La filière avicole veut se remplumer
Élevage. Près d’un poulet consommé sur deux en France est issu des importations qui, si elles ont légèrement fléchi ces derniers mois, profitent à des pays tels que l’Ukraine, le Brésil ou la Thaïlande aux règles sanitaires et environnementales moins contraignantes. Afin d’enrayer cette « distorsion de concurrence » et de répondre à la demande croissante, l’interprofession entend défendre bec et ongles le modèle français et passer à l’offensive. Comme à Courson-les-Carrières où Gildas André a récemment diversifié son exploitation agricole en investissant 430.000 € dans l’implantation d’un poulailler.
« Il est question d’une certaine idée de la souveraineté alimentaire de la France… » Sur les hauteurs de la Forterre battues par la brise matinale, ce 9 octobre, Jean-Michel Schaeffer synthétise en quelques mots les enjeux stratégiques qui agitent l’élevage tricolore, et plus particulièrement secoue la filière avicole. Le président fraîchement réélu de l’Anvol - l’interprofession volaille de chair, créée à la suite des États généraux de l’alimentation de 2017, et qui regroupe une vingtaine d’organisations représentatives, de l’accouvage jusqu’à la distribution - ne verse pas pourtant autant dans un lyrisme protectionniste. Il lui suffit de reprendre, un à un, les chiffres-clés de la filière. En à peine plus de 20 ans, la proportion de poulets consommés issue des importations est passée de 25 % à 50 %.
En 1990, elle ne représentait même que 10 %. Dans le même temps, la consommation nationale de volailles a explosé, plaçant la France au premier rang de l’Union européenne dans le domaine. « En 2024, les sept premiers mois montrent une accélération de la demande globale de volailles dans le pays, à + 11,4 % par rapport aux sept premiers mois de 2023. Par rapport à la même période en 2019, dernière année de référence en termes de consommation, la progression des volailles est même de + 14,5 % et va jusqu’à enregistrer +24,3 % pour les seuls poulets », détaille l’Anvol.
Problème : un quart des poulets consommés en Europe viennent d’au-delà de ses frontières, de pays qui légitimement posent question comme l’Ukraine, le Brésil ou la Thaïlande. Sous forme, principalement, de filets. « Essentiellement utilisés par la restauration hors domicile (RHD) et les entreprises de seconde transformation pour la réalisation de produits élaborés. »
Ce qui se joue dans l’Yonne donc, et plus largement en Bourgogne et ailleurs, tient autant de l’arithmétique que de la politique internationale et du libre-échange. Si la production nationale poursuit son embellie avec une hausse de 17,1 % lors du premier semestre, elle n’arrivera cependant jamais à suivre la cadence, en l’état actuel des forces, et à absorber la demande croissante des consommateurs français toujours plus avides de viande blanche. Ne reste-t-il donc qu’à se résoudre à voir débarquer toujours plus de poulets ayant parcouru des milliers de kilomètres dans les assiettes françaises ?
« Nous sommes, à l’instar d’autres filières, évidemment contre tous nouveaux traités comme le Mercosur ! Il faut que l’Union européenne change son logiciel. Nous ne pouvons pas continuer d’importer ce qui est interdit de produire chez nous. » Malgré cela, Bruxelles s’apprête à renégocier 180.000 tonnes supplémentaires de poulets en provenance d’Amérique du Sud. Au grand dam des éleveurs. Parmi les grandes lignes de son plan de riposte, l’interprofession entend s’appuyer sur le nouveau gouvernement pour la soutenir dans la construction de 400 nouveaux poulaillers lors des cinq prochaines années.
Mais si la somme des obstacles à lever pour ce faire semble incommensurable : directives européennes toujours plus contraignantes, dispositifs régionaux de soutien à l’installation versatiles, acceptation sociale parfois délicate… Au « bruit et à l’odeur », s’ajoute parfois une pollution visuelle qui peut heurter les néoruraux dans certains territoires à caractère rural et mettre du plomb dans l’aile à toute velléité d’implantation de nouveaux poulaillers.
Odeur de sainteté
À Courson-les-Carrières, Gildas André, lui, s’est prémuni de toutes sources de discorde. Le Forterrat de 24 ans a choisi de dimensionner son poulailler en dessous de la surface réglementaire qui nécessite une enquête publique et de l’implanter à l’abri des regards. « Le sens des vents a été pris en compte pour son installation afin de ne causer aucune nuisance olfactive à mes voisins les plus proches. » Ce fils et petit-fils d’agriculteur a choisi de diversifier son exploitation en polyculture (blé, orge, colza et tournesol) de 265 ha, il y a deux ans, et s’est orienté vers l’aviculture.
Avec le soutien de l’abattoir Duc situé à Chailley, il a investi 440.000 € dans la construction d’un bâtiment de 1.440 m² où il élève, par lot successif, 28.000 poussins pendant 35 à 42 jours. Outre un complément de revenu non négligeable - l’équivalent d’un Smic mensuel -, son élevage génère des matières organiques utilisées comme fertilisants dans ses champs.
« Contrairement aux Pays-Bas où les éleveurs sont obligés de réduire leur cheptel, nous avons la chance de bénéficier d’espaces sur lesquels il est possible d’investir. Encore faut-il que les pouvoirs publics nous aident et, en premier, les conseils régionaux qui détiennent cette compétence en matière d’agriculture et d’élevage », plaide Jean-Michel Schaeffer qui regrette le désengagement du conseil régional de Bourgogne Franche-Comté en la matière. Gildas André réfléchit à implanter, à l’avenir, un second bâtiment de même dimension, encouragé par Duc toujours en quête de nouveaux gisements pour répondre à la demande. En France, il existe quelque 14.000 élevages de volailles, dont 5.400 en Label rouge et 1.100 au titre de l’agriculture biologique.