Mathieu Guillaume
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Mathieu Guillaume

L’entrepreneur a toujours la frite.

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Portrait de Mathieu Guillaume
Mathieu Guillaume est le fondateur et gérant de Saveurs Frites (Crédit : N. Champenois)

« Tous les matins, je suis hyper content d’aller faire des frites et de les livrer, de voir ma clientèle. C’est toujours un plaisir », confie Mathieu Guillaume. Si l’agriculteur aubois a réussi à devenir également un chef d’entreprise heureux, il aura dû faire preuve de ténacité pour creuser son sillon. Car avant de revenir sur les terres de l’exploitation familiale et de créer en 2012 Saveurs Frites, ce sont « des expériences professionnelles catastrophiques » qu’il estime avoir vécues. En 2005, avec en poche le BAC ES et le diplôme de l’ESC de Dijon, il commence par voyager : « Je ne savais pas ce que je voulais faire. Je suis donc parti en Australie pendant six mois. Ensuite, tous les métiers que j’ai trouvés étaient trop cloisonnants, pas assez ouverts. J’avais beaucoup de mal avec la hiérarchie », reconnaît Mathieu Guillaume. De plus, suite à son expérience en tant que stagiaire chez IBM – son but était alors d’expérimenter ce qu’était une grande entreprise -, il est inlassablement recruté pour des postes dans l’informatique : « Je me suis senti un peu piégé ». Difficile pour quelqu’un se voyant bien « bosser à l’export ».

« Après avoir travaillé pendant quelques semaines chez Xerox à Genève, j’ai été embauché à Paris par France Agricole pour vendre de la publicité. Puis j’ai été chargé de mission à l’UNPT, l’union nationale des producteurs de pommes de terre, qui dépend de la FNSEA, à Paris », explique-t-il. Là encore, si le fait de travailler dans un domaine qui lui plaît est très positif, c’est une fois de plus l’aspect trop fermé, trop administratif qu’il déplore. De 2005 à 2010, il aura ainsi passé cinq longues années à chercher sa voie : « Je me suis vraiment demandé ce que j’allais faire, sincèrement ».

En juillet 2010, sa décision est prise. Il quitte L’UNPT et Paris pour revenir dans l’Aube, sur la ferme familiale de Villiers-Herbisse dont il prendra les rênes en janvier 2011, « avec l’objectif de créer quelque chose, sans savoir quoi ». Un article de presse sur des éleveurs normands, ayant investi dans la frite, attire son attention. L’agriculteur aubois réalise alors que le secteur n’est pas réservé aux industriels. Mais l’idée mettra quand même un an à germer. « En décembre 2011, j’ai fait venir des constructeurs de machines. Ils m’ont expliqué comment le marché fonctionnait. En février 2012, j’ai décidé de me lancer et de créer Saveurs Frites », relate le chef d’entreprise aubois.

Une gestion prudente

En gestionnaire prudent, il commence par s’adresser à un agriculteur local, déjà spécialiste de la transformation de carottes : « Au début j’ai fait faire des frites en prestation de façon à ne pas investir d’argent et pour me concentrer sur la prospection de clients. Tout en travaillant à mi-temps sur la ferme avec mon père. Je me suis acheté une fourgonnette d’occasion pour aller trouver mes premiers clients – et les livrer – d’abord localement, à Troyes, Châlons et Reims. C’est d’ailleurs lors d’une livraison aux Crayères que j’ai rencontré le chef Philippe Mille – qui a vraiment compté. Grâce notamment aux contacts qu’il m’a donnés, je suis allé prospecter à Paris très rapidement. Je prospectais deux heures par jour. Ensuite, j’ai voulu ne plus avoir de prestataire afin de gérer au mieux les spécificités de la production de frites crues », fait valoir Mathieu.


