Humeur

PFAS : du lobbying bien poêlé

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Emmanuelle de Jesus.

L’Assemblée nationale a adopté en première lecture, jeudi 4 avril, une proposition de loi des députés écologistes (déposée le 20 février dernier) destinée à limiter la diffusion des « polluants éternels » ou PFAS. Cette PPL a été adoptée à l’unanimité, malgré les réticences du gouvernement, avec 186 voix pour et aucune contre, 27 abstentions… mais en excluant les ustensiles de cuisine.

Ce qui fournit un édifiant exemple de ce que peut produire le lobbying d’un groupe né en Côte-d’Or pesant actuellement huit milliards d’euros de chiffres d’affaires et 30.000 collaborateurs dans le monde, j’ai nommé SEB.

Étape 1 : Thierry de la Tour d’Artaise, pdg du groupe s’épanche le 31 mars dernier dans les colonnes de notre confrère La Tribune pour dénoncer la confusion entre les PFAS et le composant utilisé dans les produits des marques du groupe SEB, le PFTE, parfaitement inerte selon lui.

Étape 2 : Stanislas de Gramont, le directeur général du groupe SEB interrogé par France Bleu Pays de Savoie répète à l’envi ce narratif et met en balance les 3.000 emplois menacés si la proposition de loi venait à être votée dans sa formule initiale, c’est-à-dire en incluant les ustensiles de cuisine, puisqu’elle condamnerait le site de Rumilly où sont fabriquées les poêles antiadhésives qui participent de l’excellente santé financière de SEB.

Étape 3 : 450 salariés de SEB bénéficient d’un jour de congé et de bus affrétés pour l’occasion par leur direction pour se rendre devant le Palais Bourbon, et taper le plus bruyamment possible sur des poêles, histoire de mettre la pression aux députés.

Étape 4 : Vote. Un peu dégouté, le rapporteur de la loi, le député écolo Nicolas Thierry se désole que « le lobby grossier d’un industriel ait pu avoir un écho auprès de députés ». Celui de la 4e circonscription de la Côte-d’Or, Hubert Brigand, posant fièrement avec les manifestants sponsorisés par leur direction et assurant que « les salariés du Groupe (avec un G majuscule) peuvent compter sur lui » en est un bon exemple.

Voilà pour la partie visible. Mais que s’est-il passé en coulisses entre le moment où la PPL est passée comme une lettre à la poste à la commission chargée de l’examiner et les débats en hémicycle où un ministre de l’Industrie très en forme, Roland Lescure, lui a opposé « un poids trop important à porter pour les industriels ? ». Ce même Roland Lescure qui, en octobre 2023, au siège historique de SEB à Selongey, coupait tout sourire le gâteau célébrant les 70 ans de la cocotte-minute... (À noter d’ailleurs qu’à cette occasion, des cocottes Made in France étaient offertes aux invités, y compris aux élus présents et aux journalistes tous libres - ce que l’auteure de ces lignes a fait - de les refuser poliment).

Pour être complet, deux informations : interrogé par nos confrères de France 3, Pierre Labadie, directeur de recherche en chimie de l’environnement au CNRS s’est déclaré « choqué, en tant que scientifique qui travaille sur les PFAS depuis plusieurs années, sur le manque d’arguments scientifiques et le fait de se focaliser uniquement sur la phase d’utilisation du PFTE (quand il est dans nos poêles, NDLR). Ignorer le potentiel de contamination - ou d’émission en tous cas - de toute une gamme de composés lors de l’étape de synthèse et d’utilisation dans un contexte industriel, c’est vraiment dommageable ». Enfin en janvier 2024, le magazine UFC-Que Choisir a pratiqué une série de tests sur des poêles contenant le fameux PFTE, et notamment dans un contexte de surchauffe. Parmi elles, une poêle Tefal (groupe SEB). Résultat, dit l’étude : « La réglementation est peu restrictive. Elle concerne une poignée de PFAS sur les plus de 4.000 existants. Nous en avons recherché 70 et détecté 17 dans nos huit poêles ».

quechoisir.org/actualite-poeles-en-teflon-antiadhesives-mais-avec-pfas-n116070