (il tient à garder son identité pour le cercle intime mais livre discrètement que son nom d’artiste est l’anagramme d’aimez) a posé ses toiles, bombes de peinture et pinceaux. En hauteur. Faut-il y voir un écho à ses œuvres, empreintes de légèreté, aux traits de crayons élégants et aériens ? On se risquerait à le penser lorsque l’on sait que l’essor de sa carrière d’artiste, dans une parfaite métaphore, a décollé grâce à sa série d’œuvres portée par le thème de l’envol.

« Onirique et dystopique », l’univers d’Iemza est empreint « de rêves, de fantasmes, d’architecture aussi ». Les bâtiments, les hautes tours, le béton, les lignes droites et géométriques au cœur desquelles il a grandi dans le quartier du Mont Bernon à Épernay ont forgé son empreinte artistique. « Ce quartier, posté sur les hauteurs, contraste avec le reste de la ville. Mais je m’y suis toujours senti bien. On était beaucoup dehors, à jouer sur les dalles de béton, entourés de ces grands immeubles. En tant qu’enfant, c’était un super terrain de jeu. » Ce milieu très urbain nourrit l’inspiration du jeune homme, qui, à l’époque déjà, dessine, peint, suivant les traces de son père qui à ses heures perdues colore le papier sur fond de musique rock. Baigné par les cultures alternatives, il s’ouvre à la musique, au cinéma, à la bande-dessinée, aux jeux vidéo grâce auxquels il cultive son imaginaire.

Dépoussiérer les codes

Il intègre petit à petit le milieu du street art, recherchant des endroits en friche, encore vierges de toute impression et commence à peindre. Or dans la région, les terrains ‘‘vagues’’ de manquent pas : « Usines, biscuiteries, voies ferrées, casernes désaffectées… » Mais loin des graffs « pop » très colorés, Iemza pare les murs de sorte de coups de crayons géants, « pourtant effectués à la bombe ». « Très rapidement, j’ai ressenti le besoin de créer, il fallait que je le fasse tous les jours. Je prenais mon vélo et j’allais à la recherche d’endroits où je pouvais m’exprimer. » En noir et blanc, ses créations convoquent les univers de Philip.K.Dick, John Carpenter, Enki Bilal… « Je suis un fan d’images. Le dessin, la photographie… Je regarde beaucoup de films, de séries et je vais être aussi sensible à Métropolis de Fritz Lang qu’à West Side Story de Robert Wise. » Le dénominateur commun restant souvent, une interprétation différente de la ville.

« C’est beau de se dire qu’à 16 ans je voulais faire de l’art ma vie, et aujourd’hui, d’arriver à en vivre »

Mais à 20 ans, l’art, « acte gratuit » ne nourrit pas, et jeune papa, Iemza doit penser à gagner sa vie. Impossible néanmoins de se diriger vers un métier où la création est absente. « J’ai commencé à intégrer un collectif, avec des amis photographes, designers etc. Nous avons monté une boîte de communication et on éditait aussi un magazine culturel ‘‘Come Unity’’. On voulait dépoussiérer les codes et montrer qu’on pouvait communiquer autrement. On avait professionnalisé la chose et loué un appart transformé en un espace de co-working. C’était rassurant d’avoir des clients, des commandes. » S’en suit alors pêle-mêle des collaborations avec le CROUS, l’Université, la Cartonnerie... « Mon travail avait toujours un rapport avec le dessin. J’ai réalisé des visuels, des fresques, des flyers, des illustrations, beaucoup d’illustrations : d’une communication institutionnelle à des pochettes de CD pour des artistes. »

Trouver sa singularité

Parallèlement à cette activité, le jeune homme continue de dessiner et, en 2007, il apparait dans un ouvrage écrit par l’auteur et artiste britannique Tristan Manco, Street Sketchbook. Le livre présente les croquis d’artistes internationaux du genre, de l’idée griffonnée sur un carnet jusqu’à la réalité finale du gigantisme des espaces abandonnés des mégalopoles, de Londres à New-York en passant par Mexico. Il y côtoie les grands noms internationaux dont le plus célèbre d’entre-eux, Banksy. « Cette publication m’a conforté dans le sentiment d’être dans la bonne direction », confie-t-il. Mais le grand tournant intervient en 2014. À ce moment-là, une exposition avec de nombreux artistes locaux est organisée au Centre des Congrès de Reims. À cette occasion Iemza y rencontre un public et constate que ses œuvres plaisent. « J’ai mis du temps à me trouver, j’ai évolué et je pense qu’à cet instant-là, j’étais en accord avec moi-même et avec ce que je proposais. Quand je crée, je mets plein d’éléments de ce que je vois passer, c’est un mélange pour en faire, au final, quelque chose qui m’est propre. »

Trouver son identité, sa singularité prend du temps. Un long processus qui a amené Iemza à s’attacher à l’histoire de la ville où il vit depuis plus de 20 ans. Avec comme point d’orgue, ses interprétations de la cathédrale. « Vivre de son art, plaire et faire tout cela sans se perdre, se désavouer, c’est un véritable équilibre. » Discret et peu enclin au jeu du marché de l’art, c’est une rencontre avec une personnalité locale qui sera déterminante. « Lors de cette exposition, j’ai fait la connaissance du promoteur rémois Benoit Migneaux. Féru d’art, il m’a acheté des œuvres et a commencé à me faire connaître tout autour de lui. » Un point de départ avant de nombreuses collaborations avec des entreprises locales. « J’ai eu envie à ce moment-là, de m’extraire de la peinture en extérieur et de produire sur de grandes et belles toiles. J’ai fait des résidences et je défendais mon regard sur le monde. Et cette démarche, a mis presque 15 ans à voir le jour. »

Des toiles à l’impression A3

D’autres rencontres finissent de le positionner dans l’écosystème rémois, comme celle avec Arnaud Bassery, à la tête de [Quartier Libre, à qui il reconnaît « avoir un vrai talent pour créer des passerelles entre pleins d’acteurs différents ». « Là encore, cette rencontre a fait bouger les lignes. Avec Quartier Libre, l’idée a été en 2015, sur le marché de Noël, de prendre un chalet, de réunir tout un ensemble de créateurs locaux et de les mettre en avant. C’est là que j’ai commencé à vendre des impressions en format A3 de mes toiles. Ça a permis à pas mal de gens de voir et de diffuser mon travail, un peu partout. »

L’effet « boule de neige » est là et de nombreuses entreprises renommées font appel à lui pour du packaging de prestige. Ainsi, les biscuits Fossier lui commandent un envol de cathédrale pour une boite de Biscuits roses, le champagne Bauchet, une impression sur une de ses bouteilles pour célébrer les 100 ans de la maison ou encore Veuve Cliquot, la couverture du numéro anniversaire de son magazine. Récemment, c’est à Laon, sur les façades d’immeubles de la ville ou encore dans les locaux de l’entreprise Demathieu Bard, à Reims, qu’Iemza est venu apposer ses pinceaux.

Et cet ancrage local, il y tient. « J’ai besoin de rapports humains simples pour imaginer « un business ». On peut faire des choses ici, et s’exporter. Mais en Champagne, il y a tout un vivier de talents. » Ses prochaines collaborations se feront dans le milieu sportif, avec le Champagne Basket. Dans la Cité des Sacres, toujours. Dans l’intimité de son atelier, entouré de toiles, crayons et couleurs, figurines pop et objets chinés, il confie : « Ce schéma-là me correspond bien. C’est beau de se dire qu’à 16 ans je voulais faire de l’art ma vie, et aujourd’hui, d’arriver à en vivre. »