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L’Alliance pour le logement tire la sonnette d’alarme

Logement. Depuis 2023, une Alliance nationale pour le logement s’est créée afin de « constituer une force collective de propositions », face à la crise que traverse la filière. Réunissant 10 partenaires – la FFB, Pôle Habitat FFB, l’USH, la Fnaim, la FPI, Procivis, l’UNIS, l’UNNE, l’UNSFA et l’Untec [1] – elle se décline aussi au niveau régional. Ses acteurs se sont tous réuni la semaine dernière, à Reims, en insistant sur l’urgence de la situation et la nécessité de trouver des moyens pour sortir rapidement de la crise.

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Photo de Laure-Anne Geoffroy ; Sébastien Sittler ; Audrey Saracca ; Philippe Gayet ; Olivier Kinder ; Xavier Dereeper ; Jérôme Broglé; Luc Binsinger et Laurent Roux
Les membres de l’Alliance, avec de gauche à droite : Laure-Anne Geoffroy ; Sébastien Sittler ; Audrey Saracca ; Philippe Gayet ; Olivier Kinder ; Xavier Dereeper ; Jérôme Broglé ; Luc Binsinger et Laurent Roux. (Crédit : ND)

Ils tirent collectivement la sonnette d’alarme. Face à la crise aussi bien du bâtiment que du logement, 10 syndicats et organismes professionnels de la filière se sont regroupés en 2023 afin de peser plus de poids devant les enjeux multiples auxquels ils se retrouvent confrontés. « C’est une multiplicité de crises que nous traversons : économique mais aussi sociale et écologique », énonce Philippe Gayet, Président délégué Grand Est de l’Alliance et Président de la FFB Marne.

« Nous sommes face à un marché bloqué et contraint, en témoignent les chiffres. Moins 27% de logements mis en chantier dans le Grand Est sur la dernière année glissante, cela correspond à près de 8 000 logements en moins dans notre région », alerte-t-il.

Et de préciser : « La construction d’un logement génère 1,5 emploi. Ce sont donc 12 000 emplois fragilisés dans le Grand Est. » L’emploi, une préoccupation centrale pour les professionnels, craignant « une perte des collaborateurs à court terme et des savoirs et savoir-faire à long terme », souligne Laure-Anne Geoffroy, présidente de l’UNSFA, l’Union des Architectes.

« Dans le logement, nous sommes sur du temps long. Entre l’idée d’un projet et sa livraison, il s’écoule rarement moins de trois ans. Dans nos structures, avec un parcours résidentiel bloqué, nous sommes donc sur un risque de perte de compétences. » Pour l’architecte, il faut que l’État aide à « accélérer le système, comme agir sur la question des permis de construire, aller vers une souplesse liée à l’augmentation de la qualité environnementale, permettre une surélévation des bâtiments quand cela est nécessaire, réfléchir à l’échelle d’un îlot et non pas seulement du logement, acquérir au final une sorte d’agilité pour avoir des propositions en phase avec les besoins, à savoir avoir un logement abordable et de qualité. »

+ 50% de coûts de construction dans l’individuel

Des solutions approuvées par le Pôle habitat de la FFB qui regroupe tous les acteurs de la construction immobilière privée en France (constructeurs de maisons, promoteurs, aménageurs fonciers et rénovateurs globaux) et qui ne mâche pas ses mots pour qualifier la situation économique de la filière. « On parle de cataclysme. La baisse du pouvoir d’achat, le renchérissement des coûts de construction, combiné à la nouvelle réglementation thermique nous a obligé à augmenter nos tarifs et en tout, nous sommes à +50% de coûts pour la construction d’une maison neuve », révèle Xavier Dereeper, Président du Pôle habitat de la FFB Grand Est.

Mécaniquement, le nombre de constructions s’effondre : « En 2019, nous avions 123 000 maisons neuves en construction, aujourd’hui, pour 2024, on en prévoit 50 000. En 2023, on était à 52 000 maisons vendues. Au premier trimestre 2024, on est déjà à -27%. » Une observation qui va de pair avec une augmentation des défaillances d’entreprises dans le secteur du bâtiment. « Les collaborateurs partent vers d’autres domaines quand ils ne se retrouvent tout simplement pas au chômage. » Une crainte partagée par l’Union nationale des économistes de la construction.

Photo d'un complexe immobilier
La Fédération des promoteurs immobiliers du Grand Est constate une baisse de 50% de l’activité par rapport à la même période de l’année dernière. (Crédit : BB)

« Nous représentons des petites structures, en moyenne trois à quatre salariés, et pour certains, le contexte a provoqué une baisse de 70% des commandes avec une visibilité à peine de trois à quatre mois sur la production. Et le risque, c’est bien celui de la cessation d’activité », alerte Sébastien Sittler. « Il faut beaucoup plus maîtriser les coûts de construction. Concernant les augmentations, on n’est pas tout à fait sur les mêmes chiffres que l’individuel, mais on est quand même à + 20 à 30% d’augmentation des coûts dans le collectif. Ce qui est énorme et ce qui bloque complètement l’acte de construire. » Le syndicat professionnel porte ainsi l’idée d’une simplification des normes. « Ça ne veut pas dire aller à l’encontre de la décarbonation des bâtiments, au contraire, il faut avoir un acte de construire vertueux, mais il faut développer des filières pour trouver une source d’optimisation des coûts. »

« Déverrouiller l’accès au crédit immobilier »

