Les bailleurs sociaux évoluent actuellement dans un environnement où les contraintes sont à la fois financières, économiques et sociales. Selon Christophe Bérion, directeur général d’Orvitis : « le logement social est malade. Et les premiers symptômes remontent à 2018 avec la mise en place par l’État de la réduction de loyer de solidarité (dispositif destiné à rendre incolore la baisse des APL pour les locataires du parc social les plus pauvres, soit deux des huit millions de locataires HLM. Ndlr). Cette mesure entraîne un manque à gagner significatif pour les bailleurs sociaux. La perte nette de recettes locatives a grevé les fonds propres d’Orvitis de plusieurs dizaines de millions d’euros depuis son application (soit environ 2,5 M€ de revenus en moins par an) ».
Dans un référé daté du 4 mars 2021, la Cour des Comptes ne dit pas autre chose dans sa première évaluation de la réforme. La Cour estimait alors l’amputation des marges de manoeuvre financières des organismes HLM à 4,5 % des rendements locatifs, notant par ailleurs, que l’entrée en application de la RLS a engendré une réduction des capacités d’autofinancement dans le secteur HLM, dont découle une diminution des investissements. Les dépenses d’entretien courant et de gros entretien du parc social sont ainsi en recul, d’environ -7 % en valeur. Un désengagement qui n’est « pas longtemps soutenable », estime la Cour des Comptes. Cette dégradation de la situation financière des bailleurs sociaux intervient dans un contexte de forte hausse de la demande en logements à loyer modéré, « comme on n’en a jamais connue jusqu’ici », affirme Christophe Bérion. « Sur la Côte-d’Or en un an, la demande a augmenté de près de 8% », appuie Béatrice Gaulard, directrice générale d’Habellis, groupe Action Logement. « En janvier 2024, nous avions déjà 14 739 demandes de logements sociaux, alors que le parc de logements existants sur le département est de 14 000 », complète Christophe Bérion.
« Sur la Côte-d’Or en un an, la demande a augmenté de près de 8%, c’est un record » Béatrice Gaulard, directrice générale d’Habellis
Une explosion de la demande qui conduit à un allongement des périodes d’attente pour l’obtention d’un bien : « sur la métropole, nous sommes pratiquement à un an », déplore Christophe Bérion. Ce phénomène s’explique par trois grandes causes : la paupérisation de la population, « la chute du pouvoir d’achat et l’augmentation des charges liées aux énergies et à la rénovation des bâtiments a entraîné un transfert des locataires du parc privé vers le logement social », l’éclatement des ménages, « Orvitis enregistre une augmentation de la part de familles monoparentales dans ces logements », le vieillissement de la population qui conduit à une diminution de la rotation des logements disponibles et un parcours résidentiel en panne. « Avant la crise, nous avions environ 30 % de nos locataires qui quittaient leur logement social pour l’accession à la propriété ». « Les potentiels acquéreurs sont ralentis dans leur projet d’accession à la propriété, dans une période où les taux d’intérêt augmentent en même temps que les prix des logements par le jeu d’une production plus chère, liée à l’augmentation des coûts des matériaux. Ces phénomènes conjugués mettent à mal la solvabilité des prétendants à l’accession », argue Béatrice Gaulard.
Face à ces différents constats, nous serions enclins à penser que la construction de HLM bat son plein dans notre pays. Or, c’est tout l’inverse, affirme Christophe Bérion : « L’État avait promis 125 000 nouveaux logements par an, dans les faits nous sommes plutôt autour de 80 000. Un déficit en foncier neuf lié à la fois à un renchérissement des coûts de construction (prix de revient en hausse de 30 % en lien avec l’inflation) et à une baisse des subventions conduisant à une utilisation plus grande des fonds propres. Il y a dix ans, nous avions 10 % de fonds propres consommés pour 30 % de subventions. Aujourd’hui, c’est l’inverse ! De plus, les promoteurs, dans leurs programmes de construction, réservent de moins en moins de place aux logements sociaux. En 2024, nous avions 300 logements en vente en l’état futur d’achèvement contre plus de 1 000, il y a trois ans, ce qui nous oblige à densifier notre apport en logements en maîtrise d’ouvrage direct, grevant de nouveau d’autant nos fonds propres : nous sommes dans une situation économique qui ne cesse de se tendre. »
Accélérer la rénovation
La solution se trouve peut-être dans la réhabilitation du patrimoine existant : « Il y a dans ce domaine matière à mettre en place une vraie dynamique tant que l’accompagnement de l’État, de l’Europe, la région et les dispositifs de type certificats d’économie d’énergie (C2E), seront là. Ce sur quoi, nous avons malheureusement quelques inquiétudes aujourd’hui », s’alarme Christophe Bérion qui affirme qu’Orvitis s’est engagé dans une volonté forte de réhabilitation de son patrimoine existant. « Nous sommes passés de 100 logements éco-rénovés par an à 200 avec pour objectif d’éradiquer en 2030 toutes les passoires thermiques de nos 13 500 logements. En 2026, plus aucun de nos produits ne sera chauffé au fioul et la part d’énergie renouvelable sera portée à 40 % ».
