« La ruralité est la grande oubliée de la nation »
Grand entretien. Alors que l’Assemblée nationale fait sa rentrée lundi 25 septembre pour une session extraordinaire, rencontre avec le député de la Côte-d’Or Hubert Brigand.
Élu lors des législatives de 2022 après une carrière en politique dans le très agricole Châtillonnais, le parlementaire veut s’imposer à Paris comme le porte-parole du monde rural. Lorsqu’il devient député en 2022, Hubert Brigand étrenne certes son premier mandat national, mais n’est pas, comme disent les chasseurs, « un perdreau de l’année ».
À 71 ans, l’élu de la 4è circonscription de la Côte-d’Or, la plus rurale du département, a déjà un long passé de conseiller municipal puis de maire (quatre mandats) de Châtillon-sur-Seine, et de conseiller général puis départemental du canton de « sa » ville. Élu de droite, il a été RPR de 1994 à 2002, puis UMP jusqu’en 2015, LR depuis. Et si l’étiquette a changé, lui n’a jamais bougé d’un iota, se posant depuis toujours en défenseur du monde rural, ce qu’il continue de faire au Palais-Bourbon.
Le Journal du Palais. Vous avez été élu en juin 2022 pour la première fois à l’Assemblée nationale. Quel est le bilan de cette première année de mandat ?
Hubert Brigand, député de la 4è circonscription de la Côte-d’Or : Positif, même si cette première année de mandat a été très mouvementée, notamment lors des discussions sur la réforme des retraites. J’ai pris mes marques à Paris et renforcé ma présence sur le terrain. : un député a une écoute plus importante qu’un élu local.
Mes intuitions ont été confirmées sur la façon dont les décisions se prennent à Paris, je sais à qui m’adresser pour être écouté, même si être entendu s’avère compliqué pour un élu d’un territoire rural qui n’est pas membre de la majorité relative du gouvernement. Enfin, j’ai découvert à l’Assemblée nationale le mensonge ministériel... c’était particulièrement vrai lors des débats sur la réforme des retraites.
Au premier tour des législatives 2022 c’est un candidat RN, pourtant moins implanté, qui était arrivé en tête. Comment interprétez-vous cela ? Était-ce un vote contre le Président Macron, ou les idées RN infusent-elles dans les campagnes ?
C’est un désaveu et assurément un avertissement adressé au Président de la République qui a délaissé les campagnes au profit des zones urbaines malgré ses engagements lors de sa campagne pour son premier mandat. Il a failli et tout particulièrement en zones rurales.
La ruralité est la grande oubliée de la nation française. C’est aussi un message fort envoyé aux élus nationaux, car nos concitoyens veulent qu’on les écoute et qu’on leur parle « vrai », ce qui n’est plus le cas chez nos ministres.
De quoi souffre le monde rural aujourd’hui ?
Le monde rural est méprisé par nos gouvernants. Mais il veut simplement qu’on lui donne les moyens de son dynamisme ! Il y a des habitants volontaires, des chefs d’entreprises fiers d’être en milieu rural mais ils se sentent aussi délaissés. Pourtant, développer le monde rural ce serait plus utile que de favoriser le tissu urbain et notamment parisien.
Par exemple, il faut davantage soutenir la diversification agricole, délocaliser des centres pénitentiaires générateurs d’emplois, mettre en œuvre un plan Orsec pour la santé en milieu rural. Voilà la ruralité qui échappe aux décideurs !
La Côte-d’Or a connu ces derniers mois son lot de mauvaises nouvelles économiques : vous avez cité dans une intervention en hémicycle les cas de Venarey-les-Laumes (Vallourec Umbilical) et Sainte-Colombe-sur-Seine (TrefilUnion). Comment situez-vous votre action en tant que député d’opposition vis-à-vis de ces fermetures ? Quels sont vos leviers d’intervention et quelles en sont les limites ?
Mes leviers sont essentiellement nationaux grâce à mes contacts dans les ministères mais malheureusement je ne suis pas décisionnaire et souvent les réponses qu’on me fait sont « à côté de la plaque ».
Lorsque j’ai abordé le sujet des fermetures d’usine que vous citez, le ministre s’est réjoui du retour d’entreprises de l’étranger en banlieue parisienne et des 3.000 emplois créés à Dunkerque. C’est l’autosatisfaction permanente chez nos gouvernants. Mais on se moque de nous ! Les PLUi vantés par l’État et la loi Zan (Zéro artificialisation nette, Ndlr), ce sont des repoussoirs à l’installation en milieu rural, pour l’économie comme pour l’habitat.
C’est là qu’on retrouve nos technocrates parisiens qui méconnaissent totalement la réalité du monde rural, captent la compétence des maires en matière économique pour la confier à une instance supra qui désorganisent les communes.
Je suis moi favorable à une différenciation fiscale pour les entrepreneurs : celui qui s’installe en région parisienne en a les moyens, et devrait donc avoir une fiscalité plus importante que la même entreprise, pour le même travail, qui va s’installer en milieu rural qui a d’autres inconvénients : transports, manque d’infrastructures, travail du conjoint... Il faut une vraie incitation : un dispositif comme les ZRR (zones de revitalisation rurales, Ndlr), ce n’est pas déterminant.
On vous a vu également monté au créneau pour alerter sur la désertification médicale en milieu rural. Quelles sont vos propositions pour y remédier, sachant que les syndicats comme les internes ne veulent pas que l’on remette en question la liberté d’installation des médecins libéraux ?
Alors pour commencer cela leur faisait une année d’étude en plus et il fallait qu’ils soient tutorés par des médecins seniors. Or des seniors il y en a de moins en moins et ils sont submergés de paperasses et d’informatique à la fin de leur journée au cabinet. J’ai rencontré des jeunes médecins qui m’ont dit : si on nous oblige à nous installer là ou là, on va se déconventionner...
Cette proposition, c’est du bricolage ! Je fais partie d’un groupe de travail qui réfléchit à d’autres propositions : réformer les études pour former plus de praticiens pour pallier les départs à la retraite, une meilleure rémunération pour les professionnels exerçant en milieu rural, généralisation de la télémédecine, allègement des contraintes administratives qui pèsent sur les soignants, meilleure indemnisation des déplacements pour les consultations et les soins à domicile.
Les territoires ruraux, délaissés par les industries, en proie à l’exode des jeunes et des diplômés est paradoxalement une manne pour les énergies renouvelables. Dans votre circonscription, le cas du méthaniseur de Cérilly est même un symbole.
J’ai toujours eu une position au cas par cas sur ces dossiers. Le développement des énergies vertes est l’avenir de notre planète : il faut s’en saisir, mais pas n’importe comment. Je suis très vigilant concernant la protection de nos paysages et de la biodiversité : pas question de dénaturer nos campagnes. Un projet opportun, justifié, bien compris, a plus de chances d’être accueilli favorablement. Malheureusement, ces énergies nouvelles ne génèrent à ce jour que très peu d’emploi pour notre ruralité.