La baisse pressentie des taux pourrait-elle venir enrayer cette fuite en avant ? « On est toujours dans une hésitation de la part des clients de construire, car les taux ne baissent pas suffisamment et suffisamment vite. La Banque de France prévoit un atterrissage à 3,25% en moyenne, à la fin de l’année 2024… » Concernant le marché de l’accession à la propriété, Audrey Saracca de l’Union d’économie sociale pour l’accession à la propriété attire aussi l’attention sur le blocage du marché du locatif, qui empêche le mouvement vers l’accession à la propriété. « La volonté d’accéder à la propriété est toujours là mais l’ambiance générale entre l’inflation, des taux encore élevés et la difficulté à obtenir un prêt fait que l’accédant se repositionne sur le marché du locatif. Ce qui ajoute à la difficulté, c’est que là aussi, on est sur un marché avec une forte inertie. » Un constat confirmé par Jérôme Brogle, président de la Fnaim Grand Est : « On est sur une forte baisse de la volumétrie de transaction. On est passé de 875 000 ventes à 800 000 en 2024. »

Le Pôle habitat de la FFB propose donc lui-aussi des mesures : « Déverrouiller l’accès au crédit immobilier car l’apport est encore assez important aujourd’hui, inciter la transmission familiale constructrice d’apport, ce qui peut favoriser les donations pour que les enfants puissent se loger dignement. Nous souhaitons aussi réarmer un vrai PTZ car dans les zones tendues, le foncier est très cher et aujourd’hui pour beaucoup, le pouvoir d’achat est trop faible pour acheter un terrain et y construire une maison », explique Xavier Dereeper.

Enfin, les professionnels souhaitent réinterroger le cadre de la RE 2020 qui introduit la performance environnementale dans la construction neuve via l’analyse « en cycle de vie » et instaurer un moratoire sur la REP (Responsabilité étendue des producteurs), « qui va alourdir encore les frais de construction ». « À chaque fois que l’on achète un matériau quel qu’il soit pour le bâtiment, on le paye plus cher avec une écocontribution. En contrepartie, on ne doit plus payer davantage la gestion des déchets », précise Philippe Gayet, également Directeur général de l’entreprise Gayet. « Sauf qu’aujourd’hui, non seulement on paye la contribution mais aussi la gestion des déchets. C’est une machine qui a du mal à se mettre en marche. »

Choc de la demande plus que de l’offre

Dans le Grand Est, 85% de l’activité de la promotion immobilière est effectuée par 56 promoteurs, représentés par la FPI Grand Est. Aujourd’hui, l’organisme constate une baisse de 50% de l’activité par rapport à la même période l’année dernière, « sachant qu’en 2023, nous étions déjà en baisse », précise Olivier Kinder, le Président. « Le gouvernement s’oriente vers un choc de l’offre, à savoir construire plus. Or, pour construire, il faut des clients. Et là, pour l’instant c’est ce qui nous manque. » La priorité des promoteurs est ainsi la demande. « On attend la baisse des taux ainsi que la modification de zonage pour pouvoir étendre nos actions sur des communes qui étaient exclues pour l’instant. Quant aux PLU, ils ne sont utilisés qu’à 65% de leur capacité en matière de densité. C’est-à-dire qu’une grosse partie du manque de logements provient de la sous-exploitation des règles du PLU. »

Un constat local qui pourrait être solutionné par « une prise de conscience des élus locaux », fait savoir Olivier Kinder. Cependant, les besoins des promoteurs ne correspondent pas forcément aux volontés politiques. C’est pourquoi l’Alliance, pour une de ses premières décisions collégiales, a décidé de rencontrer la préfète de Région Grand Est, Josiane Chevalier, afin de lui soumettre cette problématique particulière.
« Lorsque l’on a des règles d’urbanisme qui sont surinterprétées, on bloque la machine pour plusieurs années. Le secteur est impressionnant d’inertie. En 2022, dans la Marne, nous avions déjà anticipé ces problèmes alors que l’on était à 2 000 constructions de logement, là on est à 1 600. Et nous avions déjà alerté les collectivités locales. On ne peut pas faire de collectif dans certaines zones ou trop monter en étages alors que dans le même temps, il faut respecter la ZAN. Ça devient impossible à tenir », signale Louis-Xavier Forest, le Secrétaire Général de la FFB Marne.

Une problématique à laquelle sont aussi soumis les bailleurs sociaux.

« La programmation régionale est au plus bas depuis 10 ans, avec une chute de 30% de la volumétrie depuis 2022 », déplore Laurent Roux, Président de l’Union nationale HLM Grand Est. « La production est en panne alors que la demande a augmenté de 20% ces deux dernières années avec 134 000 demandeurs de logement social aujourd’hui dans le Grand Est. Or, compte tenu des fortes demandes, seulement un demandeur sur quatre pourra en bénéficier en 2024. » Une équation rendue encore plus complexe dans la mesure où les entreprises partenaires commencent pour certaines à déposer le bilan. « Le nombre de liquidations d’entreprises parmi nos fournisseurs de travaux et réhabilitation a été multiplié par trois. » Pourtant, l’acte de construire, « rapporte de l’argent à l’État », soulignent en cœur les membres de l’Alliance. « Tous ces logements qui ne sortent pas de terre manquent en recettes fiscales, cela correspond à 14 milliards d’euros de TVA en moins », fait savoir Philippe Gayet.

[1Fédération française du bâtiment (FFB) ; Union sociale pour l’habitat (USH) ; Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) ; Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) ; Union d’économie sociale pour l’accession à la propriété (Procivis) ; Union des syndicats de l’immobilier (UNIS) ; Union nationale des notaires employeurs (UNNE) ; Union des architectes (UNSFA) ; Union nationale des économistes de la construction (Untec).