Olivier Anaya et Aurélien Pitaval
Invités / Entretiens

Olivier Anaya et Aurélien Pitaval

« Les pirates de la meunerie. »

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Photo d'Olivier Anaya et Aurélien Pitaval
(Crédit : DR)

C’est l’histoire d’un Parisien qui déménage pour vivre à la campagne… On a connu plus original. Mais si ce Parisien, ingénieur son dans les milieux artistiques du théâtre, de la danse et de la musique, mène la vie « rock’n’roll » d’un régisseur qui suit ses groupes en tournée, mais décide, sur un coup de tête, de quitter la capitale pour venir s’installer dans le tout petit village d’Arnay-sous-Vitteaux - une centaine d’habitants - pour se reconvertir en meunier à 34 ans, sans connaissance du métier ; n’a-t-on pas là davantage le synopsis d’un bon film d’auteur ?

Ajoutez présence d’un autre Parisien, lui exilé au Pérou, revenu en France lors du confinement spécialement pour rejoindre son ami de longue date dans ce grand saut dans le vide... Vous obtenez alors l’histoire extraordinaire d’Aurélien Pitaval et Olivier Anaya, propriétaires du Moulin du Foulon depuis un peu plus d’un an.

Une histoire d’amour

Tout commence il y a presque 10 ans. Aurélien et sa femme font l’acquisition d’une maison de campagne à Arnay-sous-Vitteaux. Pour le couple, c’est l’occasion de fuir une vie parisienne parfois étouffante et répondre à un désir de retour à la nature. Quelques années plus tard, en 2020, la Covid les contraint à s’y installer durablement : le jeune homme découvre alors l’existence du moulin du Foulon, situé à 500 mètres de chez lui. « Comme tout le monde, on a voulu faire du pain, et donc je suis venu acheter la farine ici », se rappelle-t-il, sourire aux lèvres.

Très vite, il tombe sous le charme des lieux, et propose son aide à Robert Lallemant, 76 ans, qui gère seul la minoterie. À cette époque, le meunier connait un bond significatif de ses ventes dû au confinement, mais il peine à suivre et cherche à revendre l’affaire. « Je suis tombé amoureux du bâtiment et de cette machine infernale, explique Aurélien avec émotion. Quand Robert m’a dit qu’il voulait vendre, je lui ai dit “ si tu me formes, je reprends ”, et il a accepté ».

Dans le même temps, le Val-de-Marnais contacte Olivier Anaya, son ami depuis une quinzaine d’année, parti vivre au Pérou, pour lui expliquer son idée folle : se former au métier de la meunerie - mais aussi de la gestion d’entreprise - pour reprendre un moulin « dans son jus » qui avait « un peu disparu du marché ». Olivier accepte, - « on avait depuis longtemps l’envie de faire quelque chose ensemble » -, et l’aventure est lancée.

Un vent de fraîcheur

Passer du son de la musique au son de blé n’avait rien de facile : « j’ai lâché tout mon boulot, toutes mes relations, se souvient Aurélien, dans mon ancien domaine, quand on laisse tout tomber c’est presque impossible de revenir ».

Mais ce saut dans l’inconnu n’a pas effrayé les deux trentenaires ; « Olivier a toujours eu des ambitions entrepreneuriales, et moi, c’était surtout une envie de créer. Je pense que ça a toujours été une frustration ». Emplis d’ambition et de confiance en leur capacité d’apprentissage, ils retrouvent les bancs de l’école pour la rentrée 2020-2021.

L’idée est alors de confronter la formation pratique de Robert Lallemant, basée sur ses connaissances empiriques de nombreuses décennies, à un diplôme théorique CQP conducteur de moulin, leur permettant notamment des qualifications supérieures en QHSE (qualité, hygiène, sécurité, environnement). Pour le duo, c’est aussi l’occasion d’évaluer leur complémentarité : « Nous n’avons pas du tout les mêmes profils, je suis plutôt bricoleur, et Olivier davantage dans l’administratif et le commercial ».

Rapidement, Aurélien et Olivier débutent une stratégie agressive de démarchage pour remettre le Moulin du Foulon sur la carte des minoteries, d’abord en ligne avec la création d’un site internet et d’une page Facebook, mais aussi avec la clientèle. « Il a fallu qu’on apprenne le milieu, connaître les besoins de nos clients », 80% d’entre eux étant des boulangeries. Parallèlement, ils développent leur offre à destination des particuliers, en partenariat avec des supermarchés.

Aujourd’hui, sept boulangeries travaillent exclusivement avec le moulin du Foulon, et l’offre aux particuliers se décline en six types de farine, dont la « farine du soleil » aux accents provençaux, ou encore le « bruchon d’Auxois », marque de fabrique du moulin, spécialement conçue pour la préparation du pain.

Pirates et gaulois

À l’heure du bilan, un an après le rachat, le Moulin du Foulon est en meilleur santé. « C’est génial, ça tourne bien mieux. On produit environ 50% de plus qu’espéré, et pourtant le moulin tourne aujourd’hui à la moitié de sa capacité », se félicite Aurélien. Pour les deux compères, cette aventure doit se faire sur la durée, avec en point d’orgue l’objectif d’arriver à 100% du rendement de la minoterie, moyennant des aménagements, des clients supplémentaires et éventuellement « quelques employés ».

« On n’a jamais autant bossé, et (rires) jamais été aussi peu payés ! »

Pour le moment, Aurélien et Olivier conduisent le moulin seuls, du démarchage commercial à la livraison en passant par l’entretien des machines et les travaux. « On se sent vraiment bien ici. On se marre, on va au boulot avec grand plaisir, et nous avons reçu un bel accueil du village. Tout le monde était très content que le moulin soit repris. »

Les deux barbus naviguent tout de même à contre-courant et aiment se surnommer « les pirates de la meunerie », en référence à leur manière de faire, très franche et directe, et leur indépendance intouchable.

Ils prolongent malgré tout, fièrement, les valeurs du « 100 % vrai local, avec du blé venant à 100 % de Côte d’Or » et de l’artisanat. Avec la forte ambition de perpétuer une tradition en perdition, ces « gaulois résistants » font tourner l’un des 359 moulins français en 2023, contre 40.000 en 1900.