Du champ au tableau de bord : success story d’une filière locale
Région BFC. Dans le cadre de l’Explore Auto Tour 2025, qui vise à promouvoir les métiers et les innovations de la filière automobile, les entreprises Eurochanvre (70) et APM (21) ont donné à voir, le temps d’une visite, tout le potentiel d’une rencontre réussie entre l’agriculture et l’industrie. Où comment d’une nécessité agronomique, la paille de chanvre est devenue une matière première industrielle de haute technologie et un atout local de différenciation répondant aux enjeux de transition écologique des mobilités de demain.
En ce début de matinée du mercredi 19 novembre, malgré les quelques petits degrés au-dessus de zéro affichés par le thermomètre, les équipes de l’Explore Auto Tour 2025 attendaient, sourires aux lèvres, son public, composé notamment d’acteurs de l’emploi et de la formation, d’étudiants, d’apprentis et d’enseignants... Objectif : faire découvrir une filière automobile en pleine mutation, innovante et pourvoyeuse d’emplois.
Le rendez-vous était donné à la Société Nouvelle Eurochanvre(13 salariés, 2 M€), située à Arc-lès-Gray, en Haute-Saône. Cette filiale à 100 % de la coopérative agricole Interval (4.300 adhérents sur la Haute-Saône, le Doubs, le Jura et le Territoire de Belfort, la Côte-d’Or et la Saône-et-Loire, 450 salariés, 230 M€ de CA), est l’une des figures de proue de la production de chanvre en France. Une fibre végétale qui, au début des années 2000 s’est fait une place inattendue dans l’industrie automobile.
« Tout est parti en 1992 de la nouvelle politique agricole commune qui imposait aux agriculteurs de laisser 4 % de leurs surfaces en jachère. La mission première d’une coopérative étant de défendre le revenu de ses adhérents, l’idée de cultiver et transformer le chanvre est apparue très pertinente : la plante une fois semée ne nécessite aucun entretien avant sa récolte, ni produits phytosanitaires. Elle se développe, avec très peu d’eau, en seulement 110 à 130 jours et permet de briser les cycles de maladies et de mauvaises herbes dans les rotations culturales. De plus, elle agit comme un puits de carbone, stockant autant de carbone par hectare qu’une forêt », égraine Gilles Chanet, responsable d’usines chanvre et fourrages, pour Interval.
« Le chanvre offre des vertus environnementales remarquables. C’est une culture locale qui se développe sans OGM, sans irrigation et sans produits phytosanitaires. De plus, le chanvre possède une forte capacité d’absorption de carbone : un hectare de chanvre absorbe l’équivalent d’un hectare de forêt »
Gilles Chanet, responsable d’usines chanvre et fourrages, pour Interval.
En 1993, 276 hectares ont été cultivés pour évaluer l’adaptation de la plante à la région. Une fois la paille récoltée, il a fallu la transformer. L’investissement initial, réalisé en 1996, s’est élevé à 1,8 M€ pour construire un premier bâtiment industriel. « Les débuts ont été modestes, axés sur la chènevotte (la partie bois de la tige) initialement considérée comme un sous-produit sans marché, précise Gilles Chanet. Ce n’est qu’en 1997 que les premiers débouchés comme litière et paillage sont apparus ». Aujourd’hui, l’usine d’Eurochanvre transforme 10.000 tonnes de paille de chanvre par an, par un procédé purement mécanique, sans ajout de produits chimiques, préservant ainsi le caractère 100 % naturel de la culture. Les marchés se sont multipliés.
Un hectare de chanvre donne trois tonnes de chènevotte pour lesquelles un nouveau débouché a été trouvé dans la construction. Ses propriétés d’isolant et d’absorbeur de sons ont été exploitées pour créer, en 2015, un bloc de béton de chanvre baptisé « Biosys », commercialisée par l’entreprise doubienne Vieille Matériaux (15 M€ d’investissement, ont été mobilisés pour ce projet, dont la construction d’une usine pour 6 M€). Le même hectare de chanvre permet de produire une tonne de chènevis (graine de chanvre), destinée à l’agroalimentaire animale et humaine et à la cosmétique, ainsi que deux tonnes de fibre. C’est cette dernière, historiquement utilisée dans les marchés du textile et de la papeterie, qui est impliquée dans la production de bioplastique pour l’industrie automobile.
