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La filière bois questionne son avenir face au changement climatique

Région BFC. Fibois BFC a tenu son dernier congrès sur la filière forêt-bois à Arc-et-Senans les 21 et 22 novembre.

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Photo d'un Engin forestier en action dans une exploitation de bois
Crédit : freepix

Cela fait maintenant plus de 20 ans que l’interprofession organise un congrès bisannuel et s’empare de sujets d’actualité pour mener des réflexions sur la filière forêt-bois. Cette année, le congrès de Fibois BFC qui s’est déroulé sur le site de la Saline d’Arc-et-Senans avait pour titre : « Un présent du passé pour le futur ? » et questionnait notamment l’avenir de la filière à un moment où l’accélération du dérèglement climatique s’accompagne pour la forêt de toujours plus d’incidents climatiques extrêmes et de crise sanitaire. « Aujourd’hui des évènements climatiques de plus en plus forts et de plus en plus fréquents font réagir les essences forestières. Leur physiologie n’étant plus adaptée à ces données climatiques nouvelles, les arbres sont parfois littéralement dépassés. Certains sont capables de s’adapter, d’autres non, le tri est en train de se faire. On estime actuellement que 670.000 hectares de la forêt française sont dépérissants, explique Erwin Ulrich, pilote de la mission « adaptation des forêts au changement climatique » à l’ONF. Selon les dernières prévisions du Giec, nous devrions atteindre les 3 à 4 degrés supplémentaires en France en 2100. Cette élévation de température s’accompagnera d’une augmentation des périodes de sécheresse, de fortes tempêtes et d’une baisse de 25 % de l’enneigement. À cette tendance de fond, s’ajoutera des aléas météorologiques extrêmes. La filière forêt-bois doit se préparer à un impact significatif sur les produits et à transformer des bois fortement différents d’aujourd’hui, en Bourgogne Franche-Comté où l’on connaît déjà un vrai problème avec les résineux, avec notamment dans le massif jurassien dix années de récoltes moyennes enregistrées depuis 2018 et 75 % de bois secs ».

De nouvelles essences mais à quel prix ?

Face à la dégradation des peuplements forestiers, l’ONF travaille déjà pour les renouveler et les rendre plus résilientes au climat de demain. « Le temps de la forêt n’est pas celui de la scierie, alerte toutefois Fabrice Chauvin, directeur général de la scierie Chauvin dans le Jura. La question est de savoir quelles essences on met pour remplacer les sapins et les épicéas : du Mélèze, du Douglas, du Red Cedar, du Cèdre de l’Atlas ? Ce choix conduit à des interrogations en termes de transformation. Pourra-t-on utiliser ces nouvelles essences en lamellé-collé, avec quelle colle et à quel prix ? Aujourd’hui la France est le cinquième producteur de résineux dans le monde, sera-t-il encore possible de vendre nos produits si les pays concurrents conservent les économiques épicéa et sapins ? ». « Les changements ne vont pas se faire du jour au lendemain, rassure Erwin Ulrich. Rappelons que depuis 1985, la forêt s’étend en moyenne de 85.000 hectares par an et 67 % de cette croissance est le fruit d’une régénération naturelle. Nous avons ainsi un stock important, disponible pour les 30 à 40 ans à venir. Les premières éclaircies dues au dépérissement devraient apparaitre dans 50 ans. Mais nous devons anticiper, c’est pourquoi nous travaillons à l’ONF sur plusieurs pistes en même temps. Nous plantons d’ores et déjà des forêts plus mélangées avec deux à trois essences principales et des essences secondaires, nous pratiquons la remontée assistée sur une centaine de kilomètres d’espèces françaises autochtone plus résistantes. L’implantation de populations étrangères ne se fera que dans des cas minimums où aucune essence française résistante ne peut être trouvée. De plus, il ne faut pas oublier la capacité d’adaptation génétique des essences forestières. Les espèces aujourd’hui fragilisées sont en train de récupérer des informations climatiques et se refabriquent à partir de cela un patrimoine génétique plus fort, plus adapté, plus résilient... Tout est mis en oeuvre afin de préparer l’avenir de la forêt. Notre approche diversifiée permettra peut-être que 20 % à 50 % de ce qui est expérimenté aujourd’hui réussisse. Car il faut le dire, tout ne réussira pas. Mais ne rien faire serait pire ».

Sur la concurrence des pays européens, si le spécialiste confirme que la Suède, notamment, qui ne possède que cinq essences différentes ne pourra pas en changer en raison de paramètre d’ensoleillement conditionnant l’accroissement trop spécifique, il ajoute que le pays nordique accusera par ailleurs une montée des températures en 2100 de 6 degrés et une prépondérance des feux de forêt et des sécheresses bien supérieure à celle de notre pays. Dans le domaine de la construction aussi des adaptations sont à prévoir : « Aujourd’hui, les architectes ne peuvent plus concevoir comme avant sans tenir compte des risques de tempêtes, d’inondations, de sécheresse... Il faut prendre en compte dans le choix de nos matériaux leur capacité de résistance à ces nouvelles variations, même la qualité des sols devient difficile », argue Marine Fabre-Aubrespy, co-gérante et associée de l’agence AMD architectes-ingénieurs à Torcy (71).

Utiliser les bois scolytés

Avec Pierre Vivancos, spécialiste des isolants biosourcés et directeur général chez Demain Habitat, à Conliège (39), l’architecte défend le marché de la rénovation où le bois, « matériau qui a le meilleur bilan carbone » a toute sa place. « 50 % de ce que l’on scie aujourd’hui est destiné à la rénovation des bâtiments, via la pose d’ossature bois en extérieur sur le minéral existant », abonde Fabrice Chauvin. « Reste qu’il faudra revoir les critères d’exigences, les normes et ne pas avoir peur d’utiliser des bois scolytés, abîmés ou avec plus de noeuds, d’autant que des analyses ont prouvé que ces bois jugés impropres avaient les mêmes propriétés techniques que des bois sains », lance Pierre Vivancos. « Quand il y a pénurie de ressources, il faut apprendre à ne pas gaspiller », conclut Marine Fabre-Aubrespy évoquant comme solution complémentaire celle du réemploi.