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Charlotte Fougère : « On a besoin d’un nouveau souffle »

Territoire. Engagement politique, ambitions économiques de la ville, mobilisation des agriculteurs : l’adjointe à la mairie de Beaune à la culture et aux grands projets Charlotte Fougère se livre en toute sincérité.

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Photo de Charlotte Fougère
(Crédit : DR)

Élue en 2020 et nommée adjointe à la culture et aux grands projets de la Ville de Beaune, également conseillère départementale, Charlotte Fougère évolue avec bonheur en politique, « une histoire de vocation presqu’un peu innée. Il faut aimer aller au contact, la proximité, rendre service, vouloir être utile. Il faut tout cela pour prendre du plaisir dans un mandat, tenir le rythme, les enjeux… en plus d’un tempérament assez fonceur ». Charentaise d’origine, elle a rencontré Alain Suguenot, maire de Beaune, alors qu’elle achevait une mission de trois ans auprès du nouveau propriétaire du château de Pommard. Spécialiste de l’ingénierie culturelle, elle est à la tête de son entreprise, baptisée Calice.

Après trois ans de fonction, comment vivez-vous aujourd’hui votre mandat d’adjointe à la ville de Beaune ? Avez-vous des moments de doute ?

« Des doutes, il y en a toujours. Légitimement, on se pose la question : “comment est-on réellement utile aux citoyens ?” Dans un mandat de proximité, on voit le résultat de nos actions très rapidement. Le doute concerne la pertinence que l’on a pour faire évoluer les choses avec un service rendu aux citoyens qui soit efficace, performant et visible. On est dans un tel mille-feuilles administratif et une telle recentralisation depuis une dizaine d’années que ce n’est pas tous les jours simple. Il y a beaucoup de sujets où on n’est plus maîtres de notre fiscalité, dans la gestion de nos recettes qui impose de réduire les dépenses, avec une diminution des services… C’est là que le doute arrive, que l’on se dit qu’il y a un système global à faire évoluer.

On met chacun notre petite pierre à l’édifice et c’est pour cela que je me suis présentée aux législatives en 2022. Parce qu’on a besoin de revoir un système qui a besoin de se rééquilibrer, de se regénérer, de se “dé-bureaucratiser”, de revenir à une responsabilité individuelle et en proximité. Que les collectivités locales soient traitées avec respect. Je suis convaincue, c’est le cœur même de mon engagement, que c’est avant tout l’échelon le plus proche qui est le plus utile et le plus efficace. À chaque fois on éloigne la décision politique du citoyen, on polarise, on extrêmise. On n’est pas dans un débat politique apaisé aujourd’hui, on le voit bien, entre la déliquescence des partis traditionnels et la difficulté à faire émerger de nouvelles idées sans être dans l’idéologie.

Vous vous êtes présentée en 2022 aux législatives. Un mandat national vous tente toujours ?

« Je suis convaincue qu’on a besoin d’un nouveau souffle. Ma génération doit prendre sa part, en particulier dans notre camp politique (Les LR, ndlr). Quand on voit l’effondrement des partis traditionnels, alors que je pense qu’en politique on a besoin de nuances, on a besoin de débat. Il y a une droite, il y a une gauche et on s’apporte chacun. Mais tout confondre et on arrive à ce qu’on voit aujourd’hui : une montée des extrêmes. J’y crois encore. C’est pour cela que je me suis engagée fortement auprès de David Lisnard (président des maires de France, ndlr). Il ne s’agit pas de dire : je suis dans un camp et je me présente à des élections, cela n’a aucun sens ! L’idée qui m’a plu, c’est comment on travaille sur le fond, comment on fait des propositions.

Et je pense que c’est là où les partis traditionnels se sont cassé les dents : être là pour être là, ce n’est pas suffisant. On a besoin de venir avec de nouvelles propositions dans un contexte où à l’échelle de l’humanité peu de civilisations ont connu de telles transformations. Il y a une telle révolution technologique, après la révolution industrielle.. ; Nous vivons la révolution numérique ! Tout a changé à une vitesse qui n’est pas sur le même temps. Quand on voit tout ce qui se passe, avec l’homme augmenté, les défis qui sont les nôtres… Je trouve ça incroyable que l’on puisse s’emparer de telles révolutions mais cela suppose d’avoir un système social et donc politique qui réussisse à s’adapter.

