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« Aujourd’hui, notre juridiction est quasiment à l’arrêt »

Justice. Le Bâtonnier du Barreau des Ardennes tire la sonnette d’alarme sur les manques d’effectifs du Tribunal de Charleville-Mézières.

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Photo de Me Ahmed Harir
Me Ahmed Harir, Bâtonnier du Barreau des Ardennes. (Crédit : DR)

Fin mars, le Garde des Sceaux annonçait des renforts d’effectifs pour l’ensemble des juridictions sur le territoire national avec l’arrivée d’ici 2027 de 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 1 100 attachés de justice. Un effort sans précédent pour le monde judiciaire, globalement salué par tous ses acteurs. Mais du côté de Charleville-Mézières, les avocats ne parviennent pas à se réjouir de ces annonces.

Si, comme l’ensemble de leurs confrères hexagonaux, ils admettent que ces renforts (4 magistrats, 3 greffiers et 4 attachés de justice) vont dans le bon sens, c’est la situation d’urgence dans laquelle se trouve leur tribunal depuis des mois qui prend le dessus. « Aujourd’hui, notre juridiction est quasiment à l’arrêt », ne décolère pas Me Ahmed Harir, le Bâtonnier du Barreau des Ardennes, qui n’hésite pas à comparer la situation actuelle à celle connue pendant la crise du Covid. « La situation est absolument catastrophique, le Tribunal judiciaire ne fonctionne quasiment plus », estime-t-il , pointant « des carences extrêmement graves », voire même « un déni de justice ». Des mots forts et assumés. Début avril, Me Harir a pris la plume pour écrire, au nom des 65 avocats du Barreau, au Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti afin de lui rendre compte de la situation, détaillant l’ensemble des blocages et des dysfonctionnements causés par un sous-effectif chronique.

Le Bâtonnier se veut très clair : « Il ne s’agit pas de mettre en cause les magistrats ni les chefs de cour qui font ce qu’ils peuvent avec les moyens dont ils disposent. Le Premier président de la Cour d’appel de Reims, conscient de nos difficultés nous a attribué trois juges placés et il pouvait difficilement faire plus. Dans cette situation, magistrats et avocats sont dans le même bateau ».

Des avocats en souffrance

À titre d’exemple, Me Harir rappelle notamment que 83 délibérés sont en attente depuis septembre 2023 au niveau de la Chambre civile ou que de nombreuses audiences sont reportées voire « annulées sans prévenir ». Du côté des prud’hommes, la situation n’est pas plus reluisante : « Aucune audience de départage n’a eu lieu en 2023 », souligne-t-il « Seules deux audiences se sont tenues en 2024 et certains dossiers sont en délibéré depuis trois ans ». Le Bâtonnier énumère : « Au niveau du pôle social, il n’existe pas d’audience de plaidoirie en contentieux général et 86 dossiers sont en attente de fixation ». Tribunal correctionnel, instruction, aide juridictionnelle, chambre de la famille, expertises… tous les secteurs d’activités sont impactés.

Résultat, les justiciables sont soumis à plusieurs mois d’attente avant d’obtenir une décision. Mais la situation impacte également les avocats du Barreau qui doivent faire face à une situation inédite. « Les avocats se trouvent dans une situation de souffrance au travail entraînant un risque réel d’impossibilité de poursuivre l’activité, liée à des problèmes de trésorerie », alerte le Bâtonnier. Car dans la réalité, les reports d’audiences et les attentes de délibérés ne permettent pas aux avocats de facturer leurs honoraires à leurs clients. « Certains confrères nous disent qu’ils ne pourront pas payer leurs charges, certains nous disent même qu’ils ne pourront pas tenir jusqu’en juillet. Attention, danger ! Nous risquons d’avoir des cabinets d’avocats sinistrés ».

La perspective de l’arrivée des premiers effectifs en septembre 2024 ne suffit donc pas à rassurer les avocats ardennais qui sont déjà à bout et qui savent aussi que ces effectifs ne seront pleinement opérationnels qu’en fin d’année. La pilule est d’autant plus difficile à avaler qu’ils s’estiment délaissés par la Chancellerie au profit des juridictions de la région parisienne, qui ont bénéficié d’effectifs renforcés dans le cadre des Jeux Olympiques. Plus mobilisé que jamais, Me Harir se dit aujourd’hui bien déterminé à obtenir un geste de la part du Garde des Sceaux, avocat de profession, qui ne peut rester, selon lui, insensible aux problématiques de ses confrères ardennais. « J’attends un retour et surtout du concret de la part de la Chancellerie, je ne lâcherai pas », prévient le Bâtonnier.