Laurent Philippot
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Laurent Philippot

Il met les microbes à l’honneur.

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Cette année le parcours professionnel de Laurent Philippot a été récompensé par le Laurier 2021 du défi scientifique. INRAE - CHRISTOPHE MAÎTRE

Le champ de recherche de Laurent Philippot concerne les communautés microbiennes impliquées dans le cycle de l’azote. Par ses travaux, il cherche à optimiser l’absorption de l’azote issue de ces processus microbiens par les plantes. Enjeu ? Réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à l’utilisation d’engrais azotés en agriculture.

Quand on lui demande d’où lui vient cette passion pour l’écologie microbienne, l’homme répond : « J’ai toujours aimé faire pousser des plantes. Adolescent, je m’imaginais déjà faire de la recherche sur les plantes. Toutefois, je ne me sentais pas très motivé par des études longues. J’ai alors choisi d’entrer en pharmacie, pensant boucler mes études en cinq ans. Plus tard, j’apprenais que ce quinquennat n’était valable que si l’on souhaitait ouvrir une officine, pour la recherche, il fallait ajouter quatre ans supplémentaires. Heureusement, je n’ai pas été pris et je suis rentré à l’université pour un master en biologie des populations, raconte-t-il ».

Un enjeu sociétal fort

« C’est là que des chercheurs, qui nous donnaient des cours de microbiologies, m’ont dit, cherchant à recruter des étudiants pour leur discipline, que ce n’était pas en poursuivant dans la voie de la botanique que je pourrais travailler sur les plantes, qu’il n’y avait pas de recherche là-dessus, qu’enfin, si je choisissais la voie des microbiennes je serais comblé : “chez nous, on fait encore pousser des plantes”, m’ont-ils affirmé. Je les ai crus, j’ai mis le doigt dans l’engrenage et je n’ai plus jamais quitté la discipline. Le tout, sans regret car j’ai finalement compris que ce qui me motivait réellement c’était la recherche en elle-même, avancer dans le noir, nourrir ma curiosité, participer à la construction de la connaissance, avec en plus cette idée d’être utile à la société. C’est pourquoi j’ai d’abord choisi les plantes et la pharmacopée, j’y voyais un enjeu sociétal fort, en lien avec la santé. Cette quête de la recherche qui fait sens, utile à la société, je l’ai pleinement retrouvée avec l’agroécologie microbienne, sur le volet environnemental. »

Après sa thèse d’écologie microbienne soutenue, en 1997, à l’université Claude Bernard de Lyon, il passe le concours d’entrée à l’Inrae et, quelques mois plus tard, intègre l’institut dijonnais, comme chargé de recherche. Des envies de globe-trotter se font très vite jour chez Laurent Philippot : « Comme je n’avais pas pu faire de post doctorat, en 2000 je suis parti en mission longue durée (un an) à Altanta aux État-Unis, une sorte d’année sabbatique hors de mon labo dijonnais. J’étais chercheur invité à la Georgia Tech. À cette époque, nous étions au tout début du séquençage du génome, aux bases de la bio-information, de l’étude de la variation des gènes sur le génome. Sur place, j’ai travaillé sur le codage des fonctions liées au cycle de l’azote », raconte le chercheur.

Parmi les chercheurs les plus cités au monde

L’expérience lui plaît tellement qu’il récidive en 2009, à l’université suédoise des sciences agricoles cette fois, où il s’intéresse à la caractérisation des populations bactériennes impliquées dans le cycle de l’azote et leur impact plus ou moins important sur l’effet de serre. Même si son point de chute reste Dijon, notre Indiana Jones du monde mircobien et végétal passe ainsi en moyenne 15 jours par mois à l’étranger (données post Covid s’entend). Europe, Chine ou États-Unis, il parcourt le monde pour enrichir ses nombreuses publications de conférences devant plusieurs centaines de personnes.

