Collectivités

Guédelon, l’exception de Puisaye-Forterre

Dossier spécial tourisme. Depuis plus d’un quart de siècle, les hommes et les femmes de Guédelon accomplissent au coeur de la forêt bourguignonne ce qui tient du miracle permanent, celui de construire un château fort selon les procédés et les techniques utilisés au XIIIe siècle en utilisant les matériaux in situ.

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Photo de Maryline Martin
Fondatrice et dirigeante de Guédelon, Maryline Martin estime que le château fort est terminé à 40 % ce qui ne l’empêche pas de nourrir de nombreux projets. (Crédits photo : JDP)

« Nous avons la particularité d’être à la fois maître d’ouvrage et maître d’oeuvre, précise Florian Renucci, l’architecte en chef du projet. Après 26 saisons, nous nous rendons compte que Guédelon est un chantier d’archéologie expérimentale de la mémoire des gisements. Nous construisons avec les ressources locales comme la pierre ferrugineuse, le sable, l’argile, le chêne, la fibre. Nous transformons tout un écosystème en château, ce qui est la définition même de la notion de patrimoine. Notre travail est de reconnecter architecture et matières premières avec le savoir-faire artisanal ancestral ».

Une oeuvre monumentale en mouvement perpétuel donc qui, si elle est aujourd’hui unanimement saluée tant par la communauté scientifique que par les acteurs économiques du territoire, suscitait - c’est peu de le dire - incrédulité et circonspection chez la classe dirigeante à la fin des années 1990, lorsque Maryline Martin s’employait à déplacer des montages pour faire émerger ce « rêve collectif » un peu présomptueux.

« Nous avons prouvé que c’était possible même ici en Puisaye-Forterre », assène l’inénarrable présidente de l’entreprise qui emploie, à présent, près d’une centaine de collaborateurs, au plus fort de la saison, « et utilise zéro argent public ». Chaque année, ce sont quelque 300.000 visiteurs qui empruntent les routes sinueuses poyaudines pour découvrir (ou redécouvrir) un chantier médiéval aux enjeux finalement très contemporains, teinté de recherches architecturales et de transmission des savoirs, et qui dès l’origine était, déjà, imprégné de considérations écologiques affirmées. « Nous nous servons de la nature mais nous lui prenons seulement ce dont nous avons véritablement besoin. Rien ne se perd à Guédelon. »

Dans quelques mois, un programme baptisé « Guédelon 2.0 » sera, par ailleurs, dévoilé afin de faire entrer plus encore le site dans une véritable transition environnementale et énergétique. Au-delà de sa dimension touristique essentielle qui représente la partie émergée seulement d’un programme interdisciplinaire d’une richesse insoupçonnée, Guédelon s’est aussi mué au fil du temps en incubateur de talents unique où une vingtaine de métiers est mobilisé. « Nous avons suscité des vocations de forgerons ou de charpentiers, par exemple, chez des jeunes qui sont venus nous rencontrer dans le cadre d’un voyage scolaire et qui plus tard ont souhaité nous rejoindre. Nous avons un rôle de prescripteur. Les haches et les doloirs utilisés sur le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris ont été créés par Olivier et Martin, deux compagnons qui travaillaient à Guédelon. »

Guédelon, combien de divisions

Locomotive touristique et culturelle, centre de ressources scientifique inédit, pépinière-conservatoire des gestes de la main, le chantier archéologique de Guédelon s’impose aussi, et peut-être avant tout, comme un acteur économique de tout premier plan sur un territoire à caractère rural qui hésite à se réinventer et mise trop souvent sur des préceptes surannés, où seule Saint- Sauveur-en-Puisaye semble avoir trouvé un second souffle, dopée par l’effet Colette. « Il y a quelques jours, j’ai appris que l’une de mes collaboratrices était enceinte », se réjouit Maryline Martin. « Il sera le cinquantième bébé Guédelon. En 26 ans, des centaines de salariés se sont installées et ont investi dans les villages alentour. Ils participent à remplir les crèches, les écoles et à faire vivre ces communes. La Puisaye n’a jamais compté autant de jeunes couples. »

Or, dans le même laps de temps, peu d’initiatives économiques publiques ou privées ont été portées dans le sillage de ces pionniers. Les infrastructures hôtelières brillent par leur absence. Les réseaux de transport collectifs sont quasiment inexistants. Les décideurs politiques n’ont, semble-t-il, toujours pas tiré les enseignements de cette aventure collective au long cours. « L’effet Guédelon » infuse sur ces quelques hectares de forêt perdus aux abords de Treigny. Quelques hectares seulement.