Humeur

Sois résilient et tais-toi

Lecture 4 min
Emmanuelle de Jesus.

Jeudi 31 novembre avait lieu la rentrée solennelle du barreau dijonnais dont la tradition veut qu’on y entende un discours prononcé par le premier secrétaire de la conférence - titre donnée au gagnant du concours d’éloquence organisé chaque année par la conférence du stage dans les barreaux. Cette année le premier était une première : Me Adèle de Mesnard, ayant prêté serment en début d’année, a délivré un discours brillant sur le thème de la résilience.

La résilience est à l’origine la propriété physique d’un matériau - sa capacité à absorber de l’énergie quand il se déforme sous l’effet d’un choc. Ce concept, parfaitement à l’aise dans les laboratoires et les usines, a trouvé un nouvel écho lorsque le psychiatre Boris Cyrulnik l’a théorisé pour qualifier la capacité des victimes à surmonter un choc traumatique. Il savait de quoi il parlait : fils de déportés tués à Auschwitz, il est placé à l’Assistance publique puis recueilli par son institutrice.

Il a six ans et demi lorsqu’il est dénoncé puis arrêté lors de la rafle des Juifs de Bordeaux en janvier 1944 ; il sera sauvé par miracle. Mais le mot est lâché. Sans la moindre pudeur ni nuance, la communication officielle va s’en emparer. La lutte contre la Covid-19 en 2020 est baptisée « Opération résilience ». Lors de ses voeux pour l’année 2021, Emmanuel Macron l’affirme : « Notre Nation a traversé cette année avec une telle unité et une telle résilience : rien ne peut lui résister. »

En août 2021, rebelote lorsqu’elle est votée la loi « Climat et résilience ». Et dix de der face à la crise énergétique et à la guerre en Ukraine, lorsque le président a annoncé un « plan de résilience économique et social ». Bref, la résilience est partout et surtout n’importe où. Une entreprise qui traverse une crise ? Résilience.

Une histoire d’amour foireuse surmontée ? Résilience. Une victime de guerre qui ne sombre pas dans la folie ? Résilience. « Mais, rappelle Me de Mesnard, la résilience seule n’est rien et ne peut pas être le prétexte de l’inaction publique ».

« La partie décroissante des souffrances n’est pas le résultat d’une vertu naturelle, elle est attribuable à la reconstitution d’une solidarité et au travail de sens effectué au cours des tentatives d’explication. Ceux qui mettent longtemps à se remettre du trauma ou ne s’en remettent jamais sont ceux qui ont été abandonnés par le groupe », appuie le psychiatre Boris Cyrulnik. Ou, pour le dire simplement : sans humanité, la résilience appliquée aux sociétés humaines ne peut exister. Faire injonction aux victimes d’être résilientes, c’est nier leurs souffrances et cela ouvre la porte à tous les outrages et toutes les lâchetés. Après tout, si l’on est si certain qu’une victime porte en elle les capacités à se réparer, pourquoi faire barrage à ce qui l’oppresse ?