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L’éthique pour ordonnance

Macha Woronoff. Le 17 novembre 2020, elle fut élue présidente de l’Université de Franche-Comté (UFC). Cette docteur en pharmacie qui a passé son enfance au Sénégal est la deuxième femme à accéder à cette fonction. Éprise de valeurs humanitaires elle entend placer les étudiants au cœur de son mandat.

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Macha Woronoff succède à Jacques Bahi, président de l’UFC depuis 2012. Elle est la deuxième femme à accéder à cette fonction, 19 ans après Françoise Bévalot qui fut - coïncidence dont le destin est friant - sa directrice de thèse de pharmacie. UFC

Le 1er décembre 2020, Macha Woronoff prenait officiellement ses fonctions en tant que présidente de l’Université de Franche-Comté (UFC), pour un mandat de quatre ans, suite à son élection le 17 novembre avec 21 voix sur 35. Celle qui est également, au niveau national, depuis le début de l’année, présidente de la commission des questions de santé de la Conférence des présidents d’université (CPU), portait la liste de campagne baptisée « Pour une université d’ambitions et de valeurs  ». Des valeurs de loyauté, d’honnêteté intellectuelle, d’intégrité, d’indépendance, d’impartialité, mais aussi de partage, de collégialité et de justice qui permettent d’entrapercevoir les premiers traits de la personnalité de celle qui est également professeure d’université en pharmacie clinique et praticienne hospitalière au CHRU de Besançon. Ces éléments d’éthique, esquisse d’identité, sont autant de facettes d’une salle aux miroirs introspectifs à la fois reflets de son parcours professionnel et mémoire vive d’une enfance où l’innocence des premières années fut étiolée “d’images séismes”, dont les violentes secousses d’alors résonnent toujours en elle aujourd’hui encore. Le théâtre de cette persistance rétinienne et émotionnelle a pour cadre le Sénégal et sa capitale Dakar. Née à Paris de parents enseignants, Macha y passe ainsi toute sa jeunesse. « Dénutrition, famine, sécheresse... bien des images ont marqué ma mémoire durablement », se souvient Macha Woronoff. Parmi elles il y a le marché de Sandaga : foule, bruits, couleurs et odeurs se mêlent. Dans les grands sacs en toile de jute des marchands s’échappent les effluves envoûtantes du thiouraye, l’encens sénégalais. Les arômes d’épices et de mangues mûres réveillent les papilles, avant que l’œil ne s’arrête sur d’improbables marchandises aux antipodes de toute considération gustative. «  J’ai ce souvenir encore présent de la découverte de ces amoncellements de boîtes de médicaments aux emballages criards, voisines d’étals de piments et de cumin  ». La vue de ces pilules multicolores contrefaites, fruits d’une médecine de contrebande, plus délétère que salutaire, génère en elle un sentiment d’injustice. Et si du haut de son jeune âge, tous les tenants et aboutissants de cette pharmacie à même le sol - qui rapporterait aux trafiquants 200 milliards de dollars et verrait 120.000 enfants succomber chaque année en Afrique - ne lui sont bien entendu pas accessibles : «  cela a fait naître en moi très rapidement une évidence  ». Une intime conviction qui la verra suivre assez logiquement des études en pharmacie. Ses années universitaires s’accompagnent d’un changement radical de décor : adieu donc aux orange vifs des dunes de sable du petit désert de Lompoul et bonjour aux verts tout aussi profonds des essences sylvicoles franc-comtoises  ! C’est ainsi, qu’en 1979, l’étudiante âgée de 20 ans arrive avec ses parents à Besançon. Une ville dont elle tombe de suite amoureuse, malgré la présence d’une neige qu’elle juge bien « exotique  ».

En octobre 1987, elle obtient, à l’UFC, son diplôme d’État de docteur en pharmacie, sésame obligatoire pour exercer comme pharmacien. En parallèle, la jeune femme décroche un an plus tard, un DEA de toxicologie fondamentale et appliquée à l’université de Paris VII. En 1990, puis en 1997, ce parcours déjà brillant, riche de mentions et autres félicitations du jury sera complété par l’obtention, à l’université de Paris V Descartes, d’un Diplôme d’études spécialisées (DES) pharmacie hospitalière et d’un doctorat d’université, dont la thèse se verra proposée pour un prix. Elle reçoit en 2001 son habilitation à diriger des recherches et devient professeur des universités en pharmacie clinique en 2003 à l’UFC et praticienne hospitalière en 2008 au CHRU de Besançon. Depuis 2005, elle est directrice adjointe de l’UFR Sciences médicales et pharmaceutiques (SMP). Élue doyen de pharmacie en 2008, elle est, depuis 2007, membre de la commission scientifique de l’UFR SMP. Elle prendra également la vice-présidence “Recherche” au directoire ainsi que la présidence de la Délégation à la recherche clinique et à l’innovation (DRCI) du CHRU de Besançon.

