« L’entreprise, c’est l’intérêt supérieur de la Nation »
Interview. Entrepreneur dans le secteur des services à la personne et créateur de plusieurs entreprises dans la tech, Amir Reza-Tofighi a été élu président de la CPME en janvier 2025. Entretien avec le plus jeune président de l’organisation patronale.
RésoHebdoÉco. Comment décririez vous la situation économique actuelle des TPE et PME françaises ? Sentez-vous un climat favorable à la bonne marche de l’économie ?

Amir Reza-Tofighi. Disons que le spectacle politique actuel n’est pas très beau à voir pour un entrepreneur. Très concrètement, nous n’avons pas le choix : tous les jours nous devons continuer à gérer notre activité, à payer nos salariés, à servir les clients… La réalité, c’est que nous devons faire avec cette instabilité chronique. Se dire que ça va recommencer, c’est un peu exaspérant. J’insiste sur le fait que le débat public est sain, bien évidemment, mais il faut une vision partagée. Cette vision partagée doit transcender tous les partis. Et je pense qu’elle existe car il faut bien dire qu’on a, en France, la chance d’avoir sur tous les territoires des entreprises qui sont prêtes à répondre à tous les défis du pays et qu’on doit les protéger. Ça ne devrait même pas être un sujet de débat, tout le monde devrait défendre l’entreprise. L’entreprise, c’est l’intérêt supérieur de la Nation.
Le nombre de défaillances d’entreprises ne cesse de progresser. Les PME sont particulièrement touchées, que propose la CPME ?
Aujourd’hui, on est sur un plateau haut de défaillances, on a retrouvé les niveaux hauts d’avant covid. La particularité des défaillances d’entreprises aujourd’hui c’est que c’est un sujet sectoriel, avec un secteur du bâtiment qui est très touché, tout comme celui de la restauration, du fait de changements de mode de consommation, par exemple.
Au niveau national, nous sommes touchés de plein fouet par l’incertitude politique et économique. Il n’y a pas de réponse simple et globale. Le pire c’est que dans les dix années qui viennent, on a un nombre très important d’entreprises qui devront être reprises car aujourd’hui un quart des dirigeants de PME et d’ETI ont plus de 60 ans et 11% ont plus de 66 ans. Mais est-ce qu’on donne envie aujourd’hui aux Français de se dire « je vais être entrepreneur, je vais
reprendre une entreprise, je vais prendre un risque et je vais y mettre mes économies » ? Franchement, ça ne donne pas envie et c’est encore plus dramatique parce que de nombreuses entreprises en bonne santé peuvent fermer faute de trouver un repreneur. Et ça, c’est un mur qui va arriver devant nous.
Le fait que le modèle social repose entièrement sur l’entreprise et sur le travail est lui aussi un problème majeur de notre système…
La conséquence d’avoir mis le financement d’une grande partie du modèle social sur les travailleurs c’est que la promesse républicaine de la méritocratie, de l’élévation dans la société par le travail n’existe plus aujourd’hui. Il y a une vingtaine d’années, il fallait 20 ans pour doubler son salaire, hors inflation. Aujourd’hui, il faut plus de 40 ans, il faut plus qu’une carrière complète pour doubler le salaire. Très concrètement, ce qui est insoutenable pour un chef d’entreprise c’est d’avoir le sentiment que nos salariés ne gagnent plus assez, qu’ils ont du mal à se loger, qu’ils perdent en pouvoir d’achat et qu’ils nous en veulent même, parfois. Et que nous, chefs d’entreprise, nous payons toujours plus, ça nous coûte toujours plus cher et nous n’avons plus les moyens de payer davantage. C’est insoutenable et derrière on entend encore des débats sur l’augmentation du coût du travail, c’est incompréhensible. Je ne comprends même pas qu’il n’y ait pas une sorte d’unanimité dans le débat public pour dire que les travailleurs ne gagnent plus assez.
Aujourd’hui nous avons 20% de charges salariales. Soyons un peu révolutionnaires : faisons sauter ces 20% de charges salariales, ça fait 20% d’augmentation de salaire immédiate pour tous les salariés, et qu’on l’applique en priorité pour les plus bas salaires. Aucun politique n’aurait fait autant pour le pouvoir d’achat. Évidemment, il faudrait trouver des recettes pour compenser, mais c’est un débat intéressant à conduire. Car personne n’a envie de payer plus d’impôts pour un État qui n’est pas bien géré, pour un puits sans fond. Et je fais le pari que si on dit que le projet, c’est de trouver des recettes pour transférer 150 Mds€ aux travailleurs en baissant de 20% les charges salariales, vous verrez qu’il y aura un vrai consensus. On peut accepter d’augmenter certains impôts - que ce soit sur les plus riches ou la flat tax par exemple – si on sait que l’argent aux travailleurs, pour les gens qui font avancer les entreprises et qui construisent l’économie de demain.
Les droits de douane de Donald Trump sont un frein au développement international, notamment ici dans la viticulture. Quelle est votre position sur le sujet ?
Depuis le début de l’année nous avons un président américain qui n’est pas dans une logique rationnelle, même sur certains constats, il n’a pas forcément tort et obtient des résultats. Les réponses apportées sont très risquées pour l’économie mondiale. La réalité, aujourd’hui, c’est qu’il y a un sujet de diversification de l’export pour les entreprises. Il faut moins dépendre d’un marché américain au profit d’autres marchés. Il y a des marchés asiatiques par exemple, des pays de l’Asean (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) qui sont des zones économiques de demain et qui justement veulent garder une sorte d’indépendance vis-vis des États-Unis et de la Chine. Il faut donc que les entreprises françaises parviennent à réinvestir sur l’export et pas uniquement sur les marchés sur lesquels on avait déjà nos habitudes.
Le problème n’est pas que sur les taxes douanières américaines, il concerne aussi le taux de change euro-dollar qui a pris 10% donc l’impact sur un produit vendu aux États-Unis est de 20%. Il faut comprendre qu’on est entré dans ce monde-là maintenant, il faut se dire que c’est un invariant et même si cela peut changer, il ne faut pas espérer que ça change demain. Ma conclusion de cette séquence avec Donald Trump, c’est que l’Europe n’a pas de levier politique. Elle n’est pas capable de négocier dans un rapport de force, elle n’est pas capable de faire ce que les Chinois ont fait. Si l’Europe ne redevient pas une institution qui protège son économie et qui est capable de rendre plus fort le collectif, elle perdra toute sa raison d’être.
C’est quoi la méthode Amir Reza-Tofighi pour faire bouger les lignes ?
C’est une méthode simple, l’économie réelle au service du partage de la valeur. Je pense qu’il faut que les chefs d’entreprise prennent la parole. Nous avons été trop absents du débat public, et l’opinion publique n’est plus habituée à entendre la parole simple de l’entrepreneur, celle du pragmatisme et du bon sens. Ce qu’on vit dans des entreprises aujourd’hui, c’est la réalité de la France, c’est le tissu économique local, c’est un des derniers lieux de cohésion sociale et c’est dans l’entreprise qu’on crée la valeur, collectivement. Je pense qu’on a vraiment besoin de l’entendre aujourd’hui, parce que l’entreprise est vraiment un des derniers lieux où on peut tous s’entendre sur le fait que c’est ici qu’on construit les solutions aux défis de demain.
Propos recueillis par Benjamin Busson, Les Petites Affiches Matot Braine pour RésoHebdoÉco, association regroupant 27 titres de presse hebdomadaire économique régionaux en France. reso-hebdo-eco.com