Entreprises

Anticipation : maître-mot d’une transmission réussie

La cession de son entreprise est un moment incontournable de la vie d’un dirigeant, qu’il doit savoir aborder avec le même sérieux et la même détermination dont il a fait preuve sa vie durant pour assurer la bonne marche de sa société. Un processus stratégique pour l’avenir d’une entreprise qu’il a peut-être créée, dont il a dessiné les contours et a assuré, parfois au détriment de sa vie privée, le dynamisme et la rentabilité... et qui lui a, en retour, forgé une part d’identité. Mais une transmission n’est pas une aventure en solo : de nombreux acteurs accompagnent le cédant afin que le passage de relai se transforme en une bonne opération, bénéfique dans son versant financier et fiscal, et enrichissante sur le plan humain.

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(Crédits : Freepix)

Une transmission d’entreprise est une aventure à la fois financière et émotionnelle, un véritable film à suspense – qui a vu la terrifiante série Succession, où le partage d’un empire familial des médias tourne au drame shakespearien, ne dira pas le contraire – jusqu’à la signature entre le cédant et le repreneur. Un scénario propice à toutes les surprises – « J’aime ce proverbe juif qui dit : “Les hommes prévoient, Dieu rit” », rappelle Catherine Petitjean, interrogée dans le cadre de ce dossier (voir page 17) – mais qui, pour éviter les mauvaises surprises, doit se placer sous un maître-mot : anticiper.

« L’erreur maîtresse est le manque d’anticipation, » confirme le président de l’Ordre des experts-comptables en BFC, Sylvain Castellani. Côté acquéreur, cela signifie découvrir, au cut-off, de mauvaises surprises telles que l’absence de provisions ou d’amortissements, et devoir rentrer en contentieux avec le cédant. Côté vendeur, le principal risque d’un mauvais calendrier est de subir une fiscalité confiscatoire et/ou de voir la valeur de l’entreprise fortement décotée en raison de points bloquants. « L’erreur c’est de ne pas anticiper, » confirme Laure Taiclet, du cabinet spécialisé Link Deal. Parce qu’il faut mettre en place certaines actions pour dépersonnaliser l’entreprise, faire en sorte que l’intuitu personæ entre l’entreprise et son dirigeant soit gommé. Cela nécessite de faire monter des cadres en compétence, d’avoir une approche fine des tâches du dirigeant, de les documenter… Il y a aussi des actions à mettre en place au niveau des comptes, pour avoir des bilans qui reflètent la vraie activité de l’entreprise, parfois consolidés quand on est sur la vente d’un groupe. Cela nécessite un temps pour éventuellement mandater un cabinet, faire un VDD (vendor due diligence), un « audit » en quelque sorte, de cession. La précipitation est vraiment la première des erreurs.

Cadre légal

Heureusement aussi, un cadre légal et un écosystème viennent borner les demandes déraisonnables ou les hésitations du cédant, tout comme il protège ses intérêts dans ce processus long et parfois douloureux. Allant du notaire au gestionnaire de patrimoine en passant par l’expert-comptable, l’avocat, un cabinet spécialisé, des associations dédiées, la chambre consulaire ou les organisations professionnelles (voir pages suivantes), cet écosystème vient en appui du cédant en quête d’un repreneur pour la société dans laquelle, bien souvent, il a mis une bonne part de son identité. « Surtout quand il s’agit d’une boîte qu’on a montée, » souligne encore Maxime Moine, expert-comptable et conseiller patrimonial du cabinet Capec. « C’est comme un enfant : on a tendance à lui trouver toutes les qualités du monde. Sauf qu’il y a un principe de réalité. C’est, à mon sens, tout l’objet de l’accompagnement à la cession d’entreprise : faire prendre conscience des objectifs post-cession et des implications du mode de gestion actuel sur le prix de cession que l’on va pouvoir tirer. L’enjeu ce n’est pas uniquement de choisir le bon cadre fiscal, mais de définir une stratégie sur le long terme et aussi une restructuration avant la cession qui permet finalement de maximiser son prix de cession. » « Aujourd’hui, c’est tout un écosystème qui interagit autour de la transmission d’entreprise. Alors, qu’hier chacun restait bien trop souvent dans son pré carré, actuellement on assiste à une collaboration accrue entre notaires, avocats et experts-comptables, soulignant la nécessité d’une expertise multidisciplinaire face à la technicité croissante des dossiers. Plusieurs thèmes cruciaux sont ainsi abordés à plusieurs voix, notamment l’optimisation fiscale en amont, les spécificités des transmissions familiales et aux salariés, la distinction entre la cession de fonds de commerce et la cession de titres, ainsi que l’importance capitale de l’anticipation pour une transmission réussie et pour minimiser l’impact fiscal pour les héritiers, » développe Olivier Harnisch, notaire à Saint-Usage, en Côte-d’Or.

