Auto-écoles : un tour pour rien ?
Nièvre. À Nevers, François-Noël Buffet a annoncé un plan d’urgence pour réduire les délais du permis de conduire, avec plus de places d’examen et de nouveaux inspecteurs. La sénatrice de la Nièvre Nadia Sollogoub et Thierry Chapeau, à la tête des auto-écoles Holidays, dénoncent des mesures insuffisantes, un manque de concertation et les effets mal anticipés de réformes récentes comme le permis à 17 ans.

C’est à Nevers, à l’Institut national de Sécurité routière et de Recherches, créée en 1993 où sont formés les inspecteurs du permis de conduire, que le 31 juillet dernier, le ministre auprès du ministre de l’Intérieur François-Noël Buffet est venu confirmer les mesures annoncées le matin même sur les ondes de RMC pour faire face à un double problème : l’allongement des délais pour passer le permis de conduire – délai médian de 80 jours mais pouvant atteindre plusieurs mois dans certains départements - et un taux de réussite au premier examen jugé insatisfaisant (59,4%).
Selon Mobilians (ex-Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), il manquerait 600.000 à 700.000 places par an et 300 à 400 inspecteurs, les recrutements déjà annoncés en 2023 (103 inspecteurs) n’ayant pas couvert les départs à la retraite. Pour tenter, une nouvelle fois, de répondre à ces tensions, le gouvernement prévoit un plan d’action en deux volets.
Le premier consiste en des mesures immédiates, dont l’ouverture de 80.000 places d’examen supplémentaires d’ici fin 2025, le recrutement et la formation de 108 inspecteurs (avec 10 postes supplémentaires prévus en 2026), l’incitation au retour de 174 inspecteurs retraités « pour passer la période », le renforcement de l’accompagnement local par les préfets, ainsi que la création d’une option « sans passager » pour le permis moto, encadrée par un code restrictif et une formation complémentaire.
En parallèle, une réflexion à moyen terme est engagée à travers une mission d’étude, afin d’identifier des pistes d’amélioration du taux de réussite, tout en maintenant les exigences en matière de sécurité et de qualité de l’examen : « Nous devons aussi mieux impliquer et associer tous les acteurs dans la réflexion : les candidats, les auto-écoles et les inspecteurs du permis de conduire. Il est indispensable que les candidats présentés à l’examen possèdent tous les acquis nécessaires et que l’examen ne soit plus vécu comme une épreuve déstabilisante pour nombre d’entre eux », déclare le ministre.
« Associer les acteurs », c’est le souhait également de Thierry Chapeau qui regrette de « ne pas avoir été invité à cette rencontre et que les professionnels ne soient pas assez consultés ». À la tête des six auto-écoles Holidays dans la Nièvre depuis 1986, le moniteur et chef d’entreprise juge les mesures annoncées « insuffisantes et mal dirigées ». Selon lui, cette situation est la conséquence de plusieurs réformes : « Quand j’ai commencé en 1986, l’examen durait seulement 20 minutes, ce qui permettait à un inspecteur de faire passer trois élèves par heure. Aujourd’hui, la durée de l’examen est passée à 32-36 minutes alors que l’on sait qu’au-delà de 20 minutes, l’élève n’est plus aussi attentif. Plus l’examen est long, plus cela tend à se finir par un ajournement pour les candidats. Aujourd’hui on privilégie le confort des inspecteurs à l’intérêt des candidats et des auto-écoles. »
Des mesures insuffisantes et mal dirigées
Autre obstacle, le permis de conduire à 17 ans, instauré depuis le 1er janvier 2024. Si la réforme visait à aider la mobilité des plus jeunes (et notamment des élèves en alternance professionnelle), son succès a été tel qu’elle a conduit à un engorgement des auto-écoles : « La mesure a conduit à tuer la conduite accompagnée à partir de 16 ans qui était cruciale pour baisser le taux d’accident et structurer l’apprentissage, mais aussi le permis B1 que personne ne connait pour conduire un véhicule situé entre la voiturette sans-permis et le permis B. »
Autre dispositif dénoncé : la conduite supervisée, qui permet à un candidat de circuler avec un accompagnateur après une évaluation en auto-école : « C’est un truc qui a été inventé pour déguiser les candidats libres et qui permet d’envoyer des élèves avec des parents qu’on ne connaît pas, qu’on ne reverra pas après seulement 20 heures de formation. Il n’y a pas de suivi pédagogique et on sait que le code est tellement complexe que plus personne ne le connait vraiment ». Un code qu’il juge inadapté : « Il y a des questions qui n’ont rien à voir avec la conduite comme les délais de dégradation du papier dans la nature. Pas besoin de savoir comment ça pollue. Ça pollue. C’est interdit. Point. Pourtant j’ai des élèves qui se font ajourner avec des questions comme ça, ce qui est aberrant. »
Le gouvernement n’a pas mesuré les conséquences
Pour Nadia Sollogoub, sénatrice de la Nièvre, présente lors de la visite du ministre : « Les mesures annoncées ne sont pas révolutionnaires mais elles vont apporter un peu d’oxygène. » En mai dernier, la sénatrice (Union centriste) avait alerté le gouvernement sur les conséquences du permis à 17 ans et demandé un bilan à l’issue de la première année, dénonçant un manque d’anticipation de la part du gouvernement. Concernant le manque d’inspecteurs, Nadia Sollogoub trouve « paradoxal » d’avoir dans la Nièvre le seul centre de formation des inspecteurs et d’être en pénurie : « Le ministre nous explique qu’ils ont été victimes de leur succès. Mais surtout on n’avait pas mesuré les conséquences de cette mesure. L’engorgement et l’allongement des délais d’examen mais aussi que de nombreux jeunes obtiennent leur permis à 17 ans mais ne peuvent pas conduire faute de pouvoir s’assurer à des tarifs raisonnables, à moins d’avoir fait la conduite accompagnée. Par conséquent ils doivent attendre 18 ou 19 ans pour s’assurer et, pendant ce temps, ils ne conduisent pas ».


La sécurité est le sujet sur lequel tous se retrouvent. Le ministre s’est dit ouvert à revoir plusieurs dispositifs, comme le temps de formation. Alors que Thierry Chapeau redoute une augmentation de l’insécurité routière, de son côté Nadia Sollogoub insiste : « La sécurité reste prioritaire. On ne doit pas brader le permis. On doit trouver des solutions même dans un contexte tendu sans mettre à mal la sécurité routière ».