En 2001, la société AFT Plasturgie est créée dans le but de produire des granulés chargés en fibres naturelles, notamment pour remplacer la fibre de verre par des fibres végétales de chanvre dans les plastiques automobiles. Installée à Fontaine-les-Dijon, la société prend le nom d’APM en 2015, à la suite d’une joint-venture, à part égale, entre Intervalle et Forvia, qui s’accompagne d’un tout nouveau produit, le NAFILean, un granulé composé de thermoplastique (polypropylène) et de fibres de chanvre.
« Ce partenariat a soulevé d’importants défis à relever pour Eurochanvre, explique Gilles Chanet. Pour garantir un approvisionnement constant et de qualité, nous avons dû repenser notre technique de récolte, en nous appropriant le processus de rouissage (une dégradation naturelle de la paille par les micro-organismes. Ndlr).En optant pour une récolte précoce et en laissant la paille sur le champ pendant environ six semaines après la coupe (ce qui permet aux micro-organismes de “manger ” la pectine, rendant la séparation des fibres beaucoup plus facile lors de la transformation mécanique), nous avons pu assurer une conformité de 90 % pour nos lots destinés à l’automobile, contre seulement 5 % auparavant ».
« Le NAFILean a permis à l’industrie automobile d’atteindre des gains significatifs : comparé à une matière standard utilisant des fibres de verre, le chanvre offre une densité plus faible tout en maintenant des caractéristiques mécaniques équivalentes, voire supérieures, notamment en termes de résistance. Cette performance permet aux designers de moules de concevoir des pièces avec des épaisseurs réduites, offrant un gain de poids potentiel allant jusqu’à 25 % sur certaines pièces et jusqu’à un total de 5,2 kg pour l’ensemble du véhicule, précise Mélanie Gagneur, directrice du développement commercial chez APM, tout en ajoutant que, l’intégration verticale de la chaîne d’approvisionnement en chanvre, garantie par la participation d’Interval et sa filiale Eurochanvre, est un atout majeur pour APM, qui bénéficie ainsi d’un circuit intégré et sécurisé allant de la sélection de la graine jusqu’à la pièce automobile ».
« Tout est bon dans le chanvre ! Les graines servent à l’alimentation, la chènevotte est utilisée pour former du béton-chanvre, la fibre pour l’isolation et la plasturgie et même la poussière est récupérée pour
la méthanisation. C’est cette maîtrise complète de la chaîne de valeur, du champ à la pièce, qui positionne
APM comme un leader de la transition écologique dans l’industrie automobile. »
Mélanie Gagneur, directrice du développement commercial chez APM.
Aujourd’hui, le NAFILean est utilisé sur 23 programmes de véhicules français et étrangers différents, soit 10 millions de véhicules en circulation, dont notamment le tableau de bord de la toute nouvelle Renault R5 électrique, mais aussi les modèles de chez Land Rover, Jeep ou Nissan... « 50 % de notre chiffre d’affaires est ainsi lié à l’export ». Si le NAFILean a positionné APM comme un pionnier du biosourçage, les nouveaux axes de développement de la société s’orientent résolument vers une circularité de la matière première encore plus poussée.
Depuis 2024, APM commercialise le NAFILean-R, un produit qui combine la fibre de chanvre avec du polypropylène 100 % recyclé qui provient directement de la filière de récupération, notamment du démontage des pare-chocs endommagés et des poubelles jaunes. L’utilisation de ces matériaux post-consommation permet une réduction jusqu’à 90 % des émissions de CO2. « Notre plus grande force réside dans notre savoir-faire en formulation. Travailler avec du plastique recyclé est un défi constant, car la matière est variable par nature. Il faut garantir un produit final parfaitement stable qui réponde constamment aux spécifications extrêmement exigeantes de l’industrie automobile », argue Mélanie Gagneur.
Ces innovations ouvrent de nouvelles perspectives commerciales majeures pour APM, qui vient de capter un marché crucial avec Volkswagen, devenant ainsi son premier client allemand pour ce type de matériaux. Ce partenariat devrait entraîner une forte augmentation des volumes d’ici 2026.