Globe Sauter : une aventure qui tourne rond
Industrie. Alsacien de naissance, Bisontin d’adoption, Alain Sauter, alors enseignant-chercheur en paysage à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, a créé en 2016 la manufacture Globe Sauter. Celui qui fabriquait ses premiers globes terrestres à l’ancienne dans son appartement est aujourd’hui à la tête d’une entreprise artisanale de cinq personnes produisant chaque année plus de 300 globes, notamment pour de grandes maisons de luxe.

Enfant, sensible à la nature et gourmand de plein air, Alain Sauter s’imagine jardinier… Finalement, c’est un autre sillon que les hasards de la vie ont tracé pour lui : il est devenu géographe et concepteur de globes terrestres faits main. Un métier si atypique qu’il ne compte que trois à quatre adeptes dans le monde. Alain Sauter réalise un jour, au hasard d’une préparation de l’un de ses cours à la Sorbonne, que les fabricants artisanaux de globes terrestres sont une espèce rare. Le savoir-faire, en France, a tout bonnement disparu.
Cette découverte le happe. Il se documente et remonte jusqu’au XVe siècle. Il apprend que, historiquement, les fabricants de globes utilisaient des cartes découpées en fuseaux. Un seul ouvrage fait état du processus de fabrication, il s’agit de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Il se lance le défi d’inventer une technique pour créer à la main une sphère en plâtre presque parfaite. Au bout d’un an, le pari est tenu. Au fond de sa cave, à Besançon, il parvient à reconstituer tout le processus de fabrication. Les premières commandes voient le jour et en 2019, Alain Sauter passe dans l’émission La Maison France 5. L’impact est immédiat et colossal : le site internet explose, la boîte mail déborde et six mois de commandes sont engrangés en l’espace d’une seule soirée.

Une opportunité, mais aussi un « vertige » face à l’ampleur de la tâche pour un artisan travaillant seul. Alain Sauter opère alors « un saut assez conséquent ». Il démissionne de l’université pour s’investir pleinement dans sa jeune entreprise. Il installe son activité rue du Cercle et embauche une graphiste, Cécile Blary, sa première salariée. Portée par un carnet de commandes bien rempli, l’entreprise traverse plutôt bien la crise sanitaire de 2020, mais les deux années qui suivent s’avèrent catastrophiques, malgré l’obtention des prix des Métiers d’art du Doubs et de Bourgogne Franche-Comté. « Je me suis retrouvé avec une trésorerie à zéro et un carnet de commandes vide, confie Alain Sauter. Je me suis pris de plein fouet la frilosité économique majeure qui a suivi la Covid : mes globes au coût reflétant le prix du temps passé, étant considérés comme des dépenses futiles en période d’incertitude ». Le dépôt de bilan n’est pas loin, mais contre toute attente, l’année 2023 marque un renouveau spectaculaire. Portée par une reprise de la confiance économique et la germination de projets semés précédemment, l’entreprise « repart sur les chapeaux de roues ». Le succès est tel que l’entreprise connaît une croissance « exponentielle », multipliant son chiffre d’affaires par six depuis 2022. Aujourd’hui, l’entreprise emploie cinq personnes, avec Sarah Crantz à l’administration et aux réseaux sociaux, Iléna Stunault, Thibault Féral, Cécile Blary à la fabrication, et Antoine Choffel comme ébéniste. Elle a la capacité de produire 300 globes par an, avec un prix moyen à l’unité de 1.600 €. Des partenariats avec de « grandes maisons de luxe » se sont développés. « Ces dernières commandent des petites séries de globes qu’elles distribuent comme cadeaux VIP ». Ces collaborations assurent une diffusion « dans le monde entier ». L’exportation, notamment vers la Suisse, le Québec, le Luxembourg, la Belgique, L’Italie et même les États-Unis, représente une part significative de l’activité.
Globes à message
Bien que les techniques fondamentales de traînage au plâtre, d’impression noir et blanc, de peinture à l’aquarelle, de vernis, ainsi que le travail d’ébénisterie n’aient pas changé, le processus s’est « perfectionné et optimisé », explique Alain Sauter. L’atelier explore de nouvelles pistes, comme le recyclage du papier en plâtre fibré ou l’utilisation de papiers népalais faits main qui rappellent les vieux parchemins. « Une machine que j’ai fait venir de New York nous permet désormais de réaliser des dessins techniques avec une précision nouvelle, offrant des portes sur la création d’autres produits, d’aller sur le contemporain en gardant l’âme du géographe Élisée Reclus et de Jules Verne, mes deux modèles ». Des globes célestes, des globes lunaires et même un globe de Mars ont ainsi vu le jour.

Alain Sauter s’investit dans des projets artistiques, comme la collaboration en janvier 2023 avec le street artiste de Roubaix Julien Gaquère, alias Jigé, qui donne vie à un globe entièrement revisité. Un objet-monde transformé en oeuvre d’art, remplie de créatures bigarrées. L’artisan n’a pas oublié ses racines universitaires. Il participe ainsi au projet national Spherographia, avec des chercheurs de Bordeaux, géographes et ethnographes, explorant la « question de l’utilisation exponentielle des globes virtuels et du blanc des cartes, là où la donnée n’existe pas mais où ces globes digitaux ne sont pourtant pas “vides”, posant ainsi la question du lobbying ». Deux globes ont déjà vu le jour : l’un sur l’autochtonie, présenté en Guyane, et l’autre sur la biodiversité, exposé à Val d’Or au Québec, deux régions où la question autochtone et minière est prégnante. Un projet « au long cours, espéré pour 2026 », concerne une série de globes sur les terres rares. En collaboration avec des chimistes de l’Université Marie et Louis Pasteur, l’objectif est de cartographier l’exploitation de ces ressources et de sceller un échantillon de terre rare à l’intérieur de chaque globe, interrogeant ainsi notre rapport à la consommation et l’avenir de la planète.
Enfin, depuis peu, un magasin Globe Sauter a ouvert à Besançon, faisant office de showroom et d’espace d’accueil pour les clients.