Humeur

Historique vs hystérique

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Emmanuelle de Jesus.

Il l’a fait ! Mercredi 28 février, après des heures d’arguties juridiques sur la portée de l’expression « liberté garantie », le Sénat a approuvé par 317 voix pour et 50 contre, l’inscription dans notre Constitution de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Un droit acquis en 1975 grâce à Simone Veil et que, croyait-on, personne n’aurait l’idée de remettre en question. Sauf que. Convoquons derechef une autre Simone, Simone de Beauvoir.

S’adressant à une jeune militante du droit à l’avortement en 1974, elle lui prédit : « Il suffira d’une crise politique, économique et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits, soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante ». Presque 50 ans plus tard, pour ce qui est de la crise, à peu près toutes les cases sont cochées. Et Simone avait raison : aux États-Unis, en 2022, la Cour suprême a balayé l’arrêt Roe vs Wade qui garantissait l’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire fédéral.

Un an après, quatorze États américains ont interdit l’interruption volontaire de grossesse, quand dix-sept ont durci le droit à l’avortement... plus près de nous, la Pologne a connu sous le gouvernement Morawiecki une restriction sans précédent du droit à l’IVG qui n’a pris fin qu’en 2023. En Hongrie, depuis 2022, une femme qui avorte est condamnée à entendre les battements de coeur du foetus. Autant de faits que les sénateurs et les sénatrices ont rappelés en hémicycle. Oui mais tout cela, ont souligné les commentateurs et certains légalistes opposés à la constitutionnalisation de l’IVG, ce n’est pas chez nous ! Et de hurler à « l’importation » de débats anglo-saxons.

Pas chez nous, vraiment ? Dimanche 25 février sur CNews, chaîne généraliste devenue la propriété de l’homme d’affaires conservateur et catholique Vincent Bolloré, l’avortement a été pointé comme la première cause de mortalité dans le monde, devant le cancer et le tabac. La chaîne a présenté de molles excuses, mais le mal était fait... Pas chez nous ? Il fallait entendre les imprécations (oserait-on « hystériques » ?) du sénateur Stéphane Ravier (Reconquête) lors des débats pour l’inscription de l’IVG dans la Constitution : « En votant pour ce texte, vous ouvrez la voie à la reconnaissance par le juge constitutionnel de l’avortement jusqu’au terme de la grossesse, de l’avortement en raison du sexe ou sur des critères eugénistes », avant d’intimer à sa collègue qui lui apportait la contradiction : « Assieds-toi et ferme-la ! » - la dernière fois que l’on avait entendu ça, c’était dans les tribunes du match Qatar-Équateur lors de la Coupe du Monde de football, ce qui donne une idée de la hauteur de vue...

Lundi 4 mars, les parlementaires réunis à Versailles auront définitivement inscrit l’interruption volontaire de grossesse - un droit encadré en France et qui respecte la clause de conscience des médecins, n’en déplaise aux militants anti-avortements - dans notre Constitution, une garantie pour les générations à venir et un prélude parfait à la Journée internationale des droit des femmes. De quoi réjouir la sénatrice Dominique Vérien, l’une des Femmes Puissantes qui font l’objet de notre dossier. Issues du monde politique, culturel, scientifique, économique, nous les avons choisies pour leurs parcours, leurs convictions, leurs combats et l’exemple qu’elles offrent à des jeunes femmes tentées de suivre leurs traces, pour rester « vigilantes » leurs vies durant.