Maud Griezmann
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Maud Griezmann

Tête de l’art.

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Photo de Maud Griezmann
Passionnée de concerts, « j’en fais un par semaine ! », Maud Griezmann, s’est inspirée des lieux qu’elle a fréquentés lors de ses voyages, notamment dans les pays anglo-saxons, pour créer le Matilda. (Crédit : DR)

Quand la patronne, malgré l’inconfort d’une bonne crève passagère, débarque au Matilda, rien ne se crispe. La tranquillité des employés – une quinzaine au total - traduit la personnalité bienveillante de Maud. La jeune femme est à la tête d’un navire culturel qui lui ressemble : coloré, hybride et créatif.

Sans doute repense-t-elle à ses rêves d’adolescente, quand elle s’imaginait créer un lieu « qui regroupe tout ce que j’aimais ». Le chemin pour y parvenir a été tortueux, retardé par un sentiment de manque de légitimité tenace. « Je suis issue d’une famille modeste, un père gardien de MJC et une mère qui faisait des ménages en centre hospitalier, je n’avais pas accès à la culture. Mes parents étaient passionnés de sports et tant mieux, ça a plutôt bien réussi au frangin », glisse-t-elle malicieusement.

Agent très spécial

Malgré sa passion pour la littérature et les langues vivantes, c’est vers le tourisme et le marketing qu’elle oriente ses études, avant une licence en communication. Le retour à Mâcon n’est pas très euphorique, elle enchaîne les petits boulots avant d’atterrir chez Cultura. C’est au moment où son frère est appelé chez les Bleus que son destin bascule. « Il m’a demandé de travailler avec lui. J’avais toujours ce syndrome de l’imposteur, alors j’ai refait une licence en alternance avant de me lancer ».

Les compétences de Maud et la complicité familiale feront le reste. Rapidement ses prérogatives s’étendent : de la communication au marketing jusqu’à s’occuper du sportif, « en s’entourant d’une petite équipe, notamment un avocat spécialisé. »

Mais elle n’est pas accueillie à bras ouverts dans le milieu des agents. « Je suis « la sœur de » et une femme, pour moi c’est la double peine. C’est un milieu à 99 % masculin, on baigne dans le patriarcat. Quand je débarque avec mes tatouages et mes cheveux roses au milieu des costards cravates, ça passe mal. »

Mais ce job lui a donné les moyens d’assouvir ses désirs de culture. Et c’est chez elle et nulle part ailleurs qu’elle les a concrétisés. « Je suis très attachée à ce territoire, j’y ai mes souvenirs, mes amis, ma famille. Mâcon est une ville à fort potentiel et je me réjouis de voir émerger de nouveaux lieux de vie depuis le Covid. »

La passion du live

Maud a installé son projet dans un lieu un peu excentré de la vielle ville et des quais, comme souvent, sur un coup de tête, ou un coup de cœur : l’ancienne salle des ventes. « Je n’ai visité qu’un seul lieu : celui-ci ! J’avais besoin d’espace, alors 500 m2, pas trop loin du centre-ville, avec un parking gratuit à proximité… ».

Le projet va s’avérer long à mettre en place mais Maud a gagné en détermination un triste soir de novembre 2015. Elle est au Bataclan quand la salle de concert est prise d’assaut par les terroristes. « J’en suis sortie vivante... Alors oui, ça a décuplé mon envie de concrétiser mes rêves, même si ça a pris sept ans. »

Encore fallait-il que cette expérience traumatisante ne la détourne pas de sa passion du « live ». « Trois mois après, je retournais en concert. Je n’éprouve aucune peur. C’était important, je ne voulais pas qu’on m’enlève cette passion qui fait partie intégrante de ma vie. »

Photo de Maud Griezmann
(Crédit : DR)

Mais avant d’entamer son projet phare, Maud a d’abord investi à Cluny où elle a racheté Le jardin secret, une librairie historique dans laquelle elle a ajouté un coffee-shop. « Ça m’a permis de mettre les mains dans le cambouis. C’est une vraie institution, ça roule presque tout seul », se félicite-t-elle. « Ouvrir un lieu à Mâcon, c’est plus casse-gueule », reconnaît-elle.

Il y a un plus d’un an naissait le Matilda (clin d’œil au film de Danny DeVito), vite identifié comme lieu de concert référence. « Je veux que les gens se réapproprient le côté « scène émergente ». C’est bien aussi de faire venir des têtes d’affiche comme Rodolphe Burger mais j’aime et j’assume le côté intimiste, petite jauge. »

Mais le Matilda est plus qu’une scène, plus qu’un bar-restaurant, c’est un lieu culturel à part, qui accueille aussi une librairie, une disquerie (du vinyle !) et même une ludothèque pour se procurer des jeux de société.

« Je voulais créer un lieu safe, intergénérationnel, où chacun se sent bien, sans être jugé ; où l’on peut venir en famille, entre collègues ou entre amis. Un lieu hybride qui peut être feutré à certains moments de la journée et festif à d’autres. »

Drapeau arc-en-ciel et vin nature

Le Matilda, c’est aussi une atmosphère militante, où le drapeau LGBT flotte en permanence. « La cause doit être défendue partout, pas seulement dans les grandes villes », fait remarquer Maud. Féministe assumée, elle accueillera à partir de septembre les tables rondes de l’association « Femmes solidaires ».

Et son militantisme se prolonge jusque dans les verres dans lesquelles elle sert des vins naturels, « ce qui donne lieu à des sketchs », s’amuse-t-elle, fière de bousculer les mœurs bachiques locales. « Nous sommes dans une région viticole très traditionnelle, les gens ne sont pas habitués. Quand on propose un vin orange, on se fait avoiner comme jamais. »

Mais là encore, pas question de céder au découragement, bien au contraire. Elle organisera au printemps prochain son premier salon de vins naturels. La jeune femme qui vient de souffler la première bougie du Matilda, dresse un bilan satisfaisant de son début d’activité. « Notre objectif pour la seconde année ? C’est de faire la même chose, mais en mieux ». De quoi lui donner envie d’investir d’autres places ? « Non. On veut s’installer, devenir un lieu référence, pas un simple feu de paille. »