Se projeter dans l’après

Le processus débute souvent par l’expert-comptable car qui dit cession dit un dossier financier et fiscal inattaquable… « L’expert-comptable recommandera divers ajustements au chef d’entreprise afin de mettre l’entreprise en ordre de bataille (spin off de l’immobilier, amélioration de la rentabilité, optimisation de l’organisation, confirme Sylvain Castellani. De tout cela, il pourra réaliser une mission de diagnostic (VDD), d’évaluation et de valorisation. De cette valeur, subjective, il pourra assister le cédant à contenir son affect vis-à-vis de son entreprise, pour aboutir, au terme des négociations, au prix de cession et de ses divers paramètres et modalités (clause d’earn-out par exemple). Et s’il ne dispose de toutes les compétences requises, il pourra à nouveau, en bonne intelligence, compter sur l’interprofessionnalité : le rédacteur de l’acte pourra être l’avocat, l’éventuel séquestre et toutes les affaires immobilières pourront être confiées au notaire, le placement du prix de cession pourra être l’affaire du conseil en gestion de patrimoine, etc. » « Un repreneur cherchera une entreprise capable de fonctionner de manière autonome. Il est donc nécessaire que l’équipe soit opérationnelle sans dépendre du cédant. C’est un facteur indispensable pour rassurer un repreneur et maintenir la performance suite au départ de ce dernier, » martèle Olivier Constanty, conseiller transmission à la CCI Côte-d’Or Saône-et-Loire. « Transmettre c’est se projeter dans un “après”. On voit des gens qui ont travaillé sans compter pour leur entreprise et qui réalisent que, du jour au lendemain, tout va s’arrêter. Donc quand on étale ce process sur un an, un an et demi, l’aspect psychologique évolue et beaucoup de nos clients au bout de ce process, sont heureux de transmettre et cheminant dans ce processus, décident de s’investir au côté du repreneur pour une passation fluide et réussie… et parfois avec leur argent. » « Vous avez des dirigeants qui, pendant 20 ans, ont été connus de tous par le biais de leur entreprise : lorsque cela s’arrête, cela peut-être difficile à combler s’ils ne sont pas préparés, » conclut Maxime Moine.

Emmanuelle de Jesus

« Quand il y a anticipation, c’est plus facile à gérer ! »

Bénédicte Barré
Bénédicte Barré, experte comptable et directrice associée du bureau de Sens du cabinet Sadec Akelys. (Crédit photo : DR.)

Entretien avec Bénédicte Barré, experte comptable et directrice associée du bureau de Sens du cabinet Sadec Akelys.

Le Journal du Palais. Quand et comment bien préparer sa succession ?
Bénédicte Barré. Le meilleur moment reste bien quand le chef d’entreprise se sent prêt ! Même si, dans le cadre de l’optimisation des droits successoraux, il reste opportun de s’y prendre tôt. Selon la législation, toute entreprise rentre dans l’actif successoral. Il est donc important pour un chef d’entreprise, au même titre que pour ses biens personnels, d’anticiper ! Car si rien n’a été préparé, la société se retrouvera bloquée à la date du décès et sur tout le temps de la succession. Les comptes bancaires sont alors figés : les créanciers ne sont plus payés, les éventuelles commandes clients, chantiers en cours… ne sont pas honorés. Il faut alors un représentant pour pouvoir poursuivre le temps de la succession. De plus, c’est le législateur qui déterminera les héritiers et leurs parts dans la succession, sans oublier qu’ici la question se posera alors de savoir si le ou les héritiers sont aptes à poursuivre l’activité de la société.