« J’ai une belle espérance et une grande ambition pour la jeune génération, celle de nos étudiantes et étudiants, qui forgeront la société de demain. »

C’est aussi au début des années 2000, que Macha Woronoff valide un master en économie et gestion de la santé... Une liste de responsabilités loin d’être exhaustive et un parcours qui vise l’éclectisme plutôt que l’hyper spécialisme. Ce dernier révèle également une appétence aux dimensions scientifique et éthique de la discipline pharmaceutique, réminiscence assumée d’images anamnèse et traumatiques de l’enfance. « J’ai très vite cherché à m’engager dans des activités d’intérêt général. Je me suis intéressée à la pharmaco-économie : aux perspectives économiques et sociétales de l’industrie pharmaceutique. L’idée était de ne pas me restreindre, de m’ouvrir aux champs des possibles, de me placer à la croisée de la médecine, de la pharmacie et de l’économie. Je tisse un chemin professionnel qui se nourrit de l’ensemble des trames que je vais chercher à différents endroits. Il s’agit là d’une forme d’adaptation, d’agrégation de fils différents, de trames englobantes qui offrent la possibilité d’avoir sur les choses un recul, le fameux “pas de côté” qui sied à la prise des bonnes décisions... J’ai ainsi quitter la pharmacie pour prendre la vice-présidence recherche du directoire du CHRU de Besançon et, à l’écoute des collègues, de ce qu’ils développaient, j’ai muri une stratégie de recherche en trois axes forts : les biothérapies (immunothérapie et cancer en lien avec l’Établissement français du sang EFS), l’innovation technologique en développant notamment des passerelles avec l’institut Femto-ST et le monde des microtechniques en générale (innovation disruptive en robotique chirurgicale) et tout le champ du risque (développement durable, chrono-environnement, santé environnement, risque cardio-vasculaire, neurologique...) pour propulser la visibilité nationale du CHRU et le faire avancer à pas de géant ». Devenue membre du conseil d’administration de l’UFC en 2006, Macha Woronoff en assure la vice-présidence de 2016 à 2020, avant d’être élue en novembre 2020, présidente de l’UFC.

Les étudiants au cœur de sa mandature

Attachée à « une gouvernance de proximité adaptée aux enjeux », Macha Woronoff a toujours souhaité ouvrir l’université sur le monde socio-économique. Elle s’est ainsi fortement engagée dans de nombreux appels à projets liés à la santé associant différentes disciplines de l’université, le centre hospitalier et les entreprises. En sa qualité de vice-présidente, elle a notamment soutenu le développement de projets structurants comme Bio Innovation, le Health Tech Center de Temis Santé dédié à la filière d’excellence des biothérapies et des dispositifs médicaux et qui vient d’être tout récemment inauguré... Mais c’est bien la dimension humaine et plus particulièrement les étudiants qui sont au cœur de ses préoccupations pour l’avenir. « J’ai une belle espérance et une grande ambition pour la jeune génération, celle de nos étudiantes et étudiants, qui forgeront la société de demain. Face à la crise sanitaire qui les touche de plein fouet, je porte une vigilance particulièrement attentive à leur bien-être. Nous avons notamment mis en place un guide des aides qui leur sont destinées, consultable sur le site de l’université, mais aussi créé une ligne d’écoute pour et par les étudiants, ouverte tous les jours et où, à l’autre bout du fil, on trouve des étudiants en master de psychologie accompagnés par des professionnels.

Cette écoute qui ne juge pas, réalisée par “leurs semblables” permet aux étudiants en détresse psychologique de dépasser les freins qu’ils auraient à se rendre à une consultation plus classique chez un psychologue... Pour l’avenir, il faut que nos étudiants puissent trouver dans nos universités tout ce qu’ils sont en droit d’attendre avec un niveau de formations, de services et d’infrastructures égal à celui-ci que l’on trouve dans les grandes écoles. Quand on fait le pari des étudiants, on fait celui de la réussite économique de nos territoires, celui du futur et de l’innovation. C’est pourquoi, les enjeux de mon mandat auront pour pierre angulaire cette jeunesse apte à faire évoluer nos sociétés, qui pense systémique, qui ne restreint pas son champ de vision d’œillères passéistes, qui interroge le monde, les entreprises en termes de RSE et d’environnement..., argue la présidente. Nous préparerons donc leur avenir notamment à travers de vastes opérations de rénovation-construction de nos Campus (réalisation du bâtiment énergie à Belfort, dans le cadre du projet Éco-campus Nord Franche-Comté, les projets de grande bibliothèque universitaire et d’agglomération de Grand Besançon Métropole, de Maison universitaire de l’éducation Bourgogne Franche-Comté, la rénovation du site de l’Arsenal de la faculté des lettres, poursuite de la transformation du campus de la Bouloie en campus d’excellence à l’anglo-saxonne, ou encore par d’importants investissements dans le centre de simulation numérique en santé et la volonté de doublé le capacité d’accueil de Institut supérieur d’ingénieurs de Franche-Comté (ISIFC)... ».

C’est aussi en menant un vaste chantier de transformation pédagogique que Macha Woronoff entend agir : « Nous devons imaginer une vraie individualisation de la formation adaptée aux besoins de chaque étudiant, mais aussi des attentes RH des entreprises, pour permettre une intégration facilitée dans le monde du travail. » Autre enjeu majeur celui de l’attractivité : « Pour faire grandir nos étudiants et par là-même nos universités, attirer des étudiants chercheurs qui in fine s’installent, créent des start-up et deviennent acteurs de nos territoires, nous devons être identifié comme région d’innovation. Nous devons jouer la synergie, loin des guerres picrocholines, tirer les leçons de la pandémie pour promouvoir la solidarité, la proximité, cultiver les compétences transdisciplinaires de nos territoires, accompagner pleinement l’UBFC sans rien renier de notre identité, en créant les conditions d’un dialogue fructueux sur un pied d’égalité avec l’uB et tous les autres établissements membres, avec en ligne de mire le travail sur la reconduction du projet d’excellence ISITE-BFC ».