« La vente des Hospices, on la prépare toute l’année »
Vins. Entretien avec Albéric Bichot quelques jours avant la vente 2023 des Hospices de Beaune. La maison Albert Bichot est le premier acheteur de la vente caritative depuis plus de 15 ans.
Dans les Halles de Beaune, dès que commencent les enchères des pièces de la Vente des Vins des Hospices de Beaune, chacun de ses mouvements est scruté : Albéric Bichot, l’actuel dirigeant de la Maison Albert Bichot est en effet depuis des années le premier acheteur de cette vente caritative exceptionnelle qui propose cette année 753 pièces.
Le Journal du Palais. Comment abordez-vous cette Vente 2023 ?
En sachant déjà que c’est un beau millésime. Tout ce qu’a fait la régisseuse, ce que la vigne a donné… on est très optimistes sur la qualité du millésime. Ils ont fait un travail fantastique pendant la taille, à l’ébourgeonnage, des vendanges en vert pour certaines parcelles, un tri à la cuverie sur les tables de tri. Sur les rouges on trouve des beaux équilibres, une forme de concentration naturelle, des vins concentrés, très précis, du fruit et une belle acidité malgré le temps très chaud avec des degrés naturels relativement élevés.
Sur les blancs, encore cette concentration, une belle fraîcheur, une belle colonne vertébrale d’acidité et en même temps une profondeur et une rondeur et beaucoup d’arômes de fruits frais, des fruits jaunes, un peu de fleurs blanches… je pourrais vous en raconter des heures !
La Vente des Vins de Beaune est-elle un indicateur du marché ?
Depuis de nombreuses années, on estime que c’est déconnecté de la réalité du marché des vins de Bourgogne en général. D’abord parce que c’est une vente caritative, aux enchères, 753 pièces sur 1,8 millions d’hectolitres de vin… La Vente est devenue une marque emblématique et ce ne sont que des grands vins.
Pourtant la Vente est devenue emblématique des activités de la maison Albert Bichot.
Ce n’est pas pour l’économie : on en a fait une passion ! Quand on voit la taille de la ville de Beaune et ce qu’est son hôpital, on se dit que c’est une chance folle. Une maison comme la nôtre se doit d’en faire la promotion, pour l’hôpital qui a d’importants projets. Cela nous motive de nous mobiliser pour cela.
Comment la maison Albert Bichot l’anticipe-t-elle ?
La Vente des Hospices, on la prépare toute l’année ! Auprès de nos clients, nos grands collectionneurs, nos amateurs. La majeure partie de ce que l’on va acquérir est déjà entendue avec des clients (importateurs, restaurateurs, des grands amateurs, des consommateurs finaux…). C’est déjà très cadré. Mais bien sûr on en achète aussi pour la maison, pour continuer d’en vendre, pour la garde, pour l’histoire…
En général à 14h30, quand on entre sous la Halle, j’ai un plan d’achats… et il peut y avoir des surprises. Soit les prix vont au-delà de ce que chacun était prêt à investir, dans ce cas, on renonce… ou il peut y avoir des coups de cœur, la personne se dit : on y va, on est pris, on est pas venu pour rien. Il y a des ordres en temps réel, et c’est très important !
Y a-t-il des tractations entre négociants ?
S’entendre avant serait incorrect vis-à-vis de l’hôpital ! Non, on ne sait pas. Et il n’y a pas que ceux qui sont dans la salle, il y a les ordres au téléphone et pas que des professionnels qui achètent… Et on est surpris tous les ans !
La pièce du Président a vu des prix ahurissants ces deux dernières années. Comment vit-on cette vente dans la vente ?
C’est là qu’il y a les coups de théâtre ! L’année dernière cela a été une grosse surprise sur la somme (810.000 euros, Ndlr). Les acheteurs ont été deux maisons (les beaunoises Louis-Latour et Joseph-Drouhin, Ndlr) plus l’association du négoce que je représentais, c’était exceptionnel. Mais l’année d’avant, c’est un acheteur anglais qui avait acquis la pièce pour 800.000 euros… on ne l’avait jamais vu aux Hospices de Beaune ! Une année, on n’a jamais su qui avait acheté la pièce, sinon « une dame française ».
La France vient d’accueillir le Polar summit, un sommet consacré aux pôles. Et cela vous tient à cœur.
Je vais essayer de faire court… avant de rentrer dans la maison familiale, j’ai pas mal parcouru le Grand Nord, la terre de Baffin, chez les Inuits, en Patagonie. Lorsqu’en 2017, un des bénéficiaires de la vente de la pièce des Présidents des Hospices était la Fondation Tara pour l’Océan et cela a été l’occasion de faire une rencontre fantastique avec Romain Troublé, le directeur. Et on a vu que ce qui se passe en mer et « en terre », c’est la même chose. On sait que les océans produisent 50% de l’oxygène sur terre et l’on voit l’effet du dérèglement climatique dans les océans, ce qui rejaillit partout sur terre et évidemment en Bourgogne.
Et c’était passionnant de parler de « terroir » dans la mer. Selon la profondeur, la température de l’eau change la nature des courants. Avec Romain Troublé, nous faisions des parallèles avec nos couches géologiques. Quand on voit depuis les 15 dernières années les épisodes d’hiver relativement chauds, les épisodes de gel, de grêle, de sécheresse, de canicule… Celle de septembre 2023 était inédite dans l’histoire de la Bourgogne !
Ces changements, comment les vit le vigneron ?
On a beaucoup de mal à s’y préparer… Le matériel végétal, c’est sûr que c’est la priorité. Mais vient immédiatement derrière nos pratiques culturales. Faut-il tailler plus tard, plus long, plus court ? Faut-il arrêter en partie l’effeuillage avant l’été pour protéger les raisins de la grillure alors qu’ils doivent mûrir ? Dans nos domaines on rentre des raisins chauds : il faudra des chambres froides, vendanger dès le lever du jour…
Comment le marché du vin absorbe-t-il le contexte géopolitique actuel ? Est-il bouleversé, ou le vin est-il une valeur-refuge ?
La crise actuelle est très mauvaise pour l’économie mondiale, tous les produits en pâtissent et le vin bourguignon en fera partie. Il ne faut pas oublier que la moitié des vins de Bourgogne sont des vins très concurrencés pour lesquels le pouvoir d’achat est un critère très sensible.
Y a-t-il une redistribution des marchés au niveau mondial ?
C’est relativement stable car il y a une inertie, entre le moment où la crise subvient et ses répercussions. La crise des subprimes avait été violente, mais était arrivée dans le vin six mois plus tard. Ce qui pénalise le marché du vin en Bourgogne à l’heure actuelle, c’est à la fois la crise du pouvoir d’achat et cette toute petite récolte 2021 qui a énormément perturbé les marchés, à la fois par manque de vin à offrir et des prix qui avaient explosé. Les belles récoltes 2022 et 2023 peuvent laisser espérer retrouver peut-être pas les niveaux de 2020 ; mais de compenser en partie l’explosion des cours de 2021.