La difficulté des générations actuelles c’est l’adaptation terrible que l’on nous demande dans un contexte alors que l’homme n’est pas programmé pour changer si vite, l’homme par définition n’aime pas trop le changement, on est des créatures assez routinières… On a ce renouvellement permanent qui pose des questions légitimes, la mise à disposition de ces outils numériques pose des questions de refonte des systèmes et aujourd’hui on est dans un système politique qui ne s’est pas totalement emparé de ces sujets. Il faut voir où nous en sommes sur l’éducation numérique ! La Corée a des programmes dès le primaire, au Sénégal ils sont très en avance sur l’IA. Il se passe plein de choses en France, on a de grands scientifiques, de grands entrepreneurs… d’une part il faut qu’on sache les garder, et il faut qu’on puisse les faire évoluer dans un cadre qui favorise l’entrepreneuriat et une forme de liberté. Sans liberté on ne créé pas !

À partir du moment où on passe notre temps à faire des normes sur des sujets que la plupart des politiques, des administrations ne comprennent pas, le rôle du politique est de favoriser l’émergence de ces talents et de créer une éthique autour de ces nouvelles technologies. Sur l’éthique, on ne peut pas dire que l’on soit très en avance ! Et ces sujets sont largement européens, voire au-delà. C’est cela qui guide mon engagement. Ces changements civilisationnels sont porteurs d’espoir, et on ne le dit pas assez ! On critique beaucoup actuellement le libre-échange, mais cela a sorti des millions de personnes de la pauvreté… Ce qui ne va pas, c’est qu’on est dans une bureaucratie totalement écrasante : tout système à partir du moment où il grandit, il créé des process, des procédures et de la norme. Sauf que nous sommes arrivés à une hyperphagie totale de la norme, on n’a jamais vu ça ! »

Comment alors renouer avec une politique efficace ?

« C’est ce que j’aime dans mon mandat municipal à Beaune : le fait que l’on puisse piloter la ville et l’agglomération permet de faire beaucoup de choses à notre niveau, avec des dossiers que l’on arrive à débloquer. Je ne sais pas si les citoyens se rendent compte du combat permanent que l’on mène contre les administrations ! Notamment pour les projets d’aménagement – c’est mon métier, c’est un sujet que je connais. On est tous pour l’environnement, pour l’écologie, je suis même assez rigoriste là-dessus, mais on ne peut pas penser en permanence que la norme est la réponse ! La réponse, c’est l’innovation. C’est mettre des fonds dans la R&D. Or, on voit tout cela de manière très centralisée, très socialisante : dès qu’il y a une avancée, principe de précaution aidant, on fabrique un cadre ! Mais l’innovation on ne peut pas la cadrer, on travaille sur des sujets qu’on ne connaît pas ! Un opérateur voulait installer une centrale de création d’hydrogène dans les Hautes-Côtes, il part dans un autre département, car c’est trop compliqué. Il y a une grande différence entre contraindre un projet initialement et le contrôler a posteriori. La norme ne doit pas entraver la liberté de l’entrepreneur.

Mais bien sûr qu’il faut un cadre ! On a des défis immenses, comme la gestion de l’eau, on sait très bien que la guerre de l’eau est très proche de nous, tous les territoires sont en train de s’organiser pour tous les usages et types de pratiques. Aujourd’hui c’est une confrontation entre les zones plus rurales, les villes, comment va-t-on approvisionner. Pour moi, c’est l’innovation qui va permettre de créer le plus de procédés possibles qui sont moins consommateurs d’eau : la modification des réseaux d’eau par exemple pour les rendre plus performants. Il n’y a jamais qu’une seule petite réponse dans un camp ! Il faut regarder le système globalement et voir à quel niveau on peut agir concrètement mais avec une planification et une vision à long terme. C’est ce que l’on peut reprocher à certains programmes nationaux. On fait des choses à court terme, parce qu’il faut faire de la comm, sauf que, par exemple sur la gestion de l’eau, il faut une stratégie sur les cinquante ou soixante prochaines années. »

Quelle identité veut se bâtir Beaune et son agglomération au-delà de celle, évidente, de la viticulture ?

