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Des universités en risque de déficit

BFC. Mardi 3 décembre, la présidente de l’université de Franche-Comté, Macha Woronoff, a lancé un cri d’alarme contre le désengagement de l’État envers les universités. Un appel relayé en local notamment par Vincent Thomas, président de l’université de Bourgogne et Anne Vignot, édile de Besançon.

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Photo de Macha Woronoff, présidente de l'université de Franche-Comté
Dès le 22 novembre, Macha Woronoff, présidente de l’université de Franche-Comté a publié un communiqué de presse repris par la plupart des universités françaises. Elle a également adressé un courrier aux huit sénateurs de Franche-Comté pour alerter sur la gravité de la situation. (Crédit : JDP.)

Alors que le gouvernement Barnier était encore en place, Macha Woronoff, présidente de l’Université de Franche-Comté (UFC), recevait la presse mardi 3 décembre pour alerter sur l’aggravation sans précédent des difficultés budgétaires des établissements d’enseignement supérieur. Une prise de parole qui s’inscrit dans une démarche globale et nationale portée par l’association France Université, qui dès le 10 octobre, à la suite de la présentation du projet de loi de finances 2025 au conseil des ministres, informait le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sur la situation critique des universités. Une mobilisation qui prenait ensuite la forme d’une tribune dans Les Échos, le 30 octobre, signée par 88 présidentes et présidents d’université, et suivie d’une journée nationale le 3 décembre, où toutes les universités se sont rassemblées sous le slogan « Budget 2025 : universités en danger ». « Dans ce moment d’instabilité politique, la place de l’université doit être défendue, elle est fondamentale pour le futur du pays », défend Macha Woronoff.

« Nous sommes dans un moment charnière qui remet en cause l’un des derniers bastions de l’ascenseur social, qu’est l’université. » Macha Woronoff, présidente de l’université de Franche-Comté.

« Depuis de nombreuses années, il est demandé aux universités d’assumer de nouvelles missions : développement de l’appui à l’insertion professionnelle, implantation dans les territoires, meilleure prise en charge de l’inclusion et du handicap, actions en faveur de la santé étudiante, lutte contre les violences sexuelles et sexistes et contre toutes les formes de harcèlement, engagement en matière de transition écologique notamment », égraine Vincent Thomas, président de l’université de Bourgogne (uB). « Si remplir de telles missions, toutes légitimes et nécessaires, nous honore, le coût qu’elles représentent n’a toutefois jamais été compensé intégralement par l’État ». « Si rien n’est fait, il est fort probable que 2/3 des universités de France présenteront en 2025 un budget déficitaire », affirme Macha Woronoff.

La présentation du projet de loi de finances 2025 fait notamment apparaître de nouvelles charges non compensées de 500 M€ dont 310 M€ en masse salariale : 130 M€ de mesures indiciaires dites « Guerini » et 180 M€ d’augmentation du compte d’affectation spéciale pension. « Sans remettre en cause l’intérêt de ces mesures pour notre communauté et la société dans son ensemble, il convient tout autant de rappeler que l’État doit assumer ses choix et ne peut laisser à la charge de ses opérateurs le financement des mesures qu’il annonce. Un principe de bon sens est que le décideur (l’État) soit le payeur ! », argue Vincent Thomas, rejoint par Macha Woronoff qui rappelle que « les universités, de part leur statut d’administrations publiques centrales, ne peuvent contracter auprès d’un établissement de crédit ou d’une société de financement un emprunt dont le terme est supérieur à douze mois ».

