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Devenir « kiné », entre sacrifices financiers et solutions en suspens

Enquête. En France, les Instituts de formation en masso-kinésithérapie affichent des disparités frappantes : 31 écoles publiques à seulement 200 € par an contre 23 établissements privés, où les frais grimpent jusqu’à 10.000 €. Ainsi en BFC, Besançon et Montbéliard offrent des formations publiques, tandis que Dijon et Nevers proposent des instituts privés. Or les étudiants n’ont pas la possibilité de choisir leur école.

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Photo de manifestation d'étudiants en kinésithérapie
Le 20 décembre dernier, des étudiants en kinésithérapie se sont rassemblés à Paris et à Rennes pour exprimer leur mécontentement face au traitement que leur réserve le ministère de la Santé. (Crédit : Fnek.)

À Dijon comme ailleurs, la précarité des étudiants en kinésithérapie atteint des niveaux alarmants. D’après une étude menée par le Bureau Des Étudiants (BDE) de Dijon, 21 % des élèves ont déjà renoncé à des soins médicaux et 24 % sautent plusieurs repas par mois, pour des raisons économiques. Un phénomène dû, dès la formation, à une inégalité : alors que certaines écoles sont intégrées au service public, d’autres imposent des frais de scolarités pouvant atteindre les 10.000 € par an. Or les étudiants n’ont pas leur mot à dire quant à leurs affectations dans les établissements. Après une année difficile en Pass (Parcours accès santé spécifique) ou en Las (Licence accès santé), les futurs étudiants passent un concours qui va déterminer qui sera admis. « Chaque étudiant est tributaire de son académie. Si un étudiant réussit Pass à Dijon, il ne pourra prétendre qu’aux Instituts de formation de Dijon ou de Nevers (privés). Tandis qu’un élève de Besançon pourra prétendre à celui de Montbéliard et celui de Besançon », explique Théo Rousseau, étudiant à l’Institut de formation en masso-kinésithérapie (IFKM) de Dijon et ancien vice-président de la Fnek (fédération nationale des étudiants en kinésithérapie).

Afin de remédier à ce phénomène, l’avenant 7, signé le 13 juillet 2023, prévoyait la création d’un groupe de travail piloté par le ministère de la Santé, associant l’Assurance maladie, les conseils régionaux, les syndicats de kinésithérapeutes et les représentants étudiants. Son objectif était ambitieux : harmoniser les frais de scolarité entre les IFMK avant le 1er janvier 2025, faute de quoi l’Assurance maladie promettait un soutien financier aux jeunes diplômés.

Mais l’avenant ne s’arrête pas là. Il impose aussi aux nouveaux diplômés des conditions strictes pour bénéficier du conventionnement, essentiel pour le remboursement des soins par l’Assurance maladie. Ils doivent justifier de deux années d’expérience professionnelle en établissement sanitaire ou médico-social ou réaliser un exercice de deux ans dans une zone sous-dotée ou très sous-dotée. Destinée à pallier le manque criant de masseurs-kinésithérapeutes dans certaines régions, cette mesure s’applique aux étudiants ayant débuté leur cursus en 2023.

Pression Financière, Concessions Et Sacrifice

Néanmoins, un an et demi après sa signature, ces groupes de travail, censés être réguliers, n’ont jamais eu l’impact qu’ils auraient dû avoir. « La première et dernière réunion a eu lieu en décembre 2023 et elle s’est terminée très vite car aucune solution n’a été avancée. Après cela, silence radio », déclare Marie Bussinet, vice-présidente de la Fédération Nationale des Étudiants en Kinésithérapie (Fnek). Ce blocage, attribué à des remaniements politiques et à un manque de réponse des autorités, reflète un non-respect des engagements pris. Cette inertie laisse les étudiants dans l’incertitude, sans solution concrète pour faire face à des frais pouvant atteindre 40.000 € dans les IFMK privés.

Cette précarité est confirmée par Théo Rousseau, « Nous avons constaté une dégradation générale des conditions financières : 47 % des étudiants ont contracté un prêt, et 28 % ont envisagé d’arrêter leurs études pour des raisons économiques. » Ces chiffres traduisent une crise qui ne cesse de s’aggraver, les étudiants devant jongler entre des cours exigeants et des emplois à temps partiel pour joindre les deux bouts.

La pression financière qui pèse sur les étudiants en kinésithérapie menace l’avenir même de la profession. Le coût élevé des études pousse de nombreux jeunes à s’endetter lourdement, ce qui influence leur choix de carrière. « Les premières années de vie professionnelle sont souvent consacrées au remboursement de prêts étudiants, ce qui pousse certains kinés à privilégier des postes mieux rémunérés, éloignés des besoins prioritaires de santé publique », explique Nicolas Pinsault, vice-président de l’Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes.
Cette situation pourrait accentuer les déséquilibres géographiques. Les zones rurales et sous-dotées, déjà en déficit de professionnels, risquent de voir leur situation empirer. « Si rien n’est fait pour réguler les frais de scolarité, combien de jeunes pourront encore se permettre d’entrer dans cette formation, et surtout, combien choisiront de s’installer là où on a le plus besoin d’eux ? », s’interroge Théo Rousseau.

L’Universitarisation, Une Voie À Envisager

L’intégration des IFMK dans le système universitaire public est une des pistes proposées. « Si toutes les formations de santé comme la médecine, la pharmacie ou la maïeutique sont gratuites, pourquoi pas celles de kinésithérapie ? L’universitarisation permettrait de rendre ces études accessibles et de répondre aux besoins croissants en kinés ! », clame Nicolas Pinsault.
Cette réforme impliquerait de transformer progressivement les IFMK privés, souvent gérés par des associations ou des entreprises, pour les intégrer au réseau public. Une transition qui nécessiterait un encadrement rigoureux et des moyens financiers conséquents. Pour les étudiants et les professionnels, l’universitarisation représente une opportunité de garantir l’égalité des chances tout en répondant aux défis démographiques et géographiques auxquels fait face la profession. Une proposition qui devrait donner des idées à l’IFMK de Dijon et de Nevers.Néanmoins, Nicolas Pinsault souligne que « cette solution demande un engagement politique fort, qui fait cruellement défaut aujourd’hui. »