Humeur

Pouce sur la puce !

Lecture 4 min
Emmanuelle de Jesus.

Moins de quatre mois après avoir implanté pour la première fois sur un patient humain sa puce cérébrale, la start-up d’Elon Musk, Neuralink, a annoncé que le dispositif rencontrait « des problèmes mécaniques ». Pour faire (très) simple, « certains des fils d’électrodes implantés dans le tissu cérébral ont commencé à se rétracter, a indiqué l’entreprise, ce qui a empêché le dispositif de fonctionner correctement ». À noter, en passant, que l’exceptionnelle transparence dont fait preuve Neuralink survient après que le Wall Street Journal a révélé le dysfonctionnement dans un article. Mais tout ceci n’est peut-être que le fruit du hasard...

À quoi sert Neuralink ? L’ambition affichée est noble : permettre à des personnes handicapées de contrôler des appareils connectés par la pensée. Ainsi Noland Arbaugh, le patient implanté par Neuralink, tétraplégique depuis un accident de voiture, a été vu sur une vidéo jouant aux échecs sur un écran d’ordinateur en contrôlant les déplacements des pièces par ses ondes cérébrales. Dans un monde idéal, une telle prouesse vaudrait a minima à Elon Musk un titre de bienfaiteur de l’humanité. Dans le monde qui est le nôtre, soyons honnête : Neuralink fout sacrément les jetons.

Quand la technologie sera au point - et n’en doutons pas, elle le sera - et sans trop s’aventurer dans la dystopie, parions que l’homme augmenté, doté d’une puce potentiellement contrôlable à distance, pourra donc être piloté par l’entreprise, ou le gouvernement, ou l’armée directement via son cerveau. Avec un rien de suggestion, il pourra même « penser » (oui, même le verbe devient sujet à interrogation) que ses actions émanent de sa propre volonté, alors même qu’une technologie guide ses faits et gestes. Il ira donc acheter les produits du groupe Bidule, propriété de la puce Bidule implantée dans son cerveau, ou ira voter pour TrucMuche, le candidat porté par le lobby de la puce TrucMuche, ou ira trouer la peau des ressortissants du pays voisin parce que son président, équipé d’une puce Machinchouette, s’est vue dicter par celle-ci l’ordre d’aller exterminer les possesseurs de la puce rivale ChouetteMachin. Vous voyez, ça va loin dans l’effroi.

Vous me direz, tout possesseur d’un smartphone scrollant avec frénésie sur TikTok, Instagram ou X est déjà soumis à des algorithmes fondés sur le fonctionnement du cerveau humain. Certes. Mais les zombies qui traversent la vie, les yeux fixés sur les écrans, ont au moins un téléphone à la main pour justifier leur sujétion. Comment distinguera-t-on, à l’avenir, un.e fanatique de chatons mignons, de tutos de maquillage ou de jardins en permaculture, d’un authentique zinzin certifié par un psychiatre, d’un homme « augmenté » si les premiers n’ont même plus comme « excuse » d’avoir le dernier machinPhone à la main ? En attendant que la sagesse soit généralisée et la raison d’État une raison d’être, on a bien envie de dire stop à cette invasion de puces. Même si on ne voit pas trop, les intérêts en jeu étant bien trop colossaux, où se niche la recette de l’insecticide...