Collectivités

Patrimoine : une gestion de moins en moins soutenable

Région BFC. La Cour des comptes alerte sur la soutenabilité économique de la politique du patrimoine menée par les collectivités territoriales, propriétaires de près de la moitié des monuments historiques français. Face à l’envolée des coûts et à la raréfaction des aides publiques, elle préconise l’optimisation des dépenses et une stratégie de valorisation par l’usage.

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(Crédits : JDP)

La Cour des comptes, par l’intermédiaire d’une grande enquête nationale pilotée par la Chambre régionale des comptes (CRC) de Bourgogne Franche-Comté, vient de rendre publics deux rapports thématiques majeurs (un national thématique et l’autre régional ciblé sur la BFC), soulignant les défis monumentaux rencontrés par les collectivités territoriales dans la gestion de leur patrimoine. « Cette enquête inédite a associé huit chambres régionales et a porté sur un échantillon significatif d’une soixantaine de collectivités couvrant l’ensemble du territoire national », précise Emmanuel Roux, président de la CRC BFC.

Un fardeau financier disproportionné

Le constat est net : l’obligation de conservation est de plus en plus difficilement soutenable économiquement par les propriétaires publics. « Contrairement à une idée reçue, l’État ne détient que 4 % des monuments historiques (MH). Les collectivités territoriales, quant à elles, possèdent 45 % des 46.000 monuments historiques. En BFC on compte 3.752 MH, soit 8 % des monuments présents sur le territoire national, argue Emmanuel Roux. Cette charge est d’autant plus critique que la moitié des MH est concentrée dans des communes de moins de 2.000 habitants, dont les revenus économiques sont souvent réduits ». Les travaux de conservation induisent des surcoûts importants, qui peuvent être supérieurs à 40 % par rapport à l’immobilier traditionnel. « L’exemple de Salins-les-Bains (Jura) est édifiant : les investissements nécessaires pour maintenir son patrimoine monumental en bon état ont été chiffrés à environ 35 M€, soit l’équivalent de 19 années de dépenses d’équipement de la commune dédiées uniquement au patrimoine ». De plus, aux monuments réglementés s’ajoutent 40.000 églises et chapelles qui ne sont ni inscrites ni classées et dont la charge de conservation repose entièrement sur les communes, sans possibilité d’aides spécifiques de l’État.

Un cofinancement indispensable mais menacé

L’enquête révèle ainsi que, pour l’échantillon étudié, aucun chantier d’envergure n’a pu être engagé sans l’assurance d’un cofinancement public. Le soutien de l’État, des conseils départementaux et régionaux est indispensable. En 2024, les collectivités ont bénéficié de 52% des 267 M€ en crédits déconcentrés du budget de l’État alloués aux monuments historiques. Grâce à ces soutiens, le reste à charge pour les communes s’établit en moyenne autour de 45 %. « Bien que cet effort financier ait conduit à une amélioration de l’état général du patrimoine (notamment entre 2019-2023 par rapport à la période précédente), l’avenir des financements est incertain. Les autorisations d’engagement des crédits de l’État dans le Projet de Loi de Finances (PLF) 2025 sont en baisse. En Bourgogne Franche-Comté, les crédits régionaux ont diminué de 15 % ces dernières années, et les perspectives budgétaires des élus sont contraintes », avance Emmanuel Roux. Le mécénat privé ne peut compenser ce manque qu’exceptionnellement, étant souvent limité à des sites très emblématiques, comme la Saline royale d’Arc-et-Senans, où il peut représenter près de 30 % des recettes entre 2018 et 2024.

Optimiser et valoriser : des leviers à mobiliser

Face à ces tensions budgétaires, la Cour des comptes insiste sur la nécessité de mieux activer certains leviers pour améliorer la conservation et la valorisation. « Nous préconisons d’anticiper davantage et de mieux programmer les opérations de conservation, en développant des démarches de programmation immobilière pluriannuelle, comme cela a été fait par le département Doubs ou à Besançon. La mutualisation des ressources techniques à l’échelle intercommunale est un second axe fort, permettant de pallier l’inégalité des communes en matière d’ingénierie à l’exemple de Baume-les-Messieurs, dans le Jura. Enfin, au pire, des cessions peuvent être envisagées ».

Par ailleurs, la valorisation du patrimoine apparaît comme un élément décisif pour sa pérennité. Il est crucial de faciliter l’ouverture au public et sensibiliser ce dernier aux enjeux et aux métiers du patrimoine comme cela à été fait à Semur-en Auxois ou à Tonnerre. Le changement d’usage des édifices qui n’ont plus d’activité cultuelle doit lui aussi être simplifié. Le rapport encourage l’inscription du patrimoine dans des démarches d’attractivité touristique ou des stratégies d’aménagement du territoire (outils type Action Coeur de Ville ou Petites Villes de Demain). « Avec un point de vigilance sur le fait que l’exploitation économique doit faire preuve de rigueur en sécurisant notamment les hypothèses de recettes pour éviter les déficits d’exploitation. À Autun cette condition n’est pas toujours rempli. De même, à Dijon avec la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin, le manque de suivi de la fréquentation ne permet pas une valorisation du site à la hauteur des investissements consacrés. »

Des régles de protection à simplifier

L’enquête s’est également penchée sur la responsabilité des collectivités en tant qu’aménageurs, qui doivent concilier protection du patrimoine et urbanisme. La complexité réglementaire persistante est un frein majeur. La Cour recommande d’accélérer la simplification de la réglementation, soulignant que la mise en oeuvre de la loi de 2016 relative à la Liberté de création, à l’Architecture et au Patrimoine (LCAP) se fait à un rythme « trop lent ». Ce qui conduit à un enchevêtrement des anciens dispositifs et des nouveaux zonages, créant une complexité préjudiciable. À Besançon, par exemple, ils existe jusqu’à quatre types de régles de protections qui se chevauchent : les périmètres patrimonial remarquable, Unesco, classé au titre du code de l’environnement et celui des abords avec la règle des 500 mètres sans construction. « On a ainsi une recommandation très opérationnelle, afin que d’ici fin 2025, l’État puisse examiner les conditions permettant de modifier un plan de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine sans déclencher de manière automatique la révision du plan local d’urbanisme ».

Cette complexité a des impacts socio-économiques directs : le taux de vacance des logements est le double dans les zones protégées - où la prise en compte de la transition écologique et énergétique est prégnante et concerne 37,7 % du parc de logements - que dans les zones non protégées. Les auteurs insistent également sur la nécessité d’une meilleure articulation des compétences entre communes et intercommunalités lors du déploiement des outils de l’urbanisme et de la protection, ainsi que sur l’amélioration du dialogue entre les élus et les architectes des bâtiments de France, garants de la sauvegarde du patrimoine, dont la variabilité des avis peut perturber l’anticipation des projets. « Enfin, l’intérêt de cette enquête est aussi pour les communes de connaître ce qui se fait ailleurs, de s’acculturer aux différentes solutions possibles, de se comparer entre elles afin de mieux mutualiser leurs actions. C’est d’autant plus vrai que la boîte à outils techniques reste souvent peu accessible pour les petites communes qui, de fait, sont régulièrement dépassées par la situation », conclut Emmanuel Roux.