Le droit de succession des domaines viticoles : défis fiscaux et enjeux de transmission
Viticulture. Entre fiscalité, spéculation foncière et transmission familiale, les vignerons cherchent des solutions pour pérenniser leurs exploitations.
Quel est l’état actuel du droit de succession concernant les domaines viticoles ?
Thierry André : Le droit commun s’applique. Mais lorsqu’on détient un actif agricole en nom propre en direct (ou des parts de Groupement foncier agricole, GFA), on bénéficie d’un abattement de 75% jusqu’à 500.000 €, moyennent un engagement de conservation, 50% au-delà. Le grand sujet qu’il y a sur le secteur viticole, où la valeur du foncier a énormément augmenté, c’est que les droits de succession s’exercent sur la valeur du marché. Depuis sept, huit ans, le fisc s’est reconstitué une base de données pour s’assurer que dans les déclarations de transmission c’est bien une valeur de marché qui est retenue et non une valeur théorique qui est une valeur Safer. Ce que voudraient les vignerons, c’est faire prendre conscience que ce qu’ils détiennent est d’abord un outil de travail, à dissocier de la valeur spéculative qui n’est pas nécessairement représentative de tout le marché : si on calcule une valeur économique de l’outil de travail, elle serait beaucoup plus faible. Il y a une décorrélation entre la valeur spéculative du marché et la rentabilité de l’actif.
Pourrait-on alors, pour éviter les énormes droits de succession dont doivent s’acquitter les héritiers, lisser cette même somme tout au long de la possession, par exemple sous forme d’une taxe qui diminuerait d’autant les frais de succession ?
Thierry André : Tout est imaginable ! Il y a à travailler sur les bases, éventuellement sur des exonérations… Historiquement, on avait tendance à avoir d’une part le foncier et de l’autre, la société d’exploitation. Le mouvement que l’on a depuis quelques années consiste à fusionner la détention du foncier avec la structure d’exploitation. En effet, si vous n’êtes que détenteur de foncier, et pas associé de la société d’exploitation, la rentabilité est uniquement constituée par le fermage... taxé comme un revenu foncier dont on ne déduit quasiment rien. La rentabilité faciale par rapport à la valeur spéculative est extrêmement faible et de plus, vous êtes assujetti à l’IFI ! Vous pouvez vous retrouver dans une situation où conserver la vigne, en n’étant que bailleur, vous coûte. On se retrouve dans des familles où les propriétaires fonciers disent aux exploitants qu’ils préfèrent ne pas conserver la vigne.
Comment André le groupe se positionne vis-à-vis de ces clients de domaines viticoles dans ce champ de la succession ?
Thierry André : La clef est d’anticiper la transmission au maximum. J’ai des clients qui ont déjà transmis à des enfants mineurs de la nue-propriété en sécurisant les choses pour éviter que les enfants ne se trouvent trop jeunes avec trop de revenus, en essayant de faire des donations au fil du temps. Ce que l’on fait aussi, et ce que j’expliquais précédemment : la réunion du foncier avec la structure d’exploitation, qui n’est pas toujours possible mais qui dans certains cas peut s’appliquer. La base est d’abord d’écouter les gens, on regarde la situation globale du patrimoine et sa structuration. Au regard de ce que les clients veulent, il faut construire la solution la plus adaptée ; elle n’est pas nécessairement la plus économique au plan fiscal, mais celle qui permet de répondre à long terme aux attentes de la famille. La réunion du foncier et de la structure d’exploitation permet d’user d’un levier assez puissant dans la caisse à a outils du conseiller fiscal ou patrimonial : le Pacte Dutreil (qui permet, sous certaines conditions, de faire bénéficier la transmission d’une entreprise familiale d’une exonération de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois quarts de sa valeur, ndlr). Le conseil dans ces cas est un vrai travail d’ingénierie, pas seulement en matière fiscale : c’est aussi de la finance – c’est bien de trouver une solution fiscale optimisée, encore faut-il avoir les moyens de la financer : va-t-on chercher de la dette, se céder à soi-même un actif qui va permettre de financer tout ou partie des droits de succession, est-ce que c’est supportable par l’exploitation, comment on le gère, comment on arbitre et on négocie des emprunts avec des banques sur des durées très longues pour lisser la charge dans le temps. Il n’y a pas de solutions miracles, que des solutions sur-mesure adaptées à chaque client.
Le Pacte Dutreil est considéré par certains comme une niche fiscale offerte aux plus riches.
Thierry André. Il est critiqué, je renvoie au récent rapport d’Oxfam sur ce point, mais s’il devait disparaître, il manquerait fortement pour essayer de maintenir une détention familiale des domaines bourguignons. En matière de fiscalité, tout dépend du prisme au travers duquel on aborde le sujet : oui, il y a des gens extrêmement riches qui détiennent des actions, des parts… ou des actifs fonciers mais qui sont utilisés pour produire. Sur le papier, cela a une grande valeur, qui génère potentiellement une taxation significative. Mais ce patrimoine n’est pas liquide, et sa rentabilité réelle ramenée à sa valeur est finalement très faible. Dit autrement, la succession sans abattement ne se paye pas. Conserver des droits de succession en supprimant le Pacte Dutreil obligerait les héritiers ou les donateurs à vendre.
Faut-il alors un droit dérogatoire réservé à la transmission viticole ?
Thierry André : C’est le sens de la proposition du rapport d’Éric Girardin (qui proposait l’alignement du groupement foncier forestier au monde agricole et viticole. Non adopté en l’état, ce travail a abouti à l’adoption de l’amendement porté par le député de Saône-et-Loire Benjamin Dirx inscrivant dans la loi de finances 2023 l’augmentation de 300 à 500 000 € du seuil d’exonération fiscale à 75 % pour les droits de mutation à titre gratuit des biens donnés à bail rural pour dix ans minimum, Ndlr). Si on veut maintenir durablement un modèle de détention français de nos exploitations viticoles, il faut mettre en place des exonérations de droits de succession purement et simplement, moyennant un engagement à très long terme (15, 20 ans) de conservation des vignes transmises.
Comment dans ces conditions se dessine à votre avis l’avenir de la propriété du domaine viticole bourguignon ?
Thierry André : Malheureusement, il y a des domaines qui, par manque d’anticipation en amont, s’il n’y a pas d’évolution législative, devront se vendre ! Oui, des domaines passeront dans le giron d’investisseurs privés, c’est une certitude. On peut certes se dire que le vignoble n’est pas délocalisable comme on délocaliserait une industrie mais pour autant on est en perte de maîtrise et on aboutit à des schémas comme on a pu le constater récemment (le rachat par groupe LVMH d’1,3 hectare du domaine Poisot à Aloxe-Corton pour 15,5 M€, Ndlr). À notre niveau, notre volonté est de travailler avec nos clients vignerons à des solutions d’anticipation et de construction d’une transmission pérenne. Pour énormément de petits domaines, la transmission est un vrai sujet.
Quelle évolution législative est donc souhaitable selon vous ?
Thierry André : Reprendre le rapport du député Girardin et appliquer ce qui était prévu ! Mais au vu de la pression colossale sur le budget de la France, une telle mesure devra nécessairement être financée par de l’augmentation de la fiscalité sur autre chose. Il n’y a guère de marge de manœuvre.