Politique

Olivier Dupéron : « La radicalisation de la vie politique française est évidente »

Politique. Olivier Dupéron, Professeur de Droit public, politologue, Vice-président de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, avance les enjeux politiques de l’année 2024.

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Photo d'Olivier Dupéron
Olivier Dupéron : « Il faudra surveiller la progression de la campagne électorale aux États-Unis avec la perspective, peut être, d’un retour de Trump ». (Crédit : DR)

En septembre 2023, les élections sénatoriales qui ont notamment vu l’arrivée de trois nouveaux Sénateurs marnais au palais du Luxembourg (Anne-Sophie Romagny, Christian Bruyen et Cédric Chevalier) ont-elles modifié le paysage politique français ?

Les sénatoriales font directement le lien avec l’actualité la plus immédiate, puisqu’on a vu le rôle du Sénat sur ce qui finira par devenir probablement la loi immigration. Les sénatoriales n’ont pas été surprenantes, elles ont renforcé le Sénat, comme étant la poche de résistance de la droite française. Il y a évidemment quelques lignes qui ont bougé avec dans la Marne, un premier sénateur Horizons (Cédric Chevalier) mais le Sénat reste quand même massivement Républicain ou gravitant autour des Républicains. Le parti Horizons représente en effet une droite macron-compatible, et on comprend bien qu’elle est là pour préparer la suite, et notamment la candidature d’Edouard Philippe. Le Sénat apparaît comme une opposition qui n’est pas systématique, par rapport au gouvernement, mais avec une petite musique nettement différente de celle de l’Assemblée nationale. Le président du Sénat marque assez fréquemment ses points de divergence avec le gouvernement et avec le Président de la République et, on l’a vu avec le texte sur l’immigration, il a une réelle influence directe et décisive.

Le Sénat peut-il donc être un vrai contre-pouvoir aujourd’hui ?

Oui, on peut le qualifier de contre-pouvoir. C’est d’ailleurs sa fonction et c’est très bien ainsi. Parfois, on entend « mais à quoi ça sert ? Est-ce qu’il ne faudrait pas supprimer le sénat au-delà de la période actuelle ? » Or, le Sénat sert justement avoir une double lecture, un double regard sur les textes de loi, sur les projets qui sont soumis au Parlement. Il sert aussi à éviter ce qu’on a appelé le régime d’Assemblée et un monopole de l’Assemblée nationale qui pourrait être très défavorable du point de vue de la construction des textes de loi. De plus, le Sénat représente les territoires, les collectivités, alors que l’Assemblée nationale, c’est la représentation plus directe du peuple. On est dans l’instantané politique avec l’Assemblée nationale, on est dans un temps plus long avec le Sénat. C’est bien de conserver ces deux regards.

On sort d’un épisode plutôt chaotique avec la loi immigration. Qu’est-ce que ça dit de la manière dont est construite la majorité et comment elle va pouvoir évoluer d’ici la fin du quinquennat ?

C’est très complexe et ça dit beaucoup, en tout cas, des tensions évidentes, très fortes, qui traversent la vie politique française. C’est un épisode, c’est une crise politique de plus. Il faudrait multiplier les points de vue : du point de vue du gouvernement et de la majorité, on a cette incapacité à voir qu’on est en période de majorité relative depuis 2022. C’est un peu comme si le Président de la République voulait travailler, avancer et agir comme s’il était en majorité absolue alors qu’il ne l’est pas.

On a une impression parfois d’aveuglement, peut être une forme d’arrogance avec la multiplication des 49-3, qui finit par braquer évidemment tout le monde… On en a eu l’illustration avec cette loi immigration et la majorité qui s’est faite piéger par une initiative d’une gauche qui cherche à hystériser la vie politique française et qui cherche à faire des coups. Du point de vue de la gauche, c’est un coup réussi, mais elle se retrouve avec un texte beaucoup plus dur que s’il y avait eu la discussion à l’Assemblée.

D’un autre côté on a une majorité qui s’est quand même fait coincer, même si le gouvernement retombe sur ses pieds avec la commission mixte paritaire et avec un président qui est intervenu fortement pour avoir un texte coûte que coûte. Mais la séquence est loin de leur être favorable. Les Républicains ont, eux plutôt réussi leur coup en durcissant le texte au Sénat et qui ont eu la main pour la commission mixte paritaire, mais ils se font presque voler politiquement leur victoire et leur influence par le RN au dernier moment. C’est donc une séquence perdante pour presque tout le monde, sauf quand même probablement pour le Rassemblement national, ce qui est un peu une des leçons de cette législature. Depuis 2022, tout est en place pour que, en ne faisant pas grand chose, systématiquement, il tire les fruits politiques de chaque crise.

Est-ce qu’on peut imaginer, qu’Emmanuel Macron brandisse la carte de la dissolution en 2024 ?