Mais ce qui a véritablement mis le feu aux poudres, sucitant un mouvement inédit des présidentes et présidents d’université, fut l’annonce de la création d’un fonds de réserve de solidarité destiné au régime de retraite des fonctionnaires, prélevé sur leurs dotations. « Cette mesure représenterait un surcoût de 3,475 M€ pour l’université de Bourgogne », précise Vincent Thomas. Et même si, face à la mobilisation, cette annonce a depuis été gelée par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les charges non compensées par l’État supportées par l’UFC entre 2022 et 2025 s’élèvent à plus de 9 M€, auxquels s’ajoutent les 13 M€ en cumulé chaque année liés au glissement vieillesse-technicité, soit au total 22 M€ qui manquent au budget de l’UFC sur cette période. « Nous présenterons ainsi un budget préliminaire 2025 en déficit de 3,4 M€ », annonce Macha Woronoff. De son côté, l’uB chiffre à 7,4 M€ ce même cumulé au titre du budget 2025, « s’ajoutant aux lourdes charges non compensées par l’État ces dernières années et à l’augmentation du coût des fluides, liée à la crise énergétique. Soit un total de plus de 11 M€ qui mettent l’université de Bourgogne en difficulté en grevant considérablement son fonds de roulement (les réserves). Or, le fonds de roulement des universités n’est pas un “trésor de guerre”, comme certains pourraient le dire ou d’autres le croire. Il est le résultat d’une gestion saine et scrupuleuse qui permet à l’établissement d’investir en portant des opérations structurelles indispensables s’inscrivant sur le long terme au service de nos étudiants et de nos personnels. Nous contraindre à prélever massivement sur ce fonds de roulement pour le dégrader, voire le rendre nul, entraînera une asphyxie budgétaire totale ! ». Sur ce point, la présidente de l’université ne tient pas un autre discours : « Nous n’avons aujourd’hui plus aucune flexibilité financière. Quand j’entends le ministre prétendre que les universités thésaurisent, je ne peux que m’inscrire en faux. Notre trésorerie sert avant tout à payer les salaires qui s’élèvent à 16 M€ par mois. Quant au fonds de roulement, ce n’est pas un bas de laine. Il est utilisé pour rénover le patrimoine immobilier, à l’image du campus de la Bouloie actuellement en pleine transformation. Il nous a également permis de faire face à l’augmentation de l’énergie… Si l’État vient grinotter le peu que l’on a, comment financerons-nous la transition énergétique, la santé mentale des étudiants, le handicap, la lutte contre les violences sexistes, contre la précarité de certains étudiants, comment pallierons-nous la saturation des infrastructures comme la bibliothèque université santé de Franche-Comté, si la construction de nouvelles structures comme la Grande Bibliothèque (voir page 9) devaient être retardées voire annulées ? ».

« le fonds de roulement des universités n’est pas un “trésor de guerre”, comme certains pourraient le dire ou d’autres le croire. » Vincent Thomas, président de l’université de Bourgogne

« Face à ce désengagement progressif de l’État, les universités se verront contraintes de freiner leurs initiatives notamment en matière de rénovation bâtimentaire, d’appui à l’innovation et à la recherche, mais aussi en matière d’investissements pédagogiques et d’offre de formation, alors même que les universités françaises ont acquis ces dernières années une visibilité incontestable dans les classements internationaux. C’est ainsi un coup dur porté à l’action de développement économique auquel nous contribuons largement dans nos territoires. À terme, c’est l’attractivité de l’enseignement supérieur et de la recherche publics en France qui est menacée, à l’heure où ceux-ci sont de plus en plus soumis au marché concurrentiel national et international », complète Vincent Thomas. Pour Macha Woronoff, sans réponse de l’État, l’UFC pourrait être contrainte de baisser sa capacité d’accueil sur Parcoursup « pour maintenir la qualité de nos enseignements et de nos diplômes » et de fermer des sites universitaires délocalisés « comme Lons-le-Saunier, Dole, voire même Vesoul », éloignant ainsi l’enseignement des territoires ruraux. Cependant, « si pour le ministre la question des droits d’inscription ne doit pas être un tabou », la présidente de l’UFC s’oppose fermement à toute augmentation de ces derniers, car ce serait oublier que « l’université publique accueille une très forte proportion d’étudiants issus des classes les plus modestes. Entre 35 et 45 % des étudiants sont boursiers et plus de la moitié sont obligés de travailler pendant leurs études. Toute augmentation des frais d’inscription les pénaliseraient lourdement et creuserait davantage les inégalités sociales. Ce serait une rupture du contrat social et une remise en cause de notre rôle d’ascenseur social dont la responsabilité pleine et entière reviendrait à l’État ». Face à cette situation « ni supportable, ni acceptable », les universités demandent à l’unisson au législateur une compensation intégrale des nouvelles charges, une augmentation significative des subventions publiques et un renforcement des moyens pour les missions prioritaires : inclusion, santé mentale, transition écologique, patrimoine immobilier.