Fabrice Frérot
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Fabrice Frérot

S’il te plaît : dessine-moi un mouton à cinq pattes.

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Photo de Fabrice Frérot
Fabrice Frérot en pleine démonstration de son dispositif Perdelle Swan, dernier né de la marque Perdelle créée en 2021. (Crédit : JDP)

Il porte volontiers la chemise colorée, voire à fleur quand d’autres n’ont que des boutons, le regard est rieur, le débit de parole vif... Il y a quelque chose du Géo Trouvetou, du professeur Tournesol ou de Saint-Exupéry (pour le côté poétique) chez Fabrice Frérot, insatiable inventeur bisontin qui puise son inspiration dans la quiétude des paysages naturels des berges du Doubs protégées par les remparts en vieille pierre de Besançon et dans ses rêves nocturnes où prend vie le produit de demain.

« Quand je travaille sur un projet, j’ai une vision globale des choses, je rentre littéralement dans le futur produit, je le vois vivre, se fabriquer, les difficultés rencontrées dans sa conception, les frottements, son utilisation au quotidien, son service après-vente et même son recyclage… ».

Ce besoin de concevoir « ce qui n’existe pas encore », de « croiser les procédés de fabrication et les solutions techniques d’un univers industriel à l’autre », de se glisser dans des créneaux auxquels personne n’avait pensé avant lui, « toujours pour le bien-être commun », germe en lui dès son plus jeune âge.

« Enfant déjà, je travaillais dans l’atelier de mon père, au profil très technicien. Parallèlement, je dessinais des squelettes et autres éléments anatomiques avec ma mère, une infirmière d’une immense douceur ».

Côté professionnel, il se cherche un temps. Titulaire d’un BTS de dessinateur industriel, puis d’une formation de géomètre-topographe, il travaille tour à tour chez EDF, Peugeot et Parkeon (devenu Flowbird), mais ne se sent jamais vraiment à sa place : « Je me confrontais régulièrement à la direction, le gâchis de matière, d’énergie dans les process de fabrication me rendait malade… ».

À 30 ans, après plus d’une trentaine de déménagement un peu partout en France et même en Afrique de l’ouest, il se pose définitivement à Besançon, ville qui stimule sa créativité et décide de devenir inventeur. En 2006, il dépose son premier brevet : la boite à souffle, une petite boite tout en bois qui s’ouvre quand on souffle dedans.

« Je dors avec un dictaphone à portée de main pour conserver une trace des idées qui me réveillent. »

Il s’imagine vendre le concept à des fabricants de jouets en bois, mais ceux-ci se montrent réticents, inquiets du prix de revient. « C’est alors que Jean-Claude, alors conseiller en stratégie économique à la CCI du Doubs, me dit : “Si c’est un problème d’argent pourquoi n’amènes-tu pas tes idées dans le luxe ?”. Je l’ai pris au mot, je suis monté à Paris avec une valise de mes inventions et sans rendez-vous, au culot, j’ai frappé aux portes des grands noms de la maroquinerie, du prêt-à-porter, de la parfumerie, de l’horlogerie, de la maison, de l’art de vivre et des arts de la table. Le soir, je décrochais mon premier contrat (la création du plus petit cadenas du monde : seulement 22 millimètres de haut) ainsi qu’un formidable carnet d’adresse ».

En 2009, un brevet de charnière automatique pour une boîte à ouverture lente permet à Fabrice Frérot de créer l’entreprise Maison Frérot, dont la base-line est “création mécanique”. Avec cette entité, il se spécialise dans la conception et le design industriel d’article de sport, de produits cosmétiques, d’accessoires de maroquinerie, de dispositifs chirurgicaux et dans la réponse à des cahiers des charges du type « mouton à cinq pattes », enfin, il propose son expertise comme consultant en étude mécanique.

« Maison Frérot se donne également pour mission d’apporter aux objets du quotidien une conception tournée vers une industrialisation la plus économique et durable possible ». Une vision reflet des convictions de Fabrice, qui en quête de minimalisme et de liberté, ne possède plus de voiture depuis plusieurs années. « Chaque année, je pars seul, en dehors des temps de vacances avec ma famille, avec tente sur le dos, pour un road-trip en auto-stop sur les routes de France. Cela me permet de m’ancrer dans le présent, de me détacher du confort matérialiste, de reprendre contact avec la nature, j’appelle cela mes moments de décharge intellectuelle… ».

De ces parenthèses épurées est notamment né un porte smartphone pliable regroupant tous les fonctionnalités des dispositifs existants sur le marché. Pendant la Covid, l’inventeur se fait couturier, achète pour 30 euros une machine à coudre d’occasion et lance une gamme de chemise pour homme.

Puis en 2015, lors d’une visite d’un atelier de maroquinerie, il est frappé par la difficulté des opérateurs et opératrices à œuvrer sur leur poste de travail dépourvus d’accoudoirs. Il imagine alors un système d’accoudoirs suspendus qui viendrait faciliter le quotidien des employés d’usines et de manufactures qui travaillant à la chaîne peuvent être amenés à effectuer des tâches physiques éprouvantes, car répétitives.

Ce dispositif révolutionnaire prend le nom de Perdelle-Néo. Convaincu de tout son potentiel, Fabrice Frérot décide de le commercialiser lui-même. En 2021, il lance la marque Perdelle. Les premiers prototypes sont vendus dans le mois. L’invention est même récompensée par une médaille d’argent au concours Lépine 2021 notamment pour son apport à la lutte contre les troubles musculo-squelettiques (TMS) de toute la partie haute du corps, des bras et du dos en passant par les épaules.

« Mon dispositif est conçu pour les personnes qui effectuent des tâches répétitives dans une position statique ou dynamique, debout ou assise, et qui manipulent des charges lourdes ou légères. Il a pour originalité d’être doté de brassières dans lesquelles l’utilisateur passe ses bras pour y reposer ses coudes. Perdelle-Néo soulage le poids des bras. Les efforts sont mieux répartis et les épaules déchargées. Le dispositif se fait rapidement oublier… Il est aussi très facile à installer, car composé d’un nombre limité d’éléments : une pièce d’ancrage qui ne demande aucun perçage pour être fixé, deux arcs, des éléments en acier inoxydable, des brassières, des élastiques, et des poulies. Enfin, Perdelle améliore la posture générale des utilisateurs sans toutefois demander un investissement du même ordre de grandeur qu’un exosquelette ».

Framatome, Stellantis et de grandes maisons du luxe lui ont déjà passé commande. Aujourd’hui, Fabrice Frérot, qui a engagé un commercial et lancé un second modèle, baptisé Perdelle Swan, directement adaptable au siège de l’utilisateur lui permettant ainsi se déplacer d’un poste à un autre, vise une commercialisation en grande distribution, « où les caissiers et caissières sont en grande souffrance » et pourquoi pas se développer à l’international.