C’est vrai, c’est un peu l’arme de dissuasion politique mais elle est brandie pour ne pas être utilisée en réalité parce que, évidemment, s’il y avait une dissolution, un grand nombre de députés de la majorité ne retrouveraient pas leur siège. Probablement que la Nupes, dans l’état où elle est aussi, y perdrait beaucoup. Qui y gagnerait ? Probablement le Rassemblement national. Du point de vue du président alors que c’est son second mandat et qu’il ne peut pas se représenter, s’il dissout, il perd la majorité et c’est la fin de son influence politique.

Après, plus qu’une dissolution de l’assemblée c’est la dissolution du gouvernement finalement, qui pourrait arriver…Changer de Premier ministre et de gouvernement, mais pour qui ? Pourquoi ? Dans quelles conditions politiques ? Pour faire quoi ? Le gain politique peut être très mince. Si c’est pour élargir ou recomposer la majorité pourquoi pas ?

On a le sentiment que cette séquence sonne le glas de la politique du « en même temps »…

C’est la fin du en même temps, oui. C’était un discours de conquête du pouvoir qui fonctionnait parfaitement en 2017, où on était à un moment de basculement des dernières séquences droite, gauche, gauche, droite, de rejet de l’un et de l’autre. Emmanuel Macron avait parfaitement senti ça, et il a aussi bénéficié d’un alignement des planètes incroyables. Dans l’exercice du pouvoir et dans le long terme, c’est très compliqué parce qu’il y a un principe de réalité qui s’impose et des familles politiques qui retrouvent leurs esprits et imposent à leur manière le clivage gauche-droite.

Et le problème fondamental du macronisme, c’est encore plus vrai quand on est dans un deuxième mandat, c’est que Renaissance c’est un club de supporters, ça n’est pas un parti politique. Il n’y a pas de doctrine politique. Un club de supporters, quand le leader est amené à se retirer, qui va-t-il supporter ? Donc tout cela va quand même sûrement revenir à recomposer, d’une certaine manière, ce qui est déjà en train de se mettre en place, l’opposition plus classique gauche-droite. Sauf qu’elle devient une opposition gauche, très à gauche, et droite, très à droite. La radicalisation de la vie politique française est quand même évidente. Ce qui risque de monter en puissance, c’est encore une fois l’abstention parce qu’il y a des électeurs qui de toute façon, ne se retrouvent en rien aujourd’hui.

Que doit-on attendre des élections européennes ? Elles sont souvent très difficiles pour le pouvoir en place.

Oui, en général, ce sont des élections difficiles pour le pouvoir en place. Ça l’avait été en 2019, mais ils avaient limité la casse. On peut imaginer que cette fois ci, l’écart probablement, sera plus important, avec un Rassemblement national qu’on imagine devant la majorité présidentielle, qui pourrait être deuxième, mais très, très en retrait.

Les élections européennes, à chaque fois, ont été plutôt favorables aux écologistes, mais cette fois ci, les écologistes étant tellement assimilés aussi à cette France insoumise qui tire vers la gauche et l’extrême gauche. L’abstention est à craindre parce que déjà les questions européennes, en France, malheureusement, sont peu mises en avant malgré les enjeux. Il faut pourtant tordre le cou à certaines idées. Moi, je ne veux pas accompagner l’idée qu’on ne maîtriserait rien au sein de l’Union européenne, que les Etats n’aurait rien à dire. Ça n’est pas vrai ! L’Europe a une influence et un rôle décisif sur beaucoup de sujets. Elle n’est pas capable aujourd’hui de l’expliquer, de le montrer et de le populariser, ce qui est le vrai problème.

Quels sont les autres événements à suivre de près en 2024 ?

En 2024, c’est un peu plus loin de nous, mais ça nous concerne très directement, il faudra surveiller la progression de la campagne électorale aux États-Unis. Si on fait une projection sur 2024, la situation politique aux États-Unis, la perspective peut être d’un retour de Trump, d’un basculement qui pourrait cette fois ci, être encore plus radical que lors de son premier mandat, encore plus dangereux pour l’état du monde et l’influence des États-Unis dans le monde.

Dans l’année 2024, et c’est aussi un sujet politique, il y aura les JO. Sur le plan politique, ces événements signifient souvent une période d’accalmie passagère, mais où le président en place, le gouvernement, peuvent en tirer quelques profits, au moins à court-terme. Si ça se passe mal - on ne peut pas ne pas ignorer le risque terroriste, le risque sur le plan sécuritaire - ça peut être le coup de grâce pour la cohésion de la nation, et puis pour l’ambiance générale. Mais ça peut se passer mal aussi du point de vue des transports, de la météo ou du point de vue sportif...

Une des questions qui va très rapidement être réglée, c’est : est-ce que Elisabeth Borne sera encore la Première ministre en 2024 et jusqu’à quand ? Ces dernières années on annonce souvent le départ du Premier ministre ou de la Première ministre et ça n’intervient pas tant que ça. Remanier le gouvernement et changer de Premier ministre, si c’est juste pour faire évoluer le casting, ça monopolise l’attention des commentateurs pendant quelques jours et puis on retombe vite dans la réalité de la situation. Si on change de Premier ministre, c’est pour changer véritablement d’orientation politique.