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Le Mercosur, bête noire des agriculteurs

Côte d’Or. L’accord Union européenne – Mercosur est une menace pour le modèle agricole français, en plus d’être dévastateur sur les plans écologique et de la santé publique. En France comme en Côte-d’Or, les syndicats sont vent debout.

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Photo des troupeaux de bovins
Le modèle agricole français, avec ses troupeaux de bovins en élevages familiaux menacé par l’accord Mercosur-Union européenne selon les syndicats agricoles. (Crédit : Freepik)

Le Mercosur ( « mercado comùn del sur », ou marché commun du Sud) créé en 1991 est un accord de libre-échange entre Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay, la Bolivie depuis 2023 et des pays associés (Bolivie, le Chili, la Colombie, l’Équateur, la Guyane, le Pérou et le Suriname). En 1999, l’Union européenne et le Mercosur se mettent d’accord sur un texte, prévoyant la suppression de plus de 90% des droits de douane sur des produits industriels (automobile, chimie, produits pharmaceutiques entre autres), jamais signé à ce jour. Mais plusieurs pays européens, dont l’Allemagne et l’Espagne, font pression pour que l’accord aboutisse enfin, ouvrant ainsi à l’Union un vaste marché de plus de 700 millions de consommateurs. La France, par la voix de son premier Ministre Michel Barnier, s’oppose fermement à l’accord tel qu’il est actuellement défini, estimant qu’il va porter un coup fatal à l’agriculture française, déjà en souffrance.

Localement, les syndicats majoritaires que sont la FDSEA (voir encadré) et les JA se mobilisent à compter du dimanche 17 novembre par le bâchage des panneaux de communes et seront surtout présents à partir de 18h30 à Dijon, le long de la rocade derrière la piscine olympique par une action baptisée « Feux de la colère » : un brasier pour symboliser le refus du monde agricole de l’accord Mercosur-Union européen. L’accord prévoit en effet l’entrée sur le marché européen de 99.000 tonnes de viande bovine, 180.000 tonnes de volailles sans taxe sur une période de six ans, un quota de 25.000 tonnes de viande porcine importée, avec une taxe réduite, 180.000 tonnes de sucre destiné au raffinage…

Quelles conséquences pour l’agriculture française ?

Le 12 novembre dernier, dans une tribune parue dans Le Monde à l’initiative du sénateur écologiste Yannick Jadot, 622 élus français d’horizons politiques divers s’adressaient à la présidente de la commission européenne, Ursula Von der Leyen, estimant que « l’accord actuel ne respecte pas les critères démocratiques, économiques, environnementaux et sociaux fixés par l’Assemblée nationale et le Sénat ».

Quelques jours auparavant, dans une tribune collective à l’initiative d’André Chassaigne (GDR) publiée sur le site du Figaro, plus de 200 députés de tous bords politiques appelaient le gouvernement à mettre son veto sur l’accord commercial entre l’UE et les pays d’Amérique du Sud : « Alors que la France a perdu 100.000 exploitations agricoles en dix ans, qu’elle risque d’en perdre le même nombre dans la décennie qui s’ouvre, alors que 75% de la déforestation au Brésil est liée à l’élevage bovin, cet accord reviendrait à sacrifier nos valeurs profondes à des intérêts commerciaux et géopolitiques court-termistes, à une course à l’influence et aux nouveaux marchés. Nous refusons d’ouvrir les marchés européens à du poulet dopé aux antibiotiques, à du bœuf élevé sur fond de déforestation, au maïs traité à l’atrazine… »

Arnaud Rousseau, président de la FNSEA alertait lui aussi sur la réalité de ces produits : « On parle de bœuf aux hormones, de poulets aux accélérateurs de croissance. L’Europe ne doit pas être une passoire et elle ne peut pas importer des produits qui ne respectent aucun de nos standards. On ne veut pas d’une agriculture qu’on se refuse à produire en Europe. » Une étude de mai 2023, commanditée par le groupe des Verts au Parlement européen, précisait déjà les conséquences de cet accord sur la déforestation en Amérique latine à l’heure de l’urgence écologique face au dérèglement climatique : « la déforestation supplémentaire sur cinq ans induite par l’accord UE-Mercosur et l’augmentation des exportations de viande bovine pourrait s’élever de 620.000 hectares à 1,35 million d’hectares, selon le scénario le plus pessimiste ».

L’accord peut-il être bloqué ?

C’est peu probable en l’état. Il faudrait pour cela une minorité de blocage (quatre états au moins représentant 35% de la population) ; or, l’Allemagne et l’Espagne représentent déjà 30% des Européens… Et afin de contourner l’obligation d’être ratifié par les parlements nationaux pour entrer en vigueur, il serait possible de revoir le périmètre final de l’accord (en écartant le volet commercial), pour que les votes restent circonscrits au sein des instances de l’Union européenne.

Jérôme Gaujard, porte-parole de la Confédération paysanne BFC « Des cochonneries dans la viande ! »

Interrogé sur l’impact que pourrait avoir le traité Mercosur-Union européenne sur l’agriculture en BFC, Jérôme Gaujard, porte-parole de la Confédération paysanne nous répond :

Photo de Jérôme Gaujard
Jérôme Gaujard, porte-parole de la Confédération paysanne BFC « Des cochonneries dans la viande ! »

« Même s’il nous est particulièrement funeste, en réalité ce n’est pas seulement le Mercosur qu’il faut dénoncer mais bien l’ensemble des traités de libre-échange, même ceux qui sur le papier pourraient nous être favorables, car au final, il y a toujours des perdants. Ce type d’accord se fait uniquement pour le plus grand profit des grandes multinationales et toujours au détriment des paysans. Il serait illusoire de croire que ces accords puissent être améliorés par des clauses miroirs, car ces dernières n’obligent en aucune façon à un alignement par le haut. Ce serait ainsi prendre le risque de voir en France le retour de cochonneries dans la viande. Je ne parle pas de l’aberration écologique de traité comme le Mercosur qui verrait la traversée par bateaux de viandes venues d’Amérique du Sud, entraînant sur place la déforestation et chez nous la perte de prairies essentielles, alors même que nous avons en France et en Europe, tout ce qu’il faut pour subvenir à nos besoins. De manière générale, il est urgent de repenser l’alimentation dans son ensemble, de ne plus la penser comme un sujet commercial comme les autres et agir en faveur d’une souveraineté alimentaire où chaque État produit uniquement ce dont sa population a besoin ».