Automobile

« Pool CO2 » : arrangements entre amis

Législation. Pour éviter les délirantes pénalités financières promises par l’Europe aux constructeurs ne respectant pas les normes maximum d’émissions, l’industrie automobile s’organise.

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Tesla profite de sa production exclusivement électrique pour être le grand bénéficiaire des accords entre constructeurs. (Crédits : DR)

La norme CAFE (Corporate Average Fuel Economy) en place depuis le 1er janvier impose aux constructeurs automobiles une moyenne d’émission de CO2 de 81g/km ( -15% par rapport à 2024) pour l’ensemble de la gamme d’une marque, tous types d’énergie confondus. Un seuil intenable concrètement pour la quasi totalité des acteurs du marché européen. À quelques exceptions près, tels Tesla qui ne commercialise que des voitures exclusivement électriques et, dans une moindre mesure, Volvo dont l’électrification généralisée lui permet de passer entre les gouttes. Pour les autres, il leur faudrait d’ici la fin de l’année monter à 25% les ventes de voitures à batterie. Totalement irréaliste quand on sait qu’en France, par exemple, le seuil des 17% n’a pas été atteint en 2024 et que le mois de janvier a confirmé la stagnation des immatriculations 100% électriques. A l’échelon du continent, elles n’excèdent pas 13%. Quasiment deux fois moins que le seuil requis.

Pour le moment, les tentatives d’assouplir les règles sont restées vaines, même si au niveau de la Commission européenne, la notion de « flexibilité » a été évoquée il y a quelques jours. Presqu’unanimement, l’ensemble des constructeurs a réclamé un report de cette norme à l’exception de Stellantis, Carlos Tavares refusant de s’associer à cette demande. Depuis, le patron du Groupe Franco-italo-germano-américain a été brutalement sorti du jeu... Cet indispensable retour à la réalité du marché est vital pour l’industrie automobile européenne car dans le cas contraire, ce sont des milliards d’amendes qui sont promis aux constructeurs. Les chiffres sont vertigineux et pourraient atteindre selon une estimation du cabinet Alix Partners jusqu’à 50 milliards d’euros d’ici 2029. L’association des constructeurs européens d’automobiles l’a évaluée à 15 milliards d’euros pour la seule année 2025. A raison de 95€ d’amende par gramme supplémentaire par voiture immatriculée, l’addition grimpe très vite. Des marques comme Renault ou Peugeot pourraient voir leur rentabilité malmenée et leur avenir compromis à moyen terme. Cela au moment où l’étau de l’industrie automobile chinoise se resserre sur le Vieux Continent.

Les Constructeurs Organisent La Riposte

En attendant un éventuel infléchissement de la Commission Européenne, les constructeurs ne sont pas restés les bras ballants et ont commencé à organiser une riposte ciblée. Elle prend la forme de la création de « pools CO2 ». À commencer par Tesla qui avait déjà été à l’initiative d’un premier pool réunissant plusieurs marques du groupe Fiat-Chrysler. Le système est simple et reprend le principe du « crédit carbone », bien connu dans l’industrie. Grosso modo, les producteurs vertueux dont les émissions se situent en dessous du seuil défini disposent d’un crédit qu’ils peuvent revendre à ceux qui polluent davantage pour leur éviter des pénalités. Entre 2019 et 2024, Tesla avait accumulé environ neuf milliards de dollars de revenus.

Cette fois, Tesla a élargi son offre à l’ensemble du Groupe Stellantis qui compte notamment dans son porte-feuille Peugeot, Citroën, Fiat, Alfa Romeo, Chrysler, Jeep et Dodge. Le numéro un mondial Toyota devrait les rejoindre, tout comme Ford, Mazda ou Subaru. Selon une analyse, ce petit commerce tout à fait légal devrait permettre à Tesla d’engranger un milliard d’euros cette année.

Un autre « pool CO2 » a été créé par Mercedes à l’initiative de son actionnaire chinois, le Groupe Geely, propriétaire notamment de Volvo. Ce groupe qui possède également Smart et Polestar, deux marques diffusant des modèles 100% électriques, dispose de crédits carbone abondants auxquels contribue Volvo dont les ventes de voitures à batterie représentent près du quart de sa production. Au total, 300 millions d’euros devraient rentrer dans les caisses du Groupe, Mercedes réglant la facture à son actionnaire chinois. Un tour de passe-passe comptable permettant d’éviter les pénalités. D’autres « pools CO2 » sont en voie de constitution et devraient voir le jour à court ou moyen terme. Une riposte généralisée à une technocratie européenne déconnectée de la réalité industrielle automobile et qui tente d’imposer ses diktats aux acheteurs européens de voitures neuves. Morale de l’histoire : le montant des amendes abondant les caisses de l’Europe sera très limité et les émissions de CO2 ne reculeront pas à la hauteur des seuils exigés. Un coup d’épée dans l’eau.