Cette anticipation est-elle réelle dans les faits ?
Dans 80 à 90 % des cas, les experts-comptables sont malheureusement contactés après le décès de leur client pour transmettre les informations au notaire. Et certains clients ne souhaitent tout simplement pas préparer la transmission car, pour eux, l’idée reste attachée à leur décès prochain.
Enfin, pour bien préparer sa succession, il faut avoir une vue globale du patrimoine afin de choisir le meilleur montage, et certains clients ne souhaitent pas forcément que leur expert-comptable ait accès à leur patrimoine privé.

Quelles sont les grandes étapes ?
Les experts-comptables peuvent conseiller leur client sur les différentes solutions et montages financiers adaptés, mais dans le cadre d’une transmission, il faut nécessairement intégrer un notaire (pour la rédaction des donations, par exemple). Dans tous les cas, je demande à mes clients que nous prévoyions un rendez-vous avec leur notaire pour évoquer les points abordés ensemble et trouver la solution la plus adaptée en fonction des attentes et besoins de chacun. Nous ne traitons jamais deux dossiers de la même façon. Et si le dossier est bien préparé en amont, lorsque nous arrivons chez le notaire, il n’y a plus qu’à faire le partage.

Quelles sont les différentes solutions pour transmettre de son vivant ?
Quand il y a anticipation, c’est là que c’est le plus facile à gérer, d’autant que le panel de solutions est assez large pour le client. Il peut choisir de céder sa société, son fonds de commerce… en totalité, en démembrement, ou encore poursuivre ou non son activité après la cession. Il peut transmettre à ses enfants qui vont poursuivre l’activité, par exemple, ou à un tiers. Dans ce deuxième cas, au cabinet, nous sommes en mesure de l’accompagner dans sa recherche d’un acheteur… Cette situation ne change rien au fonctionnement de la société, qui poursuit alors son activité avec un autre dirigeant. Dans le cas de transmission de la nue-propriété, c’est transparent pour les tiers. Le but est que, au jour du décès, la société revienne aux héritiers sans droit de succession.

Contre le sentiment de dépossession, je propose à mes clients de rester usufruitier… Dans tous les cas, je le rappelle encore, il est primordial d’anticiper, que ce soit pour optimiser les droits de succession ou pour permettre la poursuite de l’activité. Sans même parler de transmission, si un mandat à effet posthume a été contracté, il permet de désigner une personne responsable de la gestion de l’entreprise en cas de décès. Cela évitera ainsi de pénaliser l’ensemble des parties prenantes de la société (salariés, fournisseurs, clients…). Sans préparation en amont, la cession ou la liquidation sont les risques majeurs encourus par les entreprises.

Propos recueillis par Frédéric Chevalier

« Pour la fiscalité aussi, l’anticipation est cruciale »

Olivier Harnisch
Olivier Harnisch, notaire à Saint-Usage, en Côte-d’Or.(Crédit photo : JDP.)

Entretien avec Olivier Harnisch, notaire à Saint-Usage, en Côte-d’Or.

Le Journal du Palais. Certaines transmissions permettent de profiter d’avantages fiscaux, dans ce cadre un notaire peut-il aiguiller vers les solutions les mieux adaptées ?
Olivier Harnisch. Tout d’abord, il faut rappeler que l’entreprise est un élément clé du patrimoine du chef d’entreprise. La question de sa transmission doit être abordée et traitée avant que celui-ci n’envisage son départ en retraite ou ne décède. L’entrepreneur doit faire le point sur la valeur de son entreprise et les modalités de sa transmission à intervalles réguliers.

