Patrick Alexandre
Invités / Entretiens

Patrick Alexandre

Entrepreneur de la medtech.

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Patrick Alexandre
« Je n’avais pas songé à créer une entreprise, avoue Patrick Alexandre, c’était de l’opportunisme. Mais une fois qu’on est lancé, soit on va jusqu’au bout, soit on fait autre chose ! » (Crédit : JDP.)

Le fondateur et président du directoire de la société pharmaceutique Crossject, unique société mondiale inventrice et détentrice du brevet de Zeneo, un injecteur de produits médicamenteux sans aiguille se livre sur son parcours d’entrepreneur de la medtech.

Pape de l’injection

Patrick Alexandre n’oubliera jamais le 18 juin 2022. C’est ce jour-là, ou plutôt ce soir-là, que sa société Crossject signe avec la Biomedical advanced research and development authority (Barda, l’autorité de santé publique américaine) « une commande ferme de 60 millions de dollars » pour une première livraison de Zeneo Midazolam pour le stock stratégique national des États-Unis, au terme d’un chemin de croix juridique et administratif de plusieurs mois.

Zeneo est l’innovation majeure sur laquelle est bâtie Crossject : un auto-injecteur sans aiguille de produits pharmaceutiques, idoine pour les situations d’urgence. « C’est le même soir que l’on a testé notre système de signature électronique que l’on n’avait jamais utilisé, se souvient le fondateur et président du directoire de Crossject. J’appuie sur le bouton… ça ne marche pas. Ça a duré jusqu’à onze heures du soir. Je n’avais pas de mesure de tension artérielle à ce moment-là mais ça devait être quelque chose ! »

Le palpitant a tenu. « Tenir », pourrait d’ailleurs être le credo de Patrick Alexandre, qui depuis 2001 et la naissance de Crossject, a dû surmonter les aléas, revoir intégralement son modèle et y croire… jusqu’aux succès actuels.

Fournier, à l’origine

Diplômé de Supelec avec un « parcours pas forcément typique, parce qu’à la base j’ai un baccalauréat de technicien électromécanique. Ensuite, filière de prépa d’adaptation pour rattraper ce qu’on ne faisait pas en maths et en physique dans les filières techniques  » pour intégrer Supelec.

Durant son service militaire, il est « scientifique du contingent » et à ce titre travaille dans un laboratoire spécialisé dans la guerre chimique et bactériologique. Premier clin d’œil de la vie puisque des années plus tard, c’est précisément pour protéger la population américaine des effets d’une guerre chimique que Crossject a signé son contrat avec la Barda.

Deuxième clin d’œil : le laboratoire militaire est situé à côté du centre de recherche SNPE (société nationale des poudres et explosifs), intimement liée à l’histoire de Crossject et de son dispositif, basé sur la pyrotechnie – SNPE est d’ailleurs toujours un petit actionnaire de la société…

« Quand en 1998 je débute le projet d’injection sans aiguille au sein des laboratoires Fournier, d’emblée c’était déjà en relation avec la SNPE », confirme Patrick Alexandre. Lorsque la famille Fournier se sépare des laboratoires éponymes, Patrick Alexandre avec le soutien d’investisseurs historiques (Philippe Monnot et Thierry Garet, réunis au sein de Gemmes Venture, une société de capital-investissement spécialisée dans les prises de participations minoritaires ou majoritaires, principalement dans des sociétés non cotées), mais aussi des partenaires industriels dont SNPE créé Crossject. C’est le début d’une histoire entrepreneuriale à retournements…

Changements de modèle

La jeune société bénéficie de la maturation du dispositif expérimenté chez Fournier. « On avait déjà pris nos marques sur la pyrotechnie, on avait réalisé des études, y compris une petite étude clinique sur l’homme à Besançon qui montrait que le concept était là. Ça a permis de séduire les investisseurs ». Initialement, Crossject avait prévu de développer la technologie et de le présenter aux laboratoires pharmaceutiques, charge à eux de développer leurs propres applications. Mais la dépendance à ces laboratoires et à leurs cycles de décision réoriente le trajectoire de la société : « On décide de choisir un certain nombre d’applications et de développer nos propres solutions.  »

Crossject doit revoir son modèle, faire du développement pharmaceutique et se restructure. Le siège de Paris est rapatrié à Dijon, une chance selon Patrick Alexandre : l’actuel bâtiment de la société est aidé par ce qui est à l’époque le Grand Dijon, le savoir-faire est local, la visibilité, les coûts, le partenariat avec le CHU justifient l’implantation dijonnaise. « On avait un fonctionnement plus “family office“ que fonds d’investissement biotech : notre investisseur principal Gemmes Venture, on avait mobilisé des amis, des partenaires industriels… »

L’avancée des projets, la mutation des partenariats et des stratégies de Crossject forment « entre 2010 et 2015, une période de transition, où nous avons dû réintégrer la partie production » , gérer l’introduction en bourse de la société, voir naître et tourner court des coopérations industrielles.

C’est à ce moment aussi que Crossject prend conscience que là où elle apporte une innovation majeure, c’est dans les situations d’urgence : c’est ainsi que la société resserre son portefeuille de produits.

« Ça a été très dur, très stressant, reconnaît Patrick Alexandre. Mais avec du recul, cela nous prouve que la maîtrise de cette technologie est un plus et de ces coopérations, on a appris les techniques industrielles et les savoir-faire. Et c’est vrai que dans nos plans, on aurait dû être beaucoup plus tôt sur les marchés ! Notre projet aurait dû être porté par de gros industriels. Mais ils auraient abandonné beaucoup plus tôt face aux problématiques de rentabilité . Et aujourd’hui il n’y a pas une personne au monde qui arrive à faire ce que l’on fait  ».

Success-story... À la française

Parmi les produits développés, un produit contre les crises d’épilepsie qui vient à intéresser la Barda, dont la mission est de trouver, pour le peuple américain, des solutions pour faire face à des situations d’urgence.

L’étude clinique existe et le souhait est justement, de disposer d’un auto-injecteur… la veille technologique leur permet de dénicher le dispositif inventé par Crossject, baptisé Zeneo… et c’est ainsi que la petite société dijonnaise répond et remporte l’appel d’offres de 150 millions de dollars pour un auto-injecteur sans aiguille qui va traverser l’Atlantique et bientôt le Pacifique : Crossject vient en effet de signer un contrat avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et a inauguré au début du mois de juillet son site de production de 1.000 mètres carrés à Arc-lès-Gray ; 150 recrutements y sont attendus.

Cette success-story à la française semble aujourd’hui évidente, mais que l’on ne s’y trompe pas : les écueils ont été nombreux et il a fallu y croire pour la voir s’accomplir au bout de vingt ans.

« Je n’avais pas songé à créer une entreprise, avoue Patrick Alexandre, c’était de l’opportunisme. Mais une fois qu’on est lancé, soit on va jusqu’au bout, soit on fait autre chose ! Et à chaque fois, j’ai réussi à trouver l’énergie et des solutions avec d’autres partenaires lorsque certains partaient. » Son conseil aux entrepreneurs : savoir s’entourer des compétences que l’on n’a pas, ne pas avoir d’a priori, apprendre à aller chercher de l’argent... Et encore une fois ne rien lâcher : le trajectoire de Crossject n’est « pas du hasard, pas de la chance. De la persévérance. »