Nous sommes passés de 100 logements éco-rénovés par an à 200 avec pour objectif d’éradiquer en 2030 toute les passoires thermiques de nos 13.500 logements.
Christophe Bérion, directeur général d’Orvitis
L’enjeu se trouve également dans la redistribution des logements : « Dans notre parc, nous avons un grand nombre de bâtiments des années 1970, conçus pour accueillir les familles de salariés de l’industrie. Ils ne possèdent pas d’ascenseur et présentent des appartements de type 4 ou 5 pièces. Cinquante ans après, ce type de configuration ne répond plus aux nouvelles typologies de population (famille monoparentale, retraité...) et aux enjeux d’accessibilité ». Orvitis a ainsi réalisé sur Chenôve une opération de réhabilitation et de redistribution des logements sur un immeuble. « Nous avons déconstruit en partie 34 logements T4 et T5 en plus petits lots de type T2 et T3, tout en conservant le total de départ de 90 logements. L’ensemble a été équipé d’ascenseurs et une partie résidence senior a été créée ». Le coût de cette opération, qui répond également à la problématique de la loi Zéro artificialisation nette (ZAN) s’élève à 9 M€ dans le cadre de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
« Un coût de la réhabilitation qui a également flambé ces dernières années, passant d’une moyenne de 60 à 80 000 € par logement, il y a trois ans, à 20 à 30 000 € aujourd’hui », alerte Christophe Bérion, qui déclare un budget d’investissement de 40 M€ par an, avançant avoir fait évoluer son activité d’une production hier à dominante neuve à la rénovation accentuée de son patrimoine existant : « Nous sommes passés de 2/3 d’investissements dans le neuf contre 1/3 sur la rénovation à une proportion de 50-50 aujourd’hui ».« Habellis, sous l’impulsion du groupe Action Logement, essaie de maintenir un niveau de production pour tenter de répondre aux besoins à un moment où il convient également de maintenir le parc à un bon niveau de réhabilitation, pour tenir les enjeux de la transition énergétique. Dans ce contexte complexe, l’exercice vise à tenter un équilibre entre ces deux axes d’intervention, à un moment où les coûts de réhabilitation ont connu une hausse de plus de 20 % en quatre ans – coûts des matériaux mais également augmentation des coûts liés, par exemple, aux contraintes réglementaires (périmètres de sauvegarde en centre ancien...) », affirme pour sa part Béatrice Gaulard. L’enjeu de la décarbonation du parc immobilier est également une préoccupation majeure de Grand Dijon Habitat, dans le cadre du programme Response qui vise à faire du quartier de Fontaine d’Ouche un exemple en matière de lutte contre le réchauffement climatique en favorisant la consommation renouvelable d’électricité produite directement au sein du quartier.
Au total, cette opération d’autoconsommation collective regroupe 487 logements ainsi que les bâtiments municipaux du quartier (piscines, écoles, gymnases ainsi que les groupes scolaires Buffon et Anjou). Ce sont plus de 1 100 habitants qui vont devenir acteurs de leur consommation d’énergie. Dans le détail, des panneaux photovoltaïques ont notamment été installés sur l’îlot Franche-Comté et les bâtiments ont été équipés de thermostats intelligents : interrupteurs présence-absence, thermostats connectés à la météo locale pour adapter le chauffage à la température extérieure, vannes thermostatiques avec coupure du chauffage lors de la détection d’une fenêtre ouverte, thermostats auto-apprenant... « Sur ce projet, les locataires sont pleinement impliqués avec une contribution à l’investissement et à l’entretien des panneaux photovoltaïques en échange d’économies réelles sur leurs charges. Après plus de cinq ans de travail, nous venons de trouver aujourd’hui l’équilibre économique du projet avec un prix du rachat par le réseau de l’excédent produit fixé sur 20 ans », confie Hamid El Hassouni, président de Grand Dijon Habitat. Le bailleur de la collectivité est également partenaire du projet métropolitain Climat et Biodiversité et fait partie d’un groupe de réflexion impliquant l’université de Bourgogne, le CHU, Dijon Métropole et la Banque des Territoires. L’idée étant de trouver des synergies, d’identifier des convergences, de faciliter des achats groupés sur la question notamment de la transition énergétique des bâtiments.