En cas de vente, si l’entreprise est de petite taille, je préconise toujours de céder le fonds, laissant la vente des titres aux gros groupes (avec holding notamment) où des optimisations fiscales sont possibles, mais complexes. J’insiste toutefois sur un point : sortir sans aucune fiscalité, c’est impossible, hormis dans le cadre d’une donation. En présence d’un seul enfant, il s’agira d’une donation simple. Avec plusieurs enfants, on pourra conseiller la donation-partage. Dans ce deuxième cas, tout est possible : donner des titres sociaux à l’ensemble des enfants ; ou seulement à un seul repreneur, les autres enfants recevant d’autres biens (immobiliers par exemple) ; ou enfin, si l’entreprise constitue le seul bien du patrimoine, la donner à un seul enfant, à charge pour lui d’indemniser les autres via une soulte. En anticipant la donation, on peut figer la valeur du bien, ainsi ces derniers sont définitivement évalués au jour de l’acte et non pas réévalués au décès (avec un risque de surcoût de fiscalité). Cette démarche est notamment importante dans le cas où un des enfants travaille dans l’entreprise et qu’il est de fait le candidat naturel à la reprise. Si rien n’est anticipé, celui qui s’est défoncé pour le bien de l’entreprise va devoir payer encore plus cher à ses frères et sœurs alors qu’eux étaient extérieurs à tout cela et n’ont pas consacré une minute de leur vie à l’entreprise… Moi, je dis tout le temps, quand il y a un décès, il y a la succession à régler mais il y a aussi la tristesse. Et c’est généralement là que les conflits se créent.

L’entrepreneur peut-il s’assurer des revenus après la cession ?
Avec l’aide de son notaire, plusieurs pistes peuvent être envisagées selon le patrimoine du dirigeant. Combiner donation et vente : rien n’empêche de ne donner à ses enfants qu’une partie des titres de la société et de conserver le restant ; envisager un démembrement : seule la nue-propriété des parts est transmise aux enfants, l’entrepreneur en conservant l’usufruit (le chiffre d’affaires de la société doit être suffisant pour assurer le revenu du cédant mais aussi celui de l’enfant repreneur nu-propriétaire) ; isoler l’immobilier professionnel : si l’entrepreneur est propriétaire des locaux professionnels, il peut créer une société civile immobilière (SCI) et y apporter les biens immobiliers. La SCI pourra ainsi louer les locaux à l’entreprise et le donateur pourra conserver une source de revenus via les loyers perçus par la SCI.

Propos recueillis par Frédéric Chevalier

Un accompagnement global jusqu’à la gestion de patrimoine

Entretient avec Maxime Moine, expert-comptable au cabinet Capec.

Maxime Moine
Le cabinet d’expertise-comptable Capec dispose d’un service dédié à la transmission d’entreprise, qui intègre une stratégie patrimoniale. Le point avec Maxime Moine, expert-comptable au cabinet Capec.(Crédit photo : Capec.)

Le Journal du Palais. Quelle est votre approche du processus de transmission ?
Maxime Moine. Nous avons une approche multiple auprès du cédant. L’expert-comptable est en règle générale en première ligne, et c’est lui qui a toutes les informations sur la partie professionnelle, mais la sphère personnelle est primordiale pour bien conseiller le client en fonction de ses objectifs et du cadre familial. Le cédant est-il marié ou non ? Y a-t-il des enfants ? Est-on en présence d’une famille recomposée ? Quel est son cadre fiscal ? On va avoir une approche par les flux : quels sont aujourd’hui ses flux de revenus : uniquement professionnels ou autres ? On va aussi analyser la valeur du patrimoine, parce que selon la situation personnelle, on a une vision différente. Une fois qu’on a analysé ce stock de patrimoine, on va s’intéresser au vrai projet du cédant : a-t-il déjà potentiellement un acquéreur ? Est-il pressé ou non de céder ? Quel âge a-t-il aujourd’hui, et qu’est-ce qu’il souhaite faire après ? On ne va pas organiser la même stratégie d’organisation du patrimoine avant la cession avec un chef d’entreprise de 40 ans et celui qui part à la retraite. Une transmission n’est pas seulement une affaire financière, c’est aussi une affaire humaine. Enfin, il faut définir précisément ce que l’on vend et en définir les conséquences. Est-ce que je vends des titres, un fonds de commerce, est-ce qu’un acquéreur serait plutôt intéressé par le fonds de commerce ou par des titres de société ? Il y a aussi une phase d’analyse du bilan où on va examiner les actifs. Est-ce que l’acquéreur souhaite conserver tous ses actifs ? Prenons le cas d’actifs immobiliers : peut-être que l’acquéreur ne souhaite pas acheter à la fois l’activité et l’immobilier non indispensable à la poursuite de l’activité ? Peut-être que le cédant, lui, comptait sur cet immobilier pour compléter sa retraite ? C’est un pan de la transmission qu’il ne faut pas négliger.

