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Face à un marché du design en souffrance, Ibride se réinvente

Doubs. Durement touchée par la Covid et les diverses crises qui ont suivi, l’entreprise de design et de mobilier franc-comtoise a dû, pour rebondir, trouver de nouveaux modèles de développement. Pour la rentrée, elle propose, à Besançon, une inédite opération de visibilité loin des grands salons parisiens.

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  • Photo de Carine Jannin
    Carine Jannin, partenaire, fondatrice et directrice générale d’Ibride entourée de quelques marqueurs du design d’Ibride : Galerie de portraits, Animaux de compagnie et la dernière collection Gardenia de tables de jardin. (Crédit : JDP et Ibride)
  • Photo d'un animal de compagnie
    Carine Jannin, partenaire, fondatrice et directrice générale d’Ibride entourée de quelques marqueurs du design d’Ibride : Galerie de portraits, Animaux de compagnie et la dernière collection Gardenia de tables de jardin. (Crédit : JDP et Ibride)
  • Photo de la galerie de portraits
    Carine Jannin, partenaire, fondatrice et directrice générale d’Ibride entourée de quelques marqueurs du design d’Ibride : Galerie de portraits, Animaux de compagnie et la dernière collection Gardenia de tables de jardin. (Crédit : JDP et Ibride)
  • Photo de la dernière collection Gardenia de tables de jardin
    Carine Jannin, partenaire, fondatrice et directrice générale d’Ibride entourée de quelques marqueurs du design d’Ibride : Galerie de portraits, Animaux de compagnie et la dernière collection Gardenia de tables de jardin. (Crédit : JDP et Ibride)

Dans l’ancienne menuiserie du village de Fontain, sur les hauteurs de Besançon, se cache un atelier de création où les animaux deviennent des meubles et les humains des animaux. Un lieu où le surréalisme et la fantasmagorie sont les invités d’honneur d’un concept né en 1996 des esprits espiègles et engagés d’un trio familial.

Depuis, les objets de design et de décoration de la société Ibride ont fait le tour du monde, de Shanghai à Miami, en passant par de luxueux hôtels parisiens. Tout un chacun connaît leur collection « Animaux de compagnie » où bibliothèque, tabouret, étagère, console… prennent les traits d’ours, autruches, et autres cervidés. Ou plus encore leur « Galerie de portraits », des plateaux de service qui deviennent des tableaux d’ancêtres animaliers à accrocher au mur. Chez Ibride, on fait du design qui fait sens, sans compromis et ça marche. Fort de leur audace, de leur authenticité et de leur singularité, le duo de graphiste et designer Rachel et Benoît Convers, avec Carine Jannin, sœur de Rachel comme pilote de l’entreprise, va très vite se faire une place de choix dans le monde très concurrentiel du design d’intérieur.

Un milieu également très concentré et uniformisé où la tendance de l’ultra scandinave s’est peu à peu imposée, trustée par le géant du meuble en kit. La fraîcheur et l’impertinence d’Ibride apportent le grain de folie, le pep’s qui fait défaut dans un design intérieur somnolant.

En 2017, le chiffre d’affaires d’Ibride d’environ 2 M€, dont 60 % à l’export, est en croissance permanente depuis le début de son histoire. L’entreprise possède un réseau de 500 points de vente dans le monde et un showroom de 200 m² dans le quartier artistique de Wynwood à Miami. Ibride est ainsi présente en Europe, en Asie, aux États-Unis, mais aussi en Amérique latine et au Canada. La société produit alors quelque 30 000 objets fabriqués en local par une équipe de 16 personnes.

