Sandrine Dovergne
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Sandrine Dovergne

Du vin dans les voiles

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Photo de Sandrine Dovergne
Auparavant dans l’enseignement puis dans la culture, Sandrine Dovergne s’est installée en Bourgogne avec sa famille, à leur retour de leur périple transatlantique en catamaran. Elle y a depuis créé son domaine avec son mari, Olivier, en Côte chalonnaise. (Crédit : JDP)

Ce jour-là à Moroges, en côte chalonnaise, il fait un vent à ravir un marin, des rafales qui doivent rappeler des souvenirs nautiques à Sandrine Dovergne. Pour l’heure, la propriétaire du Domaine de la Luolle bataille avec la porte de la cuverie, où l’on pourra discuter à l’abri des bourrasques...

Cuves béton à gauche, fûts de bois à droite et au-dessus la statue de Saint-Vincent qui veille sur la Luolle depuis deux ans car confiée au Domaine... l’année du confinement ! Sandrine est, avec son mari Olivier, à la tête de la Luolle depuis 2017.

Huit hectares menés depuis 50 ans en bio avec au menu des givry, mercurey, bourgogne Côte Chalonnaise et effervescents ; le couple a fêté en 2021 leurs cinquièmes vendanges. Une nouvelle vie alors qu’ils avaient tous deux passés la quarantaine, un pari « complètement dingue » aux yeux de leurs amis restés dans le Nord de la France, mais ces deux-là ne sont pas à leur premier « grain de folie » comme dit Sandrine qui en est persuadée : l’installation à La Luolle est l’aboutissement d’un processus au fond, parfaitement cohérent...

Ancrés à un rêve

Retour à Lille, quelques années en arrière. Olivier, ingénieur, spécialiste des architectures réseaux conseille les entreprises pour concilier développement durable et stockage des données en promouvant les green centers. Sandrine est professeur d’histoire-géo, puis chargée des relations entreprises et du mécénat culturel au théâtre Colisée de Roubaix.

Les deux sont membres d’un club de vins, un monde qui les passionne. Olivier a une autre passion : la navigation. Sandrine n’a pas exactement le pied marin, mais se laisse embarquer... C’est ainsi que naît l’idée d’un voyage transatlantique en catamaran. Avec à bord, en plus des jumeaux du couple... une cave à fond de cale !

Les Dovergne souhaitent en effet, à chaque escale, aller à la rencontre des habitants, partager un repas en invitant à table un flacon de vin. Philippe Faure-Brac (meilleur sommelier du monde 1992) accepte d’être le parrain de ce pari pas banal. Les Dovergne vont ensuite solliciter les vignerons qu’ils aiment ; une trentaine d’entre eux vont confier des bouteilles parmi lesquels des bourguignons : le Domaine Alain Jeanniard à Morey-saint-Denis, le Domaine de l’Europe à Mercurey, le Domaine Clotilde Davenne à Chablis, le Domaine Landrat-Guyollot à Saint-Andelain... Les laboratoires Dubernet se chargeront eux d’une analyse chimique des vins avant et après le voyage. L’épopée a un nom, poétique et aventureux à la fois : Vents d’Anges.

En octobre 2014, les Dovergne lèvent l’ancre sur le W-Alter, leur catamaran dans lequel ils ont investi leur capital. Départ de La Grande Motte, direction... Les Baléares ! La suite, Sandrine l’a racontée dans un livre, écrit pendant le confinement : Les Vins et les Autres (éditions Tonnerre de l’Est). Elle y décrit les rencontres, inoubliables et le vin, merveilleux ambassadeur.

On salive en lisant le récit d’un Mercurey qui offre ses notes chez Élisa et Matéu autour de plats minorquins, d’un Pouilly Fumé avec une morue à Palma de Majorca, d’un vin belge pétillant à Carthagène, d’un Collioure aux Canaries, d’un sancerre blanc de chez Mellot en Martinique, les Grenadines, les Saintes... jusqu’à Cuba où le vin doit trouver sa place dans cette terre où coulent la bière et surtout le rhum !

Dernière escale en Bourgogne

Après un an et demi de voyage, c’est au retour entre Bahamas et Les Açores que les Dovergne en ont la certitude : la suite de leur vie se fera dans le vin. En Bourgogne, car c’est là que le terroir s’exprime le mieux et que l’art du vigneron s’exerce en virtuose.

La Côte-d’Or étant hors de prix, ils se dirigent vers la côte chalonnaise où les choses vont s’enchaîner de manière magique... ou presque : « Je suis persuadée qu’on crée notre chance », insiste Sandrine qui cite volontiers Éluard : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous ». Débarqués en France le 14 février 2016, les Dovergne louent un gîte et prospectent. Très vite, Olivier est embauché dans un domaine de Mercurey comme ouvrier viticole et s’inscrit à Beaune pour passer le BPREA viticulture. Sandrine elle, devient assistante de direction au Domaine Olivier Leflève. « Comme tous mes boulots, j’ai adoré, se souvient-elle. J’ai beaucoup appris. Et surtout que les clients qui dégustent du vin viennent chercher des moments de vie ».

« Vigneron, c’est beaucoup plus fou que de traverser l’Atlantique ! »

Elle saura s’en souvenir... Un an passe et Olivier découvre que des vignes sont à reprendre en côte chalonnaise, la seule condition étant de les poursuivre en bio. Une évidence pour le couple. W-Alter leur a appris que les éléments sont souverains et qu’il faut en être les accompagnateurs généreux, même quand la nature se montre cruelle et que la paperasse administrative multiplie le boulot par deux... « Vigneron, affirme Sandrine, c’est beaucoup plus fou que de traverser l’Atlantique ! » Mais l’expérience à bord a ancré en eux des comportements et un tempérament qui seront leurs moteurs : la rigueur, la précision, l’habitude du labeur, l’attention aux éléments, l’adaptation permanente et le « grain de folie » qui les fait oser.

Respect de la biodiversité et de l’être humain

Dès l’origine, au sein des huit hectares de ce qui deviendra le Domaine de la Luolle, 30 % des parcelles sont donc expérimentés en biodynamie. C’est du 100 % depuis 2021 : les Dovergne fortifient leurs vignes par l’usage de la bouse de corne, de la silice, de compost naturel, dans le respect des cycles lunaires et de la biodiversité - incluant la plantation d’un verger, d’un bois, l’élevage d’un troupeau de moutons et d’un cochon nommé Garbit, qui refusera obstinément de quitter son abri. Enfin, et fondamental pour le couple « le respect de l’être humain. Nous sommes quatre en permanence sur le Domaine, 30 en période vendanges, il faut pouvoir être transparents, dire et se dire les choses, les bonnes comme les moins bonnes ».

La Luolle produit quatre blancs, six rouges et six effervescents. « Le retour des clients sur nos vins est qu’ils sont faits dans le respect du fruit, qu’ils sont droits, purs. Et je le dis : on a les clients et les vendanges qu’on mérite. » Si l’expérience vous tente, une escale à La Luolle est évidemment possible, pour une dégustation accompagnée par Sandrine et même une ou plusieurs nuits à « La Petite Luolle » où vous dormirez au-dessus des caves. De quoi faire de jolis rêves, bercés peut-être par le murmure des Vents d’Anges...