Pourquoi séparer le dirigeant de la société est-il primordial dans le processus de cession ?
Une fois qu’on a défini ce que l’on vend, il y a souvent des restructurations à opérer avant de céder. Et à ce stade, une des questions qui est pour moi fondamentale et qui va dimensionner tout le reste, c’est : est-ce qu’il y a une vraie autonomie de l’entreprise sans son dirigeant ? Cette première question est très importante parce qu’elle permet de prendre du recul et de prendre conscience du niveau de structuration de l’entreprise. C’est souvent à ce moment que le chef d’entreprise réalise qu’il est trop impliqué par l’opérationnel pour le bien-être de la société. Notre accompagnement consiste à faire admettre qu’un acquéreur n’achète pas le cédant, il rachète une société sur la base d’une rentabilité historique et prévisionnelle. Or, la valeur de l’entreprise aura tendance à s’amenuiser si le dirigeant est partie prenante de sa réussite. Le bon message que le cédant doit transmettre est : « je vous donne les instruments de gestion et de pilotage, mes tableaux de bord, et que ce soit moi ou un autre, la rentabilité ne sera pas affectée puisque j’ai structuré en interne, j’ai des hommes clés qui s’occupent de ça. » Pour un repreneur, avoir la vision de quelque chose de structuré et qui ne dépend plus essentiellement du chef d’entreprise qui vend, est, pour lui, une vraie assurance.

Avez-vous, au sein du cabinet, un accompagnement spécifique du cédant ?
Nous avons une offre packagée d’accompagnement à la cession, qui comporte cinq branches : l’analyse et l’audit patrimonial, les restructurations pré-cession, l’évaluation du prix de cession, l’optimisation fiscale que l’on y met et la stratégie de réemploi des fonds (les experts-comptables ne vendent pas de produits, leur code de déontologie ne le leur permet pas, Ndlr), c’est-à-dire de l’ingénierie fiscale. Nous nous sommes intéressés à la gestion de patrimoine car, lorsqu’on regarde le patrimoine du chef d’entreprise, il est à 80 % représenté par sa société. Or, si l’on veut vraiment accompagner notre client de bout en bout, il faut aussi l’accompagner sur l’événement le plus important de sa vie, qui est de convertir des années de dur labeur dans le meilleur cadre possible pour que cela corresponde à ses objectifs de vie. C’est une continuité pour offrir le meilleur des deux mondes : au moment de l’optimisation de l’entreprise en tant qu’expert-comptable et au moment de l’optimisation pour le patrimoine privé du chef de l’entreprise. C’est ainsi qu’une transmission devient véritablement l’aboutissement d’une vie de travail.

Propos recueillis par Emmanuelle de Jesus

« l’erreur maîtresse est le manque d’anticipation »

Entretien avec Sylvain Castellani, président de l’Ordre des experts-comptables BFC.

Sylvain Castellani
Sylvain Castellani, président de l’Ordre des experts-comptables BFC.(Crédits : David Chedoz.)

