Groupe Ducerf : une croissance qui fait feu de tout bois
Saône-et-Loire. Grâce à plusieurs dizaines de millions d’euros investis depuis quelques années, le groupe familial Ducerf, spécialiste du sciage et de la transformation de bois (chêne principalement) pour les industriels et les négociants, s’appuie sur un parc de machines renouvelé et des produits innovants pour asseoir sa croissance, dans un secteur devenu clef pour la transition écologique.
![Photo de Édouard Ducerf](local/cache-gd2/8d/234a55ceacb1af7fa4d40f0398ceb1.jpg?1738739012)
Une cinquantaine de millions d’euros : voici le montant total des investissements auquel aura consenti le groupe Ducerf, spécialiste du sciage, du séchage et de la transformation du bois ces dernières années. Ses clients : des industriels du meuble, de la menuiserie (portes, fenêtres, escaliers, parquets...), des cuisinistes, des agenceurs ; des charpentiers industriels (du fabricants de tonneaux à l’aménageur paysager qui propose des terrasses, du bardage...) ou des négociants qui s’adressent plutôt aux artisans. Le groupe Ducerf propose en effet deux types de produits, de première ou de deuxième transformation, ces derniers allant du carrelet lamellé collé à un produit innovant récemment lancé baptisé Bâtichêne : un panneau structurel bois massif de grandes dimensions, composé de lamelles de chêne massif aboutées pour la création de murs et de planchers, fruit de dix années de recherche.
Innover dans le parc machines
Présent sur des chantiers emblématiques publics (les chaises de ND de Paris, le parquet de la salle Mollien du Musée du Louvre), comme privé (le parquet du restaurant étoilé du chef Frédéric Doucet à Charolles), le groupe Ducerf asseoit sa notoriété et sa croissance sur plusieurs leviers, dont le premier est incontestablement ces choix d’investissements conséquents afin de diversifier les produits, ainsi que l’explique son dirigeant Édouard Ducerf, représentant la 5e génération à la tête de l’entreprise. « L’année dernière par exemple, nous avons investi 5,2 M€, l’année précédente 3 M€... Ce sont des investissements significatifs en deuxième transformation, qui comprend par exemple une presse haute fréquence (1,7 M€) qui permet de coller et fabriquer les panneaux pour l’agencement, les carrelets pour la fabrication de portes et de fenêtres. Ces investissements permettent des gains de productivité importants. Avant nous étions en 3/8 sur ces postes, maintenant on est en moins de 2/8. En 2/8, on est sur 30 % de production en plus, tout en répondant aux attentes des collaborateurs quant aux modes de travail qui ont évolué ».
La fidélisation des collaborateurs, dont les métiers deviennent de plus en plus spécialisés et l’expérience très recherchée est en effet un autre axe de croissance. « Recruter des gens qui ont la formation de base et peuvent se prévaloir de 5,10, 15 ans d’expérience, vous oubliez, ça n’existe plus !, confie Édouard Ducerf. Nos recrues, ce sont des gens qu’on forme sur le tas. Nous dédions du temps de formation important en interne mais aussi dans nos investissements puisqu’on regarde comment les nouvelles technologies peuvent venir aider les gens pour les rendre le plus rapidement opérationnels et pallier la déficience de connaissance ou d’expérience : des scanners ou des technologies comme l’IA peuvent venir aider les opérateurs. » Intégrer les collaborateurs aux réflexions stratégiques, permettre des évolutions au sein du groupe a aussi permis de réduire le turn-over. Mais Édouard Ducerf reste philosophe : « si on arrive à garder quelqu’un six ans plutôt que trois ou dix ans plutôt que cinq, on divise d’autant le besoin de recrutement... »
Enfin, le groupe a une réflexion sur l’énergie, avec la construction d’une centrale à cogénération : « On utilise notre biomasse (les rebuts de scierie, Ndlr) qu’on brûle pour produire l’énergie thermique pour alimenter nos besoins en chaleur pour sécher le bois, explique Édouard Ducerf. Et deuxièmement, on produit notre électricité, ce qui nous permet d’être indépendant énergétiquement et même d’être producteur, parce qu’ on revend le surplus sur le réseau. Le côté vertueux est d’une part de ne plus être tributaire des des fluctuations des prix de l’énergie et deuxièmement de produire de l’énergie verte, qui participe à la décarbonation de nos activités. »
Le bois, nouvel eldorado ?
![Photo de Chêne](local/cache-gd2/9f/175f553707905b2797e62f6e880b59.jpg?1738739013)
Ce caractère plus écologique de la production, Édouard Ducerf ne doute pas qu’il sera de plus en plus valorisé à l’avenir, « une clef de différenciation quand on exigera de nous ou de nos clients des comptabilités carbone et ce genre de choses ». Devenu depuis fin novembre dernier le président de Fibois BFC, l’organisme interprofessionnel de la filière forêt-bois, à la fois client des forestiers et exploitant, Édouard Ducerf estime avoir une position surplombante opportune pour évaluer un secteur devenu de plus en plus stratégique dans un contexte global de demande de verdissement de l’économie en Europe. « Nous sommes avec le groupe Ducerf entre l’amont et l’aval : aussi bien connecté avec l’amont forestier qu’avec le côté des débouchés finaux, dont le produit Bâtichêne est un exemple dans la construction ». Alors, Eldorado du changement climatique le bois ? Édouard Ducerf nuance : « Je suis assez serein pour demain quant au rôle qu’il va jouer dans la décarbonation des activités mais aussi dans son rôle de séquestration du carbone dans l’atmosphère. Mais, il faut rester quand même prudent sur ce qu’on peut attendre du bois ; il ne fera pas tout. Il ne pourra pas remplacer tous les matériaux, et ne pourra pas remplir tous les usages qu’on lui demande. Il ne faut pas faire porter au secteur trop de responsabilité. Je vais aller plus loin que régionalement mais globalement, au niveau mondial, je suis pas sûr que, demain, la forêt va pouvoir produire beaucoup plus avec toutes les évolutions climatiques. »
Faire le plein d’essences
Cette incertitude, le groupe Ducerf doit l’intégrer dans son plan stratégique de développement. L’exploitation d’autres bois que le chêne, qui actuellement représente 98% du bois scié et transformé par le groupe charollais, est-elle en lice ? « En tout cas le groupe Ducerf veille à avoir un outil un peu plus souple pour pouvoir dans notre développement, s’adapter à d’autres essences On regarde de plus en plus comment être un tout petit peu plus polyvalent sur l’outil et en fait diversifier un peu mieux les essences travaillées ». Et que pense le président de l’interprofession de l’avenir de la forêt comme ressource de matière première ? « Pour l’instant on a de la chance, relativise Édouard Ducerf, on a du chêne. Mais nous sommes obligés de nous poser la question, au sein de la filière, de ce qu’il faut planter maintenant pour avoir du bois à disposition dans 50, 100 ans. Je crois qu’il faut être prudent et je n’ai pas beaucoup de certitude là-dessus. Par contre, ce que je sais, c’est qu’à mon avis, face à cette incertitude, il ne faut pas mettre tous ces oeufs dans le même panier. Je ne pense pas qu’il faut changer brutalement d’un mode de silviculture à un autre, d’une essence à une autre car on n’a pas de recul et on est sur un temps très long de croissance. Les arbres que l’on exploite ici ont en moyenne 120 à 150 ans. Je pense donc que la meilleure réponse est dans la diversité des essences à planter. »