« Notre territoire est, depuis toujours, basé sur la viticulture et la gastronomie. C’est notre fer de lance et ce pourquoi nous sommes connus dans le monde entier. On est très chanceux : on est quasiment au plein-emploi (4% de chômage), on a des investisseurs qui viennent toquer quasiment toutes les semaines ! Mon grand défi c’est qu’il n’y a plus de foncier, on a cinq investisseurs pour un terrain. On doit gérer cette pénurie de foncier, mais c’est aussi là que l’on pense une stratégie éditoriale et un maillage avec les différents pôles de l’agglomération : les zones d’activités sur Chagny, sur Nolay, des actions que l’on prend sur Ladoix-Serrigny… Un développement qui doit rejaillir sur toutes les communes de proximité.

Il y a eu beaucoup de développement autour des métiers de la logistique les vingt dernières années. On a mis le holà, car on veut s’ancrer sur ce qui est pour nous l’avenir comme les projets d’innovation, de la transition énergétique… tout en gardant à l’esprit que notre but premier est de répondre aux besoins des entreprises beaunoises qui ont besoin de se développer, quel que soit leur secteur d’activité. On a inauguré récemment l’usine de surtri de Ruffey-lès-Beaune, on a un projet d’installation d’une usine de production innovante de ouate de cellulose à Beaune. C’est ça qui a aussi guidé la Cité des vins qui est la première zone zéro carbone de Beaune. Sur les projets qui nous sont proposés, on sera d’abord toujours là pour répondre aux besoins de nos secteurs principaux qui sont la viticulture, la gastronomie.. mais on est aussi là pour favoriser l’implantation d’industries innovantes qui sont dans l’axe que l’on poursuit, de faire du vignoble de Beaune le premier vignoble décarboné de France. »

Que vous inspire la détresse des agriculteurs ?

Ils sont au cœur d’une transition globale et difficile, avec des débats qui ne sont pas des débats qui datent d’hier ! Aujourd’hui il y a une colère parce qu’on a l’impression que rien n’a été fait sur les dernières années – en tous cas qu’il n’y a pas eu d’écoute des agriculteurs et je comprends leur colère. En Côte-d’Or, on est plutôt sur une représentation de petites exploitations – je caricature, mais on n’est pas sur les gros céréaliers rutilants industrialisés ! – d’agriculteurs individuels, indépendants. Pour moi, il y a d’abord un sujet de bureaucratie écrasante. Les agriculteurs sont avant tout des entrepreneurs qui doivent avoir la liberté d’entreprendre dans le cadre de non distorsion de concurrence. Le sujet est avant tout celui-ci : arrêter de mettre de la norme pour la norme et de les laisser travailler !

Bien sûr qu’il y a des évolutions du système à trouver, mais le vrai risque c’est que dans une perspective de cinq à sept ans, on va perdre 100.000 agriculteurs. Il faut voir chez nous ce qui se passe sur les Hautes-Côtes ! Des centaines d’hectares ne seront bientôt plus exploités… comment fait-on ? C’est l’enjeu de politique que l’on doit porter, et c’est pour cela qu’on a créé le festival « Vivons plus haut » l’année dernière, pour discuter de ces questions, avec la chambre d’agriculture, avec les exploitants. Quel est le modèle que l’on veut, quelle est la logique de transition alimentaire que l’on veut pour la population et qui nous permet d’avoir une forme de souveraineté face aux différentes crises et chocs climatiques ? Encore une fois, il faut construire une vision, or c’est difficile de l’avoir au niveau national. L’État doit, à mon avis, s’appuyer davantage sur nos collectivités, avec les gens qui sont sur le terrain, qui sont en mesure de faire des propositions.

Or, la tendance est plutôt au jacobinisme, à la centralisation et c’est pour cela que je pense qu’Emmanuel Macron est dans une situation terrible. On a un Président empêché, qui n’a plus les manettes et c’est dramatique car cela pose la question de la suite, de 2027. Je pense qu’énormément de Français sont très inquiets. C’est pour cela que l’on travaille à des propositions alternatives ! J’ai appris que la politique c’est du temps long. Il faut être patient mais ne pas hésiter à oser !