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Dijon Céréales cherche une sortie à sa crise

Côte-d’Or. Le directeur général remplacé, un président qui passe la main, des finances endommagées dans un contexte de baisse de rendement : la puissante coopérative agricole du département est bousculée. État des lieux et perspectives avec Christophe Richardot, directeur général sur le départ et son successeur, Simon Bilbot.

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Photo de Didier Lenoir, Benoît Collardot, Simon Bilbot, Christophe Girardot
Un front uni pour faire face aux turbulences que traverse le groupe... Didier Lenoir (3e à partir de la gauche), président, ne se représentera pas ; Benoît Collardot (2e à partir de la gauche), actuel vice-président, est chargé de mener un rapprochement avec Bourgogne du Sud en duo avec Simon Bilbot (à gauche), qui prendra officiellement ses fonctions de directeur général le 1er janvier en remplacement de Christophe Girardot (à droite), directeur général. (Crédit : Dijon Céréales.)

C’est une mauvaise nouvelle de plus pour les agriculteurs déjà éprouvés par les incertitudes sur le devenir de la PAC, les modalités d’application du Mercosur (marché commun avec les pays d’Amérique du Sud qui va déstabiliser certaines filières) et la baisse de leurs revenus : Dijon Céréales, la puissante coopérative agricole aux 3.300 adhérents et 506 M€ de CA, va mal.

Preuve de l’urgence de la situation, c’est l’entité elle-même qui a pris les devants en annonçant, dès le vendredi 21 novembre, par le biais d’un post sur ses réseaux, les bouleversements à venir : le débarquement de Christophe Richardot, directeur général depuis huit ans, remplacé le 1er janvier par Simon Bilbot, son numéro 2, actuellement directeur du pôle distribution du groupe ; une présidence renouvelée, Didier Lenoir ne se représentant pas - le candidat le plus probable à la succession étant Benoît Collardot, l’actuel vice-président, chargé dès aujourd’hui par le conseil d’administration de porter un avenir placé sous le signe d’une « synergie renforcée avec la coopérative Bourgogne du Sud » (elle constitue, avec Dijon Céréales et Terre comtoise, l’union des coopératives agricoles Alliance BFC).

État des lieux

506 M€ de CA (vs 530 l’année dernière) ; 717.000 tonnes de collecte (vs une moyenne autour de 850.000 tonnes) ; une perte aux alentours de 18 M€ dans un contexte tendu pour les céréaliers (une tonne de blé est vendue aujourd’hui 150 € quand elle était à 350/400 €/tonne au début de la guerre en Ukraine mais elle coûte 220 €/tonne à produire). Ces chiffres, annoncés aux adhérents lors des AG de section, dressent un constat alarmant pour le puissant groupe agricole de Côte-d’Or. À cela s’ajoute la perte du marché export (200.000 tonnes) vers l’Afrique et la Chine via la méditerranée, venue plomber des comptes déjà affaiblis.

« Du fait d’une part des mauvaises relations de la France avec l’Algérie et d’autre part, de la Chine qui ne consomme plus de blé occidental, on a dû réorienter nos produits sur des marchés intérieurs, mais on a payé nos charges de structure pour nos infrastructures portuaires sur la Méditerranée et en parallèle on a remis des camions sur la route, explique Christophe Richardot. Donc plus de charges, des flux différents, des rentrées d’argent différentes ». Et une logistique a remettre en place, avec les coûts afférents. La météo 2024 pluvieuse a achevé une saison qui s’annonçait mal : « On a fait 20.000 heures supplémentaires de plus l’an dernier sur la saison. On a ouvert les silos tous les week-ends et pour ne rien arranger, nos clients ont travaillé leur cash. Ils ont exécuté leurs achats de céréales très tard, les meuniers ont géré leur cash en exécutant le plus tard possible et nos fournisseurs ont livré très tard ».

Dans le même temps, assure le directeur général, l’accompagnement des agriculteurs en difficulté a été accentué : « On gère habituellement le besoin en fonds de roulement d’environ 30 % des exploitations et on a dû faire face à une augmentation, parallèlement à des banques qui se sont un peu retirées du financement des exploitations parce que le monde agricole devient relativement complexe : notre créance culture a donc augmenté. Je pense qu’on a coché toutes les cases d’une campagne très compliquée et sur la partie agricole, on sort un résultat net de – 8,5 M€ », conclut Christophe Richardot.

Sécalia et auxiane, cailloux dans la botte

Le reste de la perte s’explique en partie par le délai de mise en service du méthaniseur Sécalia de Cérilly, livré avec un an de retard, et même si Shell biogaz a renfloué par recapitalisation de l’outil, il a bien fallu faire entrer l’absence de résultats dans les bilans. « Il y avait un trou relativement important sur la première année d’exploitation de Sécalia de l’ordre de 16 M€, sans aucune production de gaz mais avec des remboursements à réaliser, des charges de personnel puis de CapEx (dépenses d’investissement ou dépenses en capital, Ndlr) qu’on avait un peu réajustées, précise Christophe Richardot. Donc Shell s’est complètement assumé et ça ne nous a rien coûté. En revanche il a fallu dans les documents comptables reconnaître la perte à hauteur de 35 % de ces éléments, ce qui rajoute 5,7 M€ d’exceptionnels ».

