Dominique Rodride
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Dominique Rodride

La voie du mokuhanga.

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Photo de Dominique Rodride
Conçues intégralement dans son petit atelier icaunais, les estampes japonaises de Dominique Rodride préparent leur envol pour tous les continents, via sa boutique en ligne « L’Estampiste ». (Crédit photo : JDP)

À Echizen, dans cette ville située non loin des côtes de la mer du Japon qui perpétue depuis 1.500 ans l’art de la fabrication du papier (washi) figure désormais l’œuvre d’un artisan bourguignon. À l’occasion d’une conférence internationale dédiée à l’héritage de l’ukiyo-e - la technique utilisée pour imprimer les gravures sur bois (mokuhanga) de la période Edo (1603-1868) -, qui se tenait ce week-end, Dominique Rodride a inscrit son nom dans la lignée de ces vénérables graveurs et imprimeurs dont certains sont considérés comme des « Trésors nationaux vivants ».

Baptisée Dress en hommage à la chanteuse britannique PJ Harvey, son estampe fait, en effet, partie de la centaine d’œuvres originales sélectionnées pour présager le futur de cet art séculaire. « C’est une certaine forme de reconnaissance du travail accompli depuis toutes ces années, je ne peux pas le nier… », lâche cet homme en apparence réservé qui n’hésite pas néanmoins à jeter regard amusé sur le monde qui l’entoure. « Je m’étais donné 10 ans pour maîtriser les différentes techniques du mokuhanga. Je pense être sur la bonne voie. » Mais, il ne faut pas s’y méprendre. Ce qu’a accompli l’artisan d’art ne doit rien au hasard.

En choisissant de délaisser son activité de graphiste et d’illustrateur indépendant pour dédier tout son temps à la gravure, à l’impression et à la commercialisation d’estampes, Dominique Rodride a accompli une véritable prouesse technique, celle d’apprendre, seul, les différentes étapes nécessaires à leur réalisation. Comme autant de métiers immémoriaux. La création du dessin original à l’encre noire, tout d’abord, puis la gravure des matrices de bois de merisier et, enfin, l’impression des feuilles de papier à l’aide de frottoirs, les barens.

« Au début, j’ai conçu mes propres outils puisque nous les trouvons difficilement en France comme ceux utilisés pour la gravure. En fabriquant mes barens, j’ai compris plus rapidement leur subtilité. Il m’a fallu cependant près de deux ans pour maîtriser les gestes nécessaires à l’impression », explique-t-il.

« Aujourd’hui, je les importe du Japon mais je prépare encore mon papier en appliquant un encollage traditionnel (dosâbiki) par application d’une solution à base de colle de peau de lapin, de poudre de pierre d’alun et d’eau. » S’il existe encore quelques artistes qui produisent des estampes selon la méthode occidentale (à l’aide d’une presse), il est l’un des rares, pour ne pas dire le seul, en France à pratiquer aujourd’hui la gravure et l’impression à la main, dans les règles de l’art des maîtres japonais.

Imagerie pop culture

Dans sa maison de Poilly-sur-Tholon, entouré de ses chats, de ses centaines d’ouvrages et encouragé par sa compagne de toujours Carole avec laquelle il forme de son propre aveu « un couple fusionnel », rien ne semble pourtant indiquer une quelconque attirance pour le Pays du Soleil-Levant. Dans son univers personnel s’entremêlent volontiers des références au cinéma américain indépendant, à la littérature de science-fiction et à la bande dessinée franco-belge, le tout sur une bande-son rock new wave dans laquelle se glissent, parfois, Dominique A et Bernard Lavilliers. « J’ai malgré tout toujours été fasciné par la sonorité de la langue japonaise, la civilisation et l’artisanat traditionnels, moins par le Tokyo ultramoderne et la production de mangas. Je cherchais une pratique issue du passé qui puisse se reproduire dans un atelier restreint. Je suis tombé amoureux du process de conception de l’estampe japonaise et du travail du bois », précise-t-il. La dimension écologique a aussi séduit l’artiste qui met un point d’honneur à n’utiliser que des produits naturels : de la colle de riz, de l’eau, des pigments…

« Je m’étais donné dix ans pour maîtriser les différentes techniques du mokuhanga. Je pense être sur la bonne voie. »

Dans la lignée de Dress sa boutique en ligne, dans laquelle figure déjà près d’une trentaine d’œuvres - des reproductions de la période Edo, de Félix Valloton et des créations originales - devrait s’enrichir dans quelques semaines d’une nouvelle série d’estampes dédiée aux héroïnes du rock, telles que Blondie ou Siouxsie. « Je travaille aussi sur une série représentant l’imagerie du kabuki. » Des icônes qui devraient, une fois encore, séduire les amateurs, originaires principalement des États-Unis mais aussi de Grande-Bretagne et d’Europe du Nord. « En France, les estampes japonaises ne sont pas autant prisées que dans d’autres pays où certains acheteurs sont des collectionneurs éclairés, prêts à investir des sommes importantes pour posséder une œuvre originale. »

Éduc’ nat’, non merci !

Homme de tempérament et de défi, Dominique Rodride n’en est pas à son premier revirement professionnel. Après sept ans à l’Éducation nationale, l’ancien professeur d’arts appliqués décide en 2005 de quitter définitivement la fonction publique où son cadre trop étriqué ne convenait pas à celui qui n’osait pas encore revendiquer le statut d’artiste. « J’ai toujours su que je ne ferai pas cela toute ma vie. J’ai juste emprunté une voie naturelle, par facilité. » Graphiste, illustrateur, webdesigner, sérigraphe, mais aussi responsable de collection dans une maison d’édition, il embrasse alors avec passion, et toujours avec le même sens du détail l’ensemble des métiers de la chaîne graphique, « pour revenir finalement à ceux qui ont tout inventé ». Une démarche à contre-courant dont ce fils de sous-officier de l’Armée de terre est coutumier. « Toute ma famille est militaire, dans la police ou l’hôpital public. Je n’ai pas eu de référent artistique mais dès mon plus jeune âge, j’ai toujours eu un crayon à la main », se souvient-il.

Il projette à présent d’investir un atelier plus grand doté d’une boutique qui aurait pignon sur rue, mais aussi de poursuivre sa collaboration naissante avec un imprimeur et un collectionneur d’estampes traditionnelles dans l’optique d’éditer des livres d’art. Une manière de redonner toutes ses lettres de noblesse à des œuvres qui, jadis, déchaînaient toutes les passions - et suscitaient parfois des fantasmes inavoués. « Il me reste beaucoup à apprendre », souffle-t-il avec modestie. Mais aussi énormément à transmettre.