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Automobile : entre résilience et nécessaires transformations

Région BFC. Lors des traditionnelles rencontres de la filière automobile, le Pôle Véhicule du Futur a dressé un état des lieux du marché de la mobilité marqué à la fois par l’incertitude économique et une concurrence internationale exacerbée.

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 : Aux deux extrémités de la photo : Thierry Tournier et Ludovic Party, respectivement président et directeur filière et excellence au Pôle Véhicule du Futur. Au centre : les lauréats des Trophées de la Performance 2024. (Crédit : JDP.)

Mardi 16 septembre, près de Mulhouse à la Maison du territoire, siège social de Mulhouse Alsace Agglomération, le Pôle Véhicule du Futur (PVF), qui déploie son action aussi bien dans les régions Grand Est et Bourgogne Franche-Comté, a rappelé, au travers des mots de son président Thierry Tournier, combien la filière automobile française et plus particulièrement la sous-traitance traversaient une période de profondes mutations. « Depuis 2020, ce secteur industriel a absorbé des chocs majeurs : la pandémie, la crise des semi-conducteurs, la guerre en Ukraine, et la hausse des droits de douane. Les sous-traitants doivent désormais faire face à une conjoncture incertaine marquée par une demande volatile, une pression accrue sur les coûts et une concurrence internationale exacerbée », précise Thierry Tournier.

Électrification : virage brutal à négocier

Bien que la bascule vers l’électrique soit « moins rapide que prévue il y a deux ans », elle reste impérative pour la filière. Les entreprises de sous-traitance se trouvent en première ligne pour gérer la baisse des volumes de pièces pour véhicules thermiques et la montée en puissance des composants électriques et électroniques.

Cependant, ce mouvement n’est pas sans friction. « Le ralentissement des ventes de véhicules électriques en Europe, provoqué notamment par le retrait progressif des aides publiques et la concurrence des pays asiatiques, contraint les acteurs à revoir leurs stratégies d’investissement, à diversifier leur portefeuille clients et à décaler certains projets », affirme le président. Pour rester compétitifs, face à des acteurs mondiaux bénéficiant de coûts de production plus bas et d’une intégration verticale plus poussée, « les sous-traitants français doivent massivement investir dans la R&D et la digitalisation. La maîtrise des logiciels embarqués et des systèmes de gestion intelligente est devenue un enjeu clé pour les équipementiers ». Parallèlement, la hausse des coûts (énergie, matières premières, salaires) pèse fortement sur la rentabilité.

Production mondiale atone et Europe en recul

En 2024, la production automobile mondiale affiche une stabilité globale. « La zone Biélorussie, Russie, Ukraine et Serbie connaît un rebond porté par l’implantation croissante des constructeurs chinois en Russie. Ces derniers reprenant, souvent à moindre coût, des usines abandonnées par les Européens suite à leur retrait du marché russe », développe Ludovic Party, directeur filière et excellence opérationnelle au PLV. L’Asie, la Chine reste « un géant incontesté mais sous tension ». Confrontée à des risques de surcapacités et à une compétition interne acharnée (plus d’une cinquantaine de marques créées), elle ne limite plus sa stratégie aux seuls 100 % électriques et cherche activement à exporter, l’Europe représentant une cible intéressante en raison de moindres barrières à l’entrée comparées aux États-Unis, « où la politique tarifaire agressive de Washington pousse à la relocalisation ».

Inversement, l’Europe se trouve en stagnation et n’a pas retrouvé ses niveaux de production pré-Covid. Le marché y est largement soutenu par les acheteurs professionnels, qui représentent, selon les pays, entre 60 et 70 % des achats. Par ailleurs, la location longue durée et la location avec option d’achat représentent désormais plus de 50 % des achats de véhicules sur le Vieux Continent. En termes de production, l’Allemagne reste le premier producteur européen (4,5 millions de véhicules par an), suivie de l’Espagne, dont la courbe montre une accélération prévue entre 2027 et 2028, se démarquant progressivement de la France. Si les barrières douanières sont mises en place pour les véhicules électriques chinois, des contournements persistent (par exemple, importation de véhicules hybrides ou fabrication délocalisée en Thaïlande).

Un point de friction majeur concerne la réglementation future. « Des discussions ont lieu avec Bruxelles pour aborder une clause de révision permettant potentiellement d’assouplir la règle très stricte des 100 % de véhicules à batterie en 2035 », évoque Ludovic Party. Les constructeurs évoquent la réalité du marché et les obstacles majeurs (déploiement des bornes de recharge, disponibilité d’électricité décarbonée, prix, réticences des ménages) pour atteindre cet objectif strict. Ils plaident pour davantage de liberté technologique et la possibilité de maintenir une proportion de véhicules qui ne seraient pas à zéro émission en 2035. Actuellement au sein des immatriculations européennes, les différents types d’hybrides étant ceux qui progressent le plus significativement.

Sur le plan local, les régions Grand Est et Bourgogne Franche-Comté, deuxièmes et troisièmes régions productrices en France (grâce notamment aux sites de Mulhouse/Batilly et Sochaux), représentent ensemble 31 % de la production française. Cependant, le volume de véhicules fabriqués dans ces deux régions a été presque divisé par deux depuis 2019. Face à ces défis, les pouvoirs publics, conscients des enjeux, renforcent les dispositifs d’accompagnement, notamment via les aides à la décarbonation des sites de production et à la formation des salariés. « La reconversion des compétences vers l’électronique, la robotique et la maintenance des nouvelles technologies est un chantier prioritaire pour éviter les pénuries de main-d’œuvre qualifiée, argue Thierry Tournier. Le Pôle Véhicule du Futur, en lien avec les régions, joue un rôle essentiel dans l’accompagnement de la modernisation des usines et le développement de nouveaux produits... La pérennité de la filière passera par des partenariats stratégiques, la mutualisation des investissements et une intégration dans des écosystèmes industriels plus larges tels que la batterie, l’hydrogène et le recyclage ».