Audace et singularité comme bouclier anti-crise

La success story semble gravée dans le plus beau marbre... jusqu’à l’arrivée de la Covid. « Nous avons beaucoup souffert, témoigne Carine Jannin, nos principaux clients faisaient partie des commerces dits “non essentiels” et étaient donc fermés. Chez les magasins d’objets, seuls ceux qui avaient une zone de chalandise assez large ou une casquette supplémentaire de décorateur ont pu s’en sortir. Sur l’export, à la Covid s’est ajouté le Brexit qui a compliqué énormément nos ventes en Grande-Bretagne, puis la guerre en Ukraine qui a mis fin à notre travail avec la Russie. Enfin, nous avons été surpris, en 2022, par la deuxième vague de la Covid en Chine, un de nos plus gros marchés. Nous avons perdu 10 % du chiffre d’affaires pendant huit mois. On commence seulement à reconstruire... ». Face à cette crise inédite et à un marché du design qui depuis est à la peine et en pleine mutation (nouvelles habitudes d’achat, aménagement intérieur qui se professionnalise avec l’arrivée d’architectes d’intérieurs biberonnés aux mêmes écoles de design...), Ibride s’est accrochée et s’est totalement réinventée.

« S’ils collaborent toujours avec Ibride, Rachel et Benoît ont quitté l’entreprise pour devenir freelance. L’équipe est passée de 16 à 12 personnes, dont un à deux alternants. Parallèlement, nous avons ouvert Ibride à cinq nouveaux designers indépendants dont le Belge Frederik Delbart, le Slovaque Juraj Straka et le Parisien Julien Gorrias (voir encadré). Nous leur avons imposé un cahier des charges basé sur nos savoir-faire et notre ligne éditoriale axée sur une relecture de la nature et de son rapport à l’homme. Nous avons resserré davantage encore nos risques au niveau local en dupliquant notamment notre outil de production via des co-investissements avec les associations d’aide et d’insertion par le travail : l’ESAT d’Ornans et le Gare BTT Mécanique à Roche-lez-Beaupré afin de pouvoir tout fabriquer en proximité... On aurait pu craindre que travailler avec ces contraintes allait nous enfermer. Au contraire, nous avons été surpris de constater que cela nous ouvrait le champ des possibles, nous amenait à approfondir davantage les concepts, à être plus subtil », raconte Carine Jannin.

Côté clientèle, Ibride se réoriente vers le premium et abandonne les pièces uniques destinées à des projets one shot sur-mesure pour se focaliser sur des collections, potentiellement personnalisables pour des événements clients : « nous sommes en mesure de créer, sur la base d’une de nos séries, entre 300 à 400 objets uniques. Ce genre de demande est plus facile à faire pour nous que de partir d’une feuille blanche et c’est un bon moyen pour créer du lien avec le client et de gagner en visibilité ». Sur le marché mondial, Ibride a identifié « 25 magasins où il faut être pour être vu et où l’on fait pleinement jouer notre atout de designer fabriquant. Outre l’histoire que l’on raconte à travers nos produits, notre engagement écologique, la traçabilité et notre dimension d’entreprise locale, l’un des principaux déclencheurs d’achat est la durabilité de nos produits : conçus par assemblage mécanique sans colle, ni aucune soudure, ils sont garantis dix ans et sont réparables à notre atelier ». L’entreprise a vu son chiffre d’affaires croître au Maroc, en Turquie et aux États-Unis « qui est notre plus gros client aujourd’hui ».

Pour la suite, Ibride ne manque pas d’idées et de dynamisme entre : une nouvelle collection de mobilier extérieur, « seul segment du marché qui progresse », lancée en 2023 et reprenant les codes du jardin de cactus baptisée Gardenia, la mise en chantier d’un showroom sur le site de Fontain : « quand on reçoit des clients à l’atelier, nous n’avons jamais rien à montrer. Avec ce projet, nous pourrons exposer nos collections, nos matières spécifiques, imaginer des projets... » et l’événement de la rentrée de septembre (voir encadré) : « une exposition sur une semaine de notre travail et de celui de nos designers en pleine nature sur les hauteurs de Besançon en lieu et place de notre habituelle participation aux salons parisiens. Là encore, c’est une façon d’inventer de nouvelles choses, d’aller de l’avant, de casser les codes, de ne pas rester immobile face à l’adversité », conclut Carine Jannin.