Enfin, et parce qu’il anticipait un rapprochement avec d’autres coopératives comme on pourra le lire ensuite, le groupe Dijon Céréales a souhaité purger un litige vieux de sept ans avec Axéréal, qui possède Axiane (dont Dijon Céréales est actionnaire), la société propriétaire de Dijon Céréales meunerie qui valorise les blés produits en Côte-d’Or par ses adhérents. « On avait une problématique avec la coopérative Axéréal dans une société commune de meunerie où on avait un très gros litige. On leur a revendu nos parts, 8 M€, mais elles étaient toujours valorisées chez nous à 12 M€. Donc on a dû provisionner 4 M€. C’est du papier, on a rentré du cash. Il n’y a pas d’impact sur la coopérative », assure Christophe Richardot. Il n’empêche qu’entre l’opérationnel agricole et l’exceptionnel, on arrive à cette perte d’environ 18 M€ dans les bilans comptables pour un chiffre d’affaires en retrait de 5 %.

Stratégies divergentes

Cela fait un an que le conseil d’administration, conscient des difficultés, a souhaité réévaluer la stratégie du groupe Dijon Céréales et se rapprocher d’une entité jumelle. Plusieurs dossiers ont été étudiés en vue d’un rapprochement : Oxyane (Lyon), Vivescia (Reims) et Bourgogne du Sud, la coopérative membre de l’Alliance BFC dont le siège est à Verdun-sur-le-Doubs (71). « Nous nous étions dit au préalable avec Didier [Lenoir] que si c’était Oxyane ou Vivescia, nous pouvions emmener le dossier tous les deux, relate Christophe Richardot. En revanche, si c’était Bourgogne du Sud, on ne se voyait pas reprendre les discussions avec eux. On a fait sept ans dans l’Alliance, notre objectif non rempli était de fédérer les trois coopératives et on s’est dit, on va reprendre les mêmes discussions, on va retrouver les vieux démons parce qu’au final ça devenait même tendu donc on leur a dit : mettez une autre équipe elle sera bien meilleure que nous. Si c’est nous, on va reconnaître un échec. »

Photo de Didier Lenoir, Yaël Braun-Pive, Paul Mourier
Didier Lenoir (au centre), président de Dijon Céréales et d’Alliance BFC lors de la visite de la président de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet sur le site de Sécalia. À droite : Paul Mourier, préfet de la Côte-d’Or. (Crédit : JDP)

Désaveu ou non ? Pour finir, la piste Bourgogne du Sud a été validée, actant du même coup les départs de Christophe Richardot et de Didier Lenoir des postes de DG et de président. « Valider le choix de Bourgogne du Sud, donc le choix du local, c’est quelque chose de courageux, et c’est réfléchi à l’unanimité du conseil, reconnaît Christophe Richardot, beau joueur (ou rompu à la communication de crise). Connaissant ma position ils ont fléché Simon Bilbot en tant que futur DG. Il n’y a aucune tension car Simon m’a accompagné dans tous les dossiers. » Un choix que valide Pierre Guez, le prédécesseur de Christophe Richardot (qui n’apparaît pas exactement regretter de la déconfiture de l’équipe encore en place pour quelques semaines) mais assure : « Benoît Collardot et Simon Bilbot ont toute ma confiance ». Un agriculteur du nord Côte-d’Or appuie : « Ce sont des gars bien et contrairement à l’ancien directeur, ils connaissent le milieu du grain et n’auront pas à l’apprendre sur le tas ». Ambiance…

Bourgogne du sud

Celui qui sera, jusqu’au 1er janvier, directeur du pôle distribution du groupe justifie le choix du conseil d’administration par une volonté de recentrage, tant géographique qu’opérationnel, pour relancer Dijon Céréales : « On reste dans une forme de continuité de structuration de la région, explique prudemment Simon Bilbot. Il y a déjà des travaux et des relations initiées. Ouvrir une nouvelle page avec une autre région aurait été un petit peu plus disruptif. Et cela mettait aussi en cause, peut-être, les unions régionales et les organisations d’union régionale existantes ». Reste qu’il est bien difficile de cerner exactement en quoi consiste ce désir de « synergie renforcée avec Bourgogne du Sud » vantée auprès des adhérents.

« Ouvrir une nouvelle page avec une autre région aurait été un petit peu plus disruptif. Et cela mettait aussi en cause, peut-être, les unions régionales et les organisations d’union régionale existantes. »

Simon Bilbot, directeur général (à partir du 1er janvier) du groupe Dijon céréales

Simon Bilbot évoque la poursuite du travail avec la centrale d’achat Area dont Dijon Céréales et Bourgogne du Sud sont adhérentes ; ou avec Cerevia, l’entité de commercialisation de céréales composée des trois coopératives d’Alliance BFC et d’Oxyane, précédemment citée. Il énumère des « pistes d’optimisation. On pense notamment à la logistique, à la gestion du pôle céréales où il y a de l’optimisation et de l’efficience économique à travailler ensemble, ainsi que les enjeux autour des approvisionnements ou de l’alimentation animale. » Une efficience synonyme de licenciements ? « Ça ne veut pas forcément dire aujourd’hui des suppressions d’emploi, mais ça veut peut-être dire quand même de façon sous-jacente une forme de réorganisation de notre entreprise. On a de la digitalisation, on a mis en place aujourd’hui une équipe de data scientists performante sur des aspects d’intelligence artificielle ». Pour autant, et même si « dans le temps court, il y aura un recentrage sur les métiers agricoles, ça ne veut pas dire abandonner les voies d’avenir (comme les agro-énergies, Ndlr), assure Simon Bilbot. Mais ces voies vont être portées autour de notre organisation Alliance BFC avec cet axe Bourgogne du Sud. Mais bien sûr qu’on va continuer à travailler l’innovation, on va continuer à porter tous les enjeux qui vont permettre à notre agriculture de devenir beaucoup plus résiliente par rapport à ce qu’on attend autour des enjeux économiques, sociétaux ou environnementaux ». Il faudra attendre début 2026 et l’arrivée officielle du nouveau président pour avoir des réponses que l’on espère plus précises.