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Produire plus et plus vite : l’armée mise sur l’agilité des PME

Défense. Mardi 14 novembre le cluster Aéronautique, spatial, défense (ASD) du Pôle des microtechniques (PMT) organisait, en collaboration avec le ministère des Armées, une rencontre entre les maîtres d’ouvrages industriels du secteur de la défense et les PME et ETI locales.

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Le mirage “cristal”
Avec 184.000 euros de budget réinvesti auprès des entreprises locales la base aérienne 116 de Luxeuil-Saint Saveur en Haute-Saône est un acteur économique majeur. Il est également le premier employeur de la circonscription et le troisième de Haute-Saône après Stellantis. Sur la photo, le mirage “cristal” un avion-maquette dédié à la formation des mécaniciens composé de 95 % de pièces réelles. (Crédit : JDP)

Crise énergétique, pénurie de matières premières, inflation… L’agression russe contre l’Ukraine a engendré un bouleversement stratégique qui va bien au-delà des frontières du conflit. Pour la France, ce séisme a mis au jour la nécessité de disposer d’un potentiel militaire puissant et capable de tenir dans la durée. Les récents évènements survenus sur le territoire israélien ne disent pas autre chose.

Le 13 juin 2022, au salon mondial de la défense et de la sécurité Eurosatory à Paris, le Président de la République Emmanuel Macron lançait le chantier “Économie de guerre” fixant un objectif clair au ministère des Armées : la nation doit être capable de réagir en cas d’implication dans un conflit de haute intensité.

« C’est un changement de paradigme. Ses trente dernières années nous étions dans une sorte de “luxe” qu’en a nos choix d’interventions militaires dans le monde, aujourd’hui nous sommes dans quelque chose de subi, nous n’avons plus le choix des armes ni celui du théâtre d’opération. Le conflit en Ukraine a mis en exergue une évidence : il faut plus de temps pour produire les matériels qu’il n’en faut pour les utiliser. Actuellement, nous n’avons de stock pour faire la guerre dans de bonnes conditions que pendant deux jours. Repenser notre outil de production pour l’orienter vers une logique de masse et de stocks est redevenu une priorité, la seule capable de donner à nos armées les moyens de faire face à un conflit d’envergure », a expliqué le colonel Anne Labadie commandant la base aérienne 116 de Luxeuil-Saint Sauveur en Haute-Saône, lors de la rencontre organisée le 14 novembre par le PMT (Pôle des microtechniques) (PMT) de Besançon entre les membres industriels de son cluster Aéronautique, spatial, défense (ASD) et les grands donneurs d’ordres du secteur de la défense.

Objectif affiché : « apporter l’agilité, la force productive et la capacité d’innovation des PME et ETI locales à la supériorité opérationnelle de nos armées », lance Éric Padieu, délégué à l’accompagnement régional de la Défense pour la région Bourgogne Franche-Comté, véritable l’interface entre la DGA et les acteurs économiques et institutionnels du secteur.

« Le tissu de TPE, PME et ETI régional actif dans le secteur ASD représente 47 % des entreprises du PMT et sert toute la supply chain. Leurs savoir-faire étant reconnus et présents sur la majorité des programmes des avionneurs. Le secteur comprend des fournisseurs d’outillages, d’équipements et de composants, ainsi que des prestataires et des constructeurs d’aviation légère. Les donneurs d’ordres implantés en région dynamisent l’écosystème et amènent les entreprises à proposer des offres structurées et complémentaires », complète Malua de Carvalho, déléguée générale du PMT ASD qui est par ailleurs le représentant du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) en région.

Consolider la supply chain

Conscient de la nécessité d’ajuster les moyens aux menaces, le chef de l’État a demandé à Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, d’augmenter les capacités de production du pays afin de conserver une autonomie stratégique, « concrètement il nous est demandé de produire plus et plus vite mais selon un modèle soutenable pour l’État, appuie la commandante de la BA 116.

Si la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 et son budget prévisionnel historique de 413 milliards d’euros (le plus important jamais consacré aux armées depuis les années 1960) nous oblige, la nécessité de concilier supériorité opérationnelle, délais de production rapide et coût maîtrisé, nous contraint à faire des choix et induit une implication accrue des industriels dans la transformation en profondeur de nos chaînes logistiques. »

La remonté en cadence exigée par l’État se heurte ainsi à plusieurs obstacles comme les fortes tensions sur les approvisionnements en matières premières stratégiques (métaux rares et composants électroniques) et un déficit structurel de main d’œuvre.

« Chez Dassault Aviation, nous vivons une période assez exceptionnelle, avec un carnet de commandes stable et robuste (plus de 170 avions en commande jusqu’en 2031), nous n’avons jamais autant livré de rafales qu’actuellement. Cette phase de production intense nécessite une chaîne d’approvisionnement consolidée, or aujourd’hui, les entreprises sous-traitantes de la filière sont en difficulté, affirme Lionel Janin Brusson, responsable des programmes industriel chez Dassault Aviation. Les canaux de financement liés à la réindustrialisation de la filière française ne sont pas dimensionnés à la hauteur des besoins. Nous devons donc nous sauver nous-même et lever ensemble les freins de la productivité. La LPM offre sept années de visibilité que nous devons faire ruisseler entre tous les acteurs de la chaîne de production, notamment nos PME sous-traitantes afin que la montée en puissance soit conjointe de la nôtre. De même, dans sa nouvelle politique Dassault souhaite aider financièrement la sous-traitance en partageant avec elle une partie des acomptes dont nous bénéficions lors de la signature de nos contrats ».

Côté État, le soutien au chiffre d’affaires des PME est également à l’ordre du jour avec « 26 milliards d’euros de dépense annuelle du ministère de la Défense en crédit d’investissement, dont les trois-quarts dans l’armement, précise Éric Padieu. Il s’agit également d’améliorer et de simplifier l’accès des PME à la commande publique. Sur le volet RH, la DGA travaille, par exemple, avec les antennes locales de Défense mobilité pour orienter les militaires quittant le ministère des Armées vers les secteurs industriels en tension. De même, une piste est en cours de réflexion sur l’utilisation des réservistes pour pallier le déficit de main-d’œuvre. La DGA entend également tisser davantage de liens avec les territoires. Ici en BFC, la DGA est déjà partenaire du PMT et du pôle Nuclear Valley, une association avec le Pôle Véhicule du Futur est à l’étude ».