Le Journal du Palais. Comment l’expert-comptable s’inscrit-il dans l’écosystème de la transmission d’entreprise (cadre légal, conseils au cédant et au repreneur, fiscalité…) ?
Sylvain Castellani. Côté vendeur, l’expert-comptable dépasse sa mission de tenue de comptabilité et de présentation des comptes annuels de l’entreprise, donnant lieu à l’établissement en amont d’une lettre de mission dédiée. Cette lettre de mission précise ses diligences et ses honoraires, mais aussi circonscrit sa responsabilité lorsque le processus tourne au fiasco : l’expert-comptable est un professionnel du chiffre, une profession réglementée qui, à ce titre, doit être assurée en responsabilité civile professionnelle. Il peut également souscrire des assurances complémentaires, notamment si un dossier de transmission présente des risques particuliers. L’expert-comptable recommandera divers ajustements au chef d’entreprise afin de mettre l’entreprise en ordre de bataille (spin-off de l’immobilier, amélioration de la rentabilité, optimisation de l’organisation…). De tout cela, il pourra réaliser une mission de diagnostic (« vendor due diligence » ou VDD), d’évaluation et de valorisation. De cette valeur, subjective, il pourra assister le cédant à contenir son affect vis-à-vis de son entreprise, pour aboutir, au terme des négociations, au prix de cession et à ses divers paramètres et modalités (clause d’earn-out par exemple). Car l’expert-comptable, de par sa formation généraliste et son expérience de terrain auprès des 4 millions d’entreprises qui maillent nos territoires, dispose, si ce n’est des compétences, des connaissances pour proposer au cédant le montage le plus pertinent dans sa situation personnelle (avec, éventuellement, l’aide des autres acteurs de l’écosystème, Ndlr). Il préparera le dossier de présentation de l’entreprise et le diffusera.

Outre le manque d’anticipation, quelles sont les erreurs à éviter absolument dans le processus de transmission ?
En réalité, l’erreur maîtresse est en effet le manque d’anticipation. Dans le détail, on peut citer encore : la confusion entre valeur et prix de cession ; l’absence ou la mauvaise rédaction de la garantie actif-passif ; l’absence d’évaluation préalable de l’entreprise ; l’absence d’audit d’acquisition, ou sa réalisation par trop expéditive ; et enfin, négliger les parties prenantes, surtout le management et les salariés en place dans l’entreprise cible.

L’expert-comptable peut-il être conseil des deux parties ?
Étant un professionnel par nature indépendant, il ne saurait que très exceptionnellement conseiller en même temps le cédant et le repreneur, tant leurs intérêts sont opposés. Lorsqu’il assiste l’acquéreur, l’expert-comptable peut aider au choix de l’entreprise cible, rédiger le protocole et la lettre d’intention. Il analysera la valorisation proposée, qu’elle soit juste ou qu’elle nécessite des décotes en raison de tel ou tel point révélé par la réalisation des « due diligences » comptable, financière, juridique, sociale et fiscale. Naturellement, il s’appesantira sur la faisabilité financière de l’opération et sur l’ingénierie juridique et fiscale de la reprise (constitution ou non d’une holding par exemple). Il pourra utilement superviser le « closing » de l’opération puis, naturellement, soutenir le repreneur nouvellement placé aux manettes. En tout état de cause, l’expert-comptable formalise ses conseils et a vocation à maîtriser le calendrier des opérations. Il devra faire la balance entre vitesse et précipitation, ne devant ni ralentir les échanges ni manquer de probité.

L’expert-comptable peut-il accompagner son client repreneur lorsque celui-ci se tourne vers un fonds d’investissement ?
L’expert-comptable, au centre des flux et surfant sur les innovations de la pratique, évolue dans ce contexte de multiples parties prenantes dans le cadre des reprises. Il a vu apparaître dans ce paysage des structures et des outils divers et complexes : Bpifrance, l’économie sociale et solidaire, les prêts d’honneur et le micro-crédit, etc. Autant dire que le capital-investissement (« private equity »), soit l’investissement en fonds propres dans des sociétés non cotées, ou encore le capital-développement et le capital-transmission, sont, si ce n’est son lot quotidien, des acteurs majeurs du financement des reprises. Aussi, il est parfaitement à même d’accompagner son client dans ces situations, auquel il recommandera plus que jamais la réalisation des « due diligences », les « check lists » de ces structures étant très denses.

Propos recueillis par Emmanuelle de Jesus