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Dark stores et dark kitchens : la fin des zones d’ombre !

Précision. Par une décision du 6 mai 2024, le Conseil d’État a confirmé le statut particulier des dark stores et des dark kitchens. Conséquence de la crise sanitaire, l’implantation de ces lieux de l’ombre, car n’ayant ni vitrine ni clients directs, a connu un essor remarquable. Cet essor a pu inquiéter les élus locaux et les commerces de proximité : crainte d’une dévitalisation accrue des centres villes pour les uns ; d’une concurrence déloyale pour les autres. Leur encadrement est donc le bienvenu.

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Photo de chef cuisinier tenant une poêle
(Crédit : Freepik)

Le 23 mars 2023, le Conseil d’État a rendu une décision attendue, n°468360, sur le statut des dark stores, clarifiant le flou juridique qui entourait leurs activités. Cette décision est concomitante d’un décret n°2023-195 du 22 mars 2023 et d’un arrêté du même jour. Désormais, il est clair que les dark stores ne sont pas des commerces de détail mais des « entrepôts ». Ce terme d’entrepôt, au sens des dispositions de l’article R. 151-28 du Code de l’urbanisme relatives à la définition des sous-destinations, recouvre les constructions destinées au stockage des biens ou à la logistique. Le Conseil d’État a ainsi jugé que les dark stores sont des entrepôts dès lors qu’ils sont destinés à la réception et au stockage de marchandises afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs.

Cette qualification des dark stores, dont la Commission d’enrichissement de la langue française, a pris soin de préciser, le 1er juillet 2023, qu’ils doivent désormais être appelés des « entrepôts relais », prend toute son importance en matière de changement de destination. En effet, en tant qu’entrepôts, ils ne peuvent plus s’implanter dans des locaux commerciaux existants, laissés vacants, sans une autorisation de changement de destination. Les autorités locales peuvent alors s’opposer à leur implantation au visa des règles locales d’urbanisme en vigueur.

À Paris, par exemple, le Conseil d’Etat a considéré que la Ville pouvait s’y opposer puisque les entrepôts sont interdits en rez-de-chaussée sur rue. Au sein du PLUi-HD Dijon Métropole, la notion de vente directe à une clientèle apparaît déterminante dans la définition de sous-destination « artisanat et commerce de détail », même dans le cas d’achats au détail commandés par voie télématique ou organisés pour l’accès en automobile (drive).

A contrario, la sous-destination « entrepôt » recouvre notamment les locaux logistiques dédiés à la vente en ligne. À la lumière de la jurisprudence du Conseil d’Etat, cette vente en ligne ne s’accompagne pas d’un retrait direct par le client. Dans les secteurs de mixité, si les entrepôts ne sont pas interdits en rez-de-chaussée sur rue, leurs activités sont réglementées pour limiter les conflits d’usages et assurer un cadre de vie agréable aux riverains. Dans les secteurs de centralité, une animation commerciale est recherchée. Une attention particulière doit ainsi être portée sur le développement, au regard du contexte urbain environnant, de rezde- chaussée actifs dans les opérations à dominante résidentielle.

Une demande de changement de destination en vue de créer un entrepôt relais dans un local commercial en rez-de-chaussée pourrait être refusée si le service instructeur considère que son implantation aurait pour effet d’entraver l’animation commerciale du quartier. S’agissant des dark kitchens, la réglementation, entrée en vigueur au 1er juillet 2023, crée une sous-destination spécifique : « cuisine dédiée à la vente en ligne ». Il est ainsi acté que ces cuisines de l’ombre ne relèvent pas de la sous-destination « Restauration » en ce qu’elles ne disposent d’aucun accueil de clientèle. Cet accueil de clientèle, ou l’absence d’intermédiaire entre le client et le restaurateur, devient, là encore, le critère de distinction déterminant entre ces dark kitchens et la restauration sur place ou même à emporter.

Disparition inévitable

Par une décision du 6 mai 2024, n°474445, le Conseil d’État a confirmé sa jurisprudence, alors que plusieurs sociétés avaient entrepris de demander l’annulation du décret du 22 mars 2023 au motif qu’il aurait méconnu le principe d’intelligibilité de la norme. La règle serait donc opaque ! Pour le Conseil d’Etat, il n’en est rien. Les dispositions du décret sont claires : « Les locaux de stockage où les retraits sont faits par d’autres que les clients, notamment des livreurs, relevant quant à eux nécessairement de la sous-destination entrepôts ».

Le Conseil d’État a alors logiquement jugé qu’une telle différence de situation, selon que les locaux sont fréquentés ou non exclusivement par des livreurs, permet bien une différence de traitement, sans que le principe d’égalité et celui de non-discrimination ne soient méconnus. La clarification du statut de ces locaux a été la bienvenue pour les autorités locales. Durant les périodes de confinement et après la fin de la crise sanitaire, celles-ci craignaient qu’une implantation largement facilitée, s’ils continuaient à disposer du statut de commerces de détail, opacifie un environnement urbain parfois déjà bien dégradé.

En effet, les dark stores créent une rupture dans le linéaire commercial, en ne produisant pas de flux ou d’animation commerciale. Ils ont pu participer de la montée du prix des baux commerciaux dans des endroits stratégiques, où les petits commerces de proximité n’ont alors plus les moyens de s’installer. Or, dès lors qu’il est possible d’interdire certaines formes de commerce dans une zone déterminée sans porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, la réglementation de ces dark stores, et de manière plus générale, l’usage réglementé des sous-destinations, permet de s’assurer que la reprise d’un local soit uniquement rendue possible pour un type d’activité dont on sait qu’elle sera à la fois viable et attractive pour la vitalité du centre-ville.

Il est très probable que la décision du 6 mai 2024 entérine le déclin de dark stores au coeur des villes. Toutefois, la fermeture de ces locaux pourrait conduire à renforcer un phénomène bien connu et tout aussi problématique pour les autorités locales : celui d’une vacance commerciale non ou mal anticipée, qui peut alors accentuer le problème d’une trop haute valeur locative du local pour une reprise rapide par un commerçant local. Il convient donc d’être vigilant pour éviter un baisser de rideau non désiré, qui interviendrait tout aussi rapidement qu’une implantation non désirée.