Humeur

Do It Yourself !

Lecture 5 min
Emmanuelle de Jesus.

Le concept du Do It Yourself (« Faites-le vous-même ») a connu son apogée lors du premier confinement de 2020 : des cadres bardés de diplômes exhibant sur les réseaux des pains aux graines, des savons aux huiles essentielles et autres broderies néo-punk, mélange très instagrammable de madame Ingalls et de baba cool 2.0...

Tant que ceci restait confiné, c’est le cas de le dire, à la boulangerie faite maison et à la décoration intérieure, pas de quoi faire un billet. Plus grave, le DIY a fini par contaminer la sphère publique où la tentation de se passer de médiateurs forme le terreau de lendemains pas vraiment enchanteurs. Illustration en quatre victimes collatérales.

1 : Les médias. Pas content du travail effectué par les journalistes (pardon, les « journalopes »), sur la gestion de la pandémie de la Covid ? Faites-le vous-même ! Les réseaux sociaux permettant un étalage sans le moindre filtre, la moindre vérification, la moindre hiérachisation de l’information - le fondement du travail journalistique -, on a vu s’y épanouir les chaînes de charlatans professionnels, d’experts autoproclamés et autres initiés du complot mondial, répandant des théories nauséabondes qui ont conquis des masses de concitoyens (en un seul mot. Quoique). Ces chaînes, ultra fréquentées par une partie de la population qui s’y informe exclusivement, ne sont pas si inoffensives que cela puisque même les « merdias mainstream » s’en font l’écho avec une indulgence, voire une complaisance, suspecte.

2 : La police. Pas certain de l’efficacité des forces de l’ordre ? Faites-le vous-même ! Durant les émeutes liées à la mort de Nahel, on a vu par exemple à Lorient des groupes de proclamés « anti-casseurs » venir appuyer les policiers - certes en sous-effectifs -, capturer les émeutiers et les remettre aux forces, officielles celles-ci, de l’ordre. L’enfer étant pavé de bonnes intentions, permettez que l’on soit légitimement effrayé de la création de ce qu’étymologiquement on peut qualifier de milices.

3 : Le Parlement. Pas envie de s’encombrer de la lourde navette parlementaire ? Faites-le vous-même ! Sur le climat ou la fin de vie, à l’élaboration de la loi par les députés et les sénateurs - payés par le denier public - le chef de l’État a préféré des comités de citoyens, se passant allègrement de la représentation parlementaire. Le message envoyé ? Le mépris de ces mêmes parlementaires, pourtant légitimés par le vote démocratique des électeurs et grands électeurs, qui vient alimenter l’opinion selon laquelle ces élus « ne servent à rien »...

4 : La justice. Pas convaincu de la neutralité des magistrats ? Faites-le vous-même ! La mort de Nahel a également donné des idées à Jean Messiha (ancien porte-parole de Reconquête, le mouvement d’Éric Zemmour) qui pressentant une condamnation à venir du policier mis en cause, a lancé une cagnotte destinée à soutenir sa famille. En cinq jours, le montant de celle-ci a atteint 1,6 millions d’euros. Une somme record qui interroge, d’autant que le polémiste d’extrême-droite, même s’il s’en défend, a clairement posé les fondements politiques de sa démarche, répétant par exemple mercredi 5 juillet dans un tweet : « Ceux qui sont mal à l’aise avec la #CagnottedelaFierteNationale ce sont qui vouent une haine viscérale à notre pays et à son identité ». Donc, si l’on suit Jean Messiha, ceux qui ont contribué à sa cagnotte, seraient « ceux qui vouent une passion viscérale à la France et son identité » ? Ne serait-ce pas les mêmes qui contestent les explications scientifiques sur la Covid, qui épaulent la police sans la moindre légitimité et trouvent que les parlementaires ne servent à rien ?

5 : (Bonus) : la démocratie. L’étape suivante de ce processus, c’est que cette France de la contestation se choisira comme leaders ceux qui revendiquent un lien direct avec le peuple, sans parlement, sans médias ; où la loi du plus fort s’impose à la justice ; où l’ordre règne au détriment des libertés. D’extrême-droite ou d’extrême-gauche, on appelle ça le populisme. Pas sûre que notre modèle démocratique y survive.