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Dis docteur, pourquoi tu tousses ?

France. Ce lundi, les médecins sont en grève pour protester contre la loi Garot qui voudrait imposer aux médecins généralistes nouvellement diplômés leur lieu d’installation afin de lutter contre les déserts médicaux. Le Premier ministre François Bayrou en avait fait le thème de son déplacement dans le Cantal , le vendredi 25 avril.

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En 2024, 87% du territoire est classé en désert médical dans les 1.254 intercommunalités (EPCI). Carte extraite du dossier de presse de présentation du Pacte de lutte contre les déserts médicaux.

Pour lutter contre l’aggravation des inégalités d’accès aux soins, une proposition de loi, portée par le député Guillaume Garot, a été adoptée en première lecture le 2 avril à l’Assemblée nationale. Elle entend instaurer une régulation partielle de l’installation des médecins, afin de mieux répartir l’offre de soins sur le territoire. Dans 13 % des zones identifiées comme « surdotées », les médecins ne pourraient plus s’installer librement. Ils devraient obtenir une autorisation délivrée par l’ARS (Agence régionale de santé), basée sur les besoins du territoire. L’installation y serait conditionnée à un départ en retraite ou à une cessation d’activité d’un autre médecin. Dans les 87 % restants du territoire – souvent ruraux ou périurbains –, la liberté d’installation serait maintenue, voire encouragée.
Cela fait plus de dix ans que l’État tente de freiner l’expansion des déserts médicaux. Mais les mesures incitatives (primes d’installation, exonérations fiscales, aides au logement, etc.) ont échoué à inverser la tendance. Les dispositifs coûteux n’ont pas permis d’enrayer le déséquilibre : certaines régions sont saturées, d’autres dramatiquement vides de soignants.
La loi s’inspire d’exemples déjà en vigueur : les dentistes, infirmiers et pharmaciens sont depuis longtemps soumis à une régulation territoriale de leur activité, notamment selon la densité de population.

Une vision optimiste

Pour Guillaume Garot, la régulation de l’installation des médecins est une mesure essentielle pour garantir une égalité d’accès aux soins sur l’ensemble du territoire. « Ce n’est pas une atteinte à la liberté d’installation, mais un encadrement nécessaire pour répondre aux besoins de la population », affirme-t-il. Selon lui, cette loi permettrait de mieux répartir les médecins et de réduire les inégalités entre les territoires.
Le Dr Chantal Rappeneau, médecin généraliste proche de la retraite, illustre parfaitement les enjeux de cette loi. « Je devais partir à la retraite à 65 ans, mais le fait de ne plus avoir de remplaçant m’arrête. Sinon, j’aurais continué au moins jusqu’à 67 ans », confie-t-elle. Cette situation reflète une réalité préoccupante : de nombreux médecins en fin de carrière peinent à trouver des successeurs, laissant leurs patients sans solution.
Pour Guillaume Garot, cette loi est une réponse concrète à une crise urgente. « La situation risque de s’aggraver dans les cinq prochaines années, avec 30 % des médecins partant à la retraite. Il faut agir maintenant », insiste-t-il. Il rappelle également que cette proposition de loi s’inscrit dans un effort transpartisan, rassemblant des députés de droite, de gauche et du centre, tous confrontés aux mêmes réalités dans leurs circonscriptions. « Ce n’est pas une question politique, c’est une question de justice sociale et territoriale », martèle-t-il.

« Ce n’est plus une question d’argent, mais de qualité de vie »

« Au moment d’être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. »
C’est par ces mots que s’ouvre le serment d’Hypocrate. Un monument de la médecine sans valeur juridique, mais qui reste fondateur de la déontologie médicale. Chaque étudiant en fin d’année d’étude doit prêter allégeance à ce texte avant de prendre ses fonctions. Alors, pourquoi quand une loi qui promouvrait la santé dans les zones les plus défavorisés est en passe d’être appliquée, les praticiens se rebellent ? Mais les professionnels ne se battent pas contre leurs patients. Ils se battent pour exercer dans des conditions dignes, pour pouvoir choisir, pour préserver une relation humaine avec le soin, arguent-ils.

Le Dr François Arnault, président du Conseil national de l’Ordre des médecins, dénonce une « faute » : « Contraindre les médecins à s’installer dans des zones sous-dotées ne résoudra pas le problème. Les jeunes médecins fuiront ces territoires pour rejoindre des postes hospitaliers ou d’autres activités non régulées. »
Les étudiants en médecine partagent cette inquiétude. Lucas Poittevin, président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), estime que la régulation n’est pas la solution : « Le problème n’est pas la répartition des médecins, mais leur nombre. Il faut former plus et mieux ». Pour lui, la loi Garot risque de décourager les futures générations de s’installer en libéral, accentuant ainsi la pénurie.
Les étudiants soulignent également que les déterminants à l’installation ont évolué. « Ce n’est plus une question d’argent, mais de qualité de vie, explique Lucas Poittevin. Les jeunes veulent pouvoir concilier leur vie professionnelle et personnelle. »

La formation : une solution toute trouvée ?

Pour Lucas Poittevin et l’ANEMF, la clé pour lutter contre les déserts médicaux réside dans la formation. « Il faut former plus et mieux », insiste-t-il. Une vision partagé par le Dr Chantal Rappeneau, « Chaque année, je vois énormément d’étudiants arrêter médecine alors qu’ils auraient été de fantastiques praticiens. C’est regrettable ». L’association propose plusieurs pistes, comme l’augmentation du nombre d’étudiants en médecine, la création de stages en milieu rural, ou encore la mise en place d’un statut de « docteur junior ambulatoire » pour encourager les internes à s’installer dans les territoires.
« Rendre les territoires attractifs passe par un accompagnement des jeunes médecins, un soutien logistique et financier, et la création d’un écosystème de soins complet, avec des spécialistes, des infirmières et des pharmaciens », ajoute Lucas Poittevin.
Cependant, cette solution soulève des questions. Le Dr Jean-Marcel Mourgues, Vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins met en garde contre une formation excessive : « Il ne faut pas non plus trop former, car à force, on se retrouvera avec trop de médecins ». Pour lui, il est essentiel de trouver un équilibre et de prévoir les besoins futurs avec précision.