« Avancer dans le noir, nourrir ma curiosité, participer à la construction de la connaissance, c’est cela qui m’a motivé pour devenir chercheur, avec en plus cette idée d’être utile à la société »

Auteur de plus de 160 articles, parus dans des revues scientifiques prestigieuses (Nature Climate Change, Nature Microbiology Reviews, Microbiome, Nature Food, Global Change Biology, ou encore The ISME Journal, revue de renommée dans le domaine de la microbiologie et de l’écologie dont il est également le rédacteur en chef...) il figure aujourd’hui parmi les 136 microbiologistes et les 150 chercheurs français les plus cités au monde. Posé, réfléchi, pragmatique, animé par l’envie de faire une recherche d’excellence, de niveau mondial, Laurent Philippot se voit confié, au côté d’un de ses confrères Philippe Lemanceau, la réflexion sur la fusion de leurs deux équipes, ce qui aboutit à la création de l’UMR Microbiologie et géochimie des sols.

Première pierre de ce qui deviendra l’UMR Agroécologie, au sein duquel il occupe le poste de directeur de recherche depuis 2007. Dans cette Unité mixte de recherche (UMR), qui rassemble agronomes, microbiologistes, biochimistes, généticiens, écophysiologistes des plantes, on s’intéresse à l’écologie des communautés microbiennes, aux processus microbiens et au fonctionnement des écosystèmes. On étudie plus particulièrement les communautés microbiennes impliquées dans le cycle de l’azote et les émissions de gaz à effet de serre.

Comprendre l’importance des microbes

« L’azote, c’est 80 % de notre air. C’est un élément essentiel à la croissance des plantes, c’est une pièce maîtresse de la chimie de la photosynthèse (processus qui permet de transformer l’énergie solaire en matière organique. Ndlr). Sa présence influe sur la teneur en chlorophylle d’une plante et donc sur le rendement de la photosynthèse. Or les végétaux seuls ne peuvent pas absorber l’azote de l’air, ils n’ont accès qu’à ses formes nitrées présentes dans la terre. Les bactéries sont l’unique organisme capable de fixer l’azote de l’air pour le transformer en nitrate dans le sol, soit pour elles-mêmes, soit pour les plantes via des symbioses. Avec la découverte, en 1909, du procédé Haber-Bosh de fixation artificiel du diazote atmosphérique sous forme d’ammoniaque, les hommes ont pu produire de manière industrielle des engrais chimiques azotés et ainsi nourrir la planète. »

« Cette avancée majeure a son revers de médaille : les installations industrielles mettant en oeuvre ce procédé ont un impact écologique important, avec notamment des fuites dans les nappes phréatiques. De plus l’azote ainsi apporté n’est pas totalement assimilé par les plantes. Les bactéries du sol l’utilisent pour respirer, rejetant un tiers de l’engrais épandu sur le champ dans l’atmosphère sous forme de gaz à effet de serre. C’est sur un moyen de réduire au maximum ce phénomène de “double peine” que nous travaillons. »

« Aujourd’hui, mes recherches s’écartent un peu du pur cycle de l’azote pour tenter de mieux comprendre les règles d’assemblage des différentes communautés microbiennes impliquées dans le cycle de l’azote. Chacune d’entre elles présentent des fonctionnements différents ayant un impact plus ou moins important dans la production de gaz à effet de serre. Comprendre leur répartition est essentiel pour pouvoir espérer orienter leur comportement en vu de réduire les pertes d’azote et minimiser l’effet de serre (un peu à l’image de ce que réalise en médecine avec le microbiote intestinal. Ndlr) », développe le chercheur.

Un champ de recherche fondamental

On le voit, ce champ de recherche est fondamental et les avancées initiées par Laurent Philippot lui ont valu d’être récompensé en 2019 par le prix du scientifique émérite de la Chinese Academy of Science, puis le 29 novembre de cette année par le Laurier 2021 du défi scientifique. À cette dernière récompense s’est ajoutée presque coup sur coup la proposition de coordonner le Projet Harmi porté par l’UBFC et doté d’un budget de 14 millions d’euros.

« Harmi, c’est un formidable projet fédérateur qui rassemble 250 chercheurs en Bourgogne Franche-Comté en microbiologie environnementale. Nous avons la chance de posséder ici un écosystème très complet sur le sujet et assez unique qui va de l’étude des bactéries alimentaires (fermentation, non conservation des aliments), aux paléoécosystèmes microbiens, en passant par la santé humaine (résistance aux antibiotiques), la contamination des sols, l’interaction microbes et santé/alimentation humaine... Ce projet va permettre d’accroitre l’attractivité de nos laboratoires régionaux et ouvrir des voies nouvelles pour répondre aux problématiques mondiales actuelles ».