Avec le programme response à fontaine d’ouche ce sont plus de 1.100 habitants qui vont devenir acteurs de leur consommation
d’énergie. »
Hamid El Hassouni, président de grand Dijon habitat
Si Dijon Métropole a la chance de posséder un réseau de chauffage urbain très performant avec un taux de verdissement parmi les moins émetteur en carbone de France, l’habitat reste un gros émetteur de gaz à effet de serre. « Grand Dijon Habitat a une conscience extrême de sa responsabilité sociale et environnementale. Nous souhaitons ainsi pouvoir investir dans les énergies renouvelables le plus facilement possible avec un leitmotiv : que cela ne coûte rien aux locataires. Pour cela, nous devons repenser nos modèles économiques, viser une dépendance aux subventions de plus en plus faible. Il conviendrait également d’alléger la réglementation, notamment sur la question de la zone de distribution de l’énergie produite sur les toits en photovoltaïque qui aujourd’hui est limitée à un rayon de deux kilomètres de la source d’émission. Idéalement, il faudrait la porter à l’échelle du territoire dans lequel nous sommes implantés, afin de penser nos besoins énergétiques en autoconsommation de manière globale. Et ainsi de pouvoir, par exemple, redispatcher un excédent présent sur une zone du territoire vers un bâti en déficit énergétique à l’autre de ce même territoire », défend Hamid El Hassouni.
S’adapter aux mutations de la société
Sur la question de l’évolution de la typologie de population et la variabilité des besoins en fonction des différents territoires ruraux ou urbains, Orvitis a également mis en place une segmentation de son offre avec la création de marques cibles. « Avec 30 % de nos locataires qui ont plus de 65 ans, nous avons souhaité travailler sur une adaptation de nos produits au vieillissement de la population ». La marque Sérénitis a ainsi été déployée sur 15 résidences, de 20 logements en moyenne, sur le département. Dans ces logements, les aînés profitent de douches à bac extra plat, de volets roulants électriques, d’ascenseurs..., le tout dans des résidences à taille humaine, sécurisées, avec salle dédiée aux activités communes, présence d’un gestionnaire de résidence et à proximité des services essentiels, des commerces et des acteurs de la santé. « Nous adaptons également, sous le label Sérénitis, certains de nos logements en résidences classiques. Nous mettons en place également des logements inclusifs en lien avec la démarche du département d’aide à la vie partagée, afin de rompre l’isolement et la solitude trop souvent associés au vieillissement », ajoute Christophe Bérion.
Orvitis s’est également intéressé aux étudiants et apprentis, qui, en matière de logement, n’ont pas le réflexe du logement social, alors que bien souvent ils y ont droit. « Nous avons créé Loc’Izy, dont la meilleure illustration est la rénovation en cours de la résidence du boulevard de la Trémouille à Dijon, où dès le deuxième semestre 2025, les jeunes de moins de 30 ans pourront profiter de logements meublés accessibles sans frais de dossier ni caution ». À Dijon et Fontaine-les-Dijon, une quinzaine de logements a déjà été labellisée Loc’Izy, et des projets voient le jour à Beaune ou encore à Semur-en-Auxois. Enfin, le bailleur social vise une troisième cible : « celle des cadres qui, bien qu’ayant davantage de ressources, restent dans les plafonds du logement social ». Avec eux, l’objectif est de relancer le parcours résidentiel et l’accès à la propriété. Baptisé IM-Ô, cette marque vise ainsi à toucher des personnes qui ne pensent pas au logement social, alors qu’entre 70 et 80 % des Français qui résident dans un logement ordinaire y ont droit. À Dijon, 24 appartements de la rue des Génois s’inscrivent dans cette nouvelle gamme ; de petits pavillons sont en construction à Belleneuve (21) et un programme de rénovation est en cours à Gevrey-Chambertin. « Ces trois marques objectivent également une meilleure adaptation à la réalité foncière et aux besoins spécifiques de chaque commune du territoire. Ainsi, Sérénitis trouvera toute sa pertinence en milieu rural où la question du vieillissement de la population est prégnante. À l’inverse, Loc’Izy a une vocation plus citadine ».
Nous avons segmentarisé notre offre afin de mieux répondre à la réalité foncière et aux besoins spécifique de chaque commune du territoire en matière de logements sociaux, qu’elle soit rurale ou urbaine.
Christophe Bérion, directeur général d’Orvitis
De leur côté, Habellis et le Groupe Action Logement s’adressent au plus grand nombre avec une cible plus spécifique sur les salariés d’entreprise, avec l’objectif de favoriser le lien emploi/logement : « nos offres aujourd’hui sont disponibles au travers de divers sites, notamment par le biais de ALIN, mis à disposition des salariés, et une communication au plus près des services RH des entreprises, en lien avec Action logement service », précise Béatrice Gaulard.
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