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En 2016, il crée son laboratoire sur la ferme. « Ça a vraiment bien décollé en 2017, le chiffre d’affaires a doublé alors que je travaillais encore à mi-temps sur la ferme. J’étais encore très présent commercialement sur Paris. Le bouche à oreille a vraiment bien fonctionné. J’ai eu beaucoup de chance. Des personnes clés m’ont beaucoup aidé, comme des grossistes à Rungis ou des restaurateurs qui m’ont donné tout de suite les bons contacts », sourit-il. Malheureusement la crise sanitaire du Covid-19 viendra assombrir le tableau. Malgré une perte d’argent importante, l’entreprise maintient le cap et continue de livrer ses clients parisiens, des fabricants de burgers à emporter notamment : « On n’a fermé que trois semaines. C’était bien de ne pas s’arrêter car ces clients sont encore là ».

La qualité avant tout

Ce qui fait le succès de Saveurs Frites, c’est avant tout la qualité du produit, dont le bouche à oreille témoigne. « Je produis les pommes de terre, je les transforme et les commercialise. 70 % de la production est vendue sur Paris, le reste en province. Ne pas avoir d’intermédiaire nous permet de maîtriser la qualité. Nos frites artisanales sont fraîches (non précuites et non surgelées), sans conservateur ni bisulfite ou autre additif », assure le dynamique chef d’entreprise. Toute la France est livrée par transporteur en 24 heures. La DLC (Date limite de consommation) est de neuf jours et quasiment tous les clients sont réapprovisionnés deux fois par semaine.

Sur les 110 hectares de pommes de terre produites par son exploitation agricole, 40 hectares seront, à la fin de l’année prochaine, destinés à la frite – le reste étant vendu à des négociants sur le marché de l’export. « Les frites sont faites exclusivement à partir des pommes de terre que je cultive. L’objectif est que Saveurs Frites en achète de plus en plus à la ferme », souligne-t-il. Parmi les cinq variétés produites à Villiers-Herbisse, c’est l’Agria qui est transformée en frites.

« Ce que j’aime bien, c’est que la frite s’adresse à tout le monde, on livre aussi bien le palace que le routier du coin », glisse-t-il. La production de pommes de terre emploie deux personnes à la ferme. Huit personnes s’occupent de la production et de la livraison des frites. « Nous fournissons en ce moment 130 tonnes de frites par mois. Nous avons beaucoup progressé depuis le début de l’année et espérons un chiffre d’affaires annuel de 1,6 million d’euros », se félicite le dynamique passionné.

Président du CJD de l’Aube

Cela fait dix ans qu’il a créé son entreprise, mais seulement deux ans qu’il se sent à l’aise dans la maîtrise de sa gestion. Que ce soit sur le plan sanitaire ou au niveau des livraisons ou encore du management. « Dans la réussite de Saveurs Frites, le CJD (Centre des Jeunes Dirigeants) compte beaucoup. J’y suis rentré il y a quatre ans, à un moment où j’ai cru que je n’allais pas tenir. Le CJD m’a aidé à prendre du recul, à recruter les bonnes personnes, à avoir une vision plus large, à être plus optimiste, peut-être. Ils m’ont fait prendre conscience de la nécessité d’écouter mes besoins en matière de communication. Cela m’aide encore énormément pour élaborer ma stratégie commerciale », explique Mathieu Guillaume, qui est depuis juillet dernier, et pour deux ans, le président du CJD de l’Aube.

Le chef d’entreprise se prépare aujourd’hui à élargir ses circuits de distribution : « Saveurs Frites s’adresse aux restaurateurs. J’ai un nouveau projet. Celui de proposer, dès la rentrée, des barquettes de frites en grande distribution, pour les particuliers. Car, à ma connaissance, un seul acteur le fait, et c’est dans le nord de la France ». Mathieu Guillaume veut montrer que l’agriculture peut évoluer. « Auparavant, les gens avaient soit la vision du gros exploitant agricole soit celle de l’agriculteur qui cultive le petit potager. L’entre-deux n’était pas possible à leurs yeux. Je